Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Yves Leresche: «je m’étonne de l’absence de débat sur l'interdiction de la mendicité» (1/2)

Le canton de Vaud refuse la mendicité. Cette interdiction a été votée il y a une semaine au Grand Conseil. Quelles seront les conséquences sur les communautés roms de passage en Suisse romande, à Lausanne et Genève surtout. Le photographe Yves Leresche qui a vécu de nombreuses années en immersion avec ces Roms vivant une partie de l’année à Lausanne et en Roumanie. Première partie de l'interview.

30 sept. 2016, 16:56
/ Màj. le 04 oct. 2016 à 12:00
Une des photos du livre et de l'exposition de photographies faites entre 2009 et 2015 par Yves Leresche. Le travail s'intitule "Roms, la quête infatigable du paradis".

Quelle est votre réaction au vote de l’interdiction de la mendicité dans le canton ?

Je ne suis pas surpris de l’interdiction, en revanche je le suis du manque de réactions à cela, il n’y a pas eu de militants des droits de l’homme qui s’en indignent dans les médias, d’associations ou de politiciens qui montent au front… sauf dernièrement sur les réseaux sociaux de l’extrême-gauche. Ils voudraient déposer un référendum. C’est l’indifférence. Ce qui me gêne, c’est qu’il n’y a pas eu de débat dans la société. Les arguments avancés par les initiants sont la soi-disant mafia qui exploiterait les mendiants. Avec toute mon expérience, je peux vous dire que tous les mendiants que vous voyez assis à Lausanne ne sont pas exploités, ils partent de Roumanie par eux-mêmes et mendient pour leur famille restée au pays. On ne s’en soucie pas et on décide d’interdire simplement, ce silence traduit un malaise, et de défendre les Roms «c’est s’exposer», prendre des risques… que personne ne veut prendre. Je trouve donc que leur présence (entre autres mendiants) chez nous devrait au contraire nous permettre de nous poser des questions sur les raisons de leur venue et sur le difficile destin d’hommes et de femmes européens qui pour survivre errent dans toute Europe.

 

Est-ce une décision injuste? Est-ce que les conséquences pour cette population largement analphabète va entraîner des situations plus dures encore?

C’est une victoire du système qui écrase les petits. On n’interdit pas la pauvreté que je sache. Dans leur cas, c’est l’urgence de la survie qui les pousse chez nous. Les Roms ne sont pas complètement pauvres grâce à la mendicité. Ce qui m’embête en fait, c’est qu’il n’y a aucun moyen d’avoir une autre vision. Il n’y a aucune empathie envers leur problème de survie, on règle notre problème vis à vis de la mendicité, c’est tout. Ils vont se heurter à ces lois, mais ne pourront pas devenir tous musiciens de rue car il faut une patente qui coûte 7 francs par jour. Ce qui va se passer est simple : les mendiants vont se lever et aller vers les gens et inventer de nouvelles formes d’obtenir de l’argent. Stressés par l’interdiction, fragilisés par le manque d’argent, ils seront obligés de changer de mode. On les verra dans les pires cas, voler des métaux dans les chantiers ou pratiquer le vol à la tire, ou alors, plus rentable encore… se prostituer. La prostitution jeune masculine se développe chez les Roms. Il y en a quelques-uns à Genève et un peu à Lausanne. Ils iront dans les bars et attendront les clients. Le fait de se faire amender pour la mendicité, les poussera donc vers le pire, comme voler ou se prostituer.

 

Que font les Roms qui mendient de cet argent?

Ils rénovent ou construisent leurs maisons au pays dans leurs différents villages d’origine. Ils construisent une maison pour agrandir leur famille, plus elle est grande et belle, plus la famille est attractive pour conclure des mariages, cela devient souvent chez eux, très ostentatoire. C’est une vie communautaire qui a ses codes, la richesse (même qu’apparente) à une grande importance. Les parents du garçon donnent une certaine somme aux parents de la fille pour conclure un mariage. Le but de chaque Rom, c’est que sa famille soit puissante chez elle en Roumanie et d’assurer les vieux jours des parents.

 

Y a-t-il une image tronquée contre les Roms parce qu’ils mendient?

L’interprétation des Suisses suit souvent les rumeurs urbaines telles que: «ils nous flouent, ils sont riches! Ils s’habillent en haillons pour nous tromper, etc. Souvent les personnes sont surprises qu’ils possèdent des portables. Ils ne comprennent pas que ce n’est pas cher: une carte SIM à 10 francs et ils les achètent pour pas cher chez Cash Converter. Il y a parfois de gens bienveillants à leur égard qui leur donnent de vieux portables…

 

On stigmatise les Roms pour leur tendance à «filouter», est-ce que ce mot est approprié ?

Oui, tout le monde pense qu’ils volent par exemple. Mais personne ne pense que si vous restez dans la rue huit ou dix heures par jour, vous remarquez beaucoup de choses. Par exemple, ils trouvent beaucoup d’objets perdus dans la rue: une trottinette ou un iPad posé sur un toit de voiture qu’un étudiant a oublié et qui est parti sans. Ils récupèrent ces choses-là et ils font souvent les poubelles. Il y a aussi beaucoup de personnes qui leur donnent des choses qu’ils veulent jeter: beaucoup d’habits, de vieux ordinateurs ou des téléviseurs etc.

 

La population a donc l’impression que tous ces objets sont des objets volés.

Ils sont aussi physiquement dans la rue avec les «autres pauvres», donc on les associe facilement à d’autres trafics. Parfois, leurs remarques sont assez marrantes. Les Roms me disent quand ils vont à la soupe populaire: «mais ils sont malades les Suisses?» en voyant les autres personnes qu’ils côtoient à la soupe…» alors qu’ils sont en fait en présence de vagabonds, de réfugiés, de toxicomanes ou d’autres européens disqualifiés par la vie.

 

Votre publicité ici avec IMPACT_medias