Un an après son mémorable doublé olympique à Londres (5000 et 10'000 m), Farah est bien parti pour rééditer son double exploit en Russie. Sa pointe de vitesse terminale est inégalée dans le demi-fond prolongé. Une fois encore, le Somalien de naissance a semblé jouer avec ses adversaires, plaçant son habituelle accélération meurtrière - en deux temps - dès la cloche, pour boucler le dernier tour en moins de 55 secondes. Un exploit dans la touffeur du Stade Luzhniki, malheureusement à moitié vide pour cette journée d'ouverture.
Les Kényans et les Ethiopiens étaient pourtant prévenus. Farah est quasiment invincible dans l'emballage final. Leur seule chance, aux yeux des experts comme l'ancien champion Saïd Aouita, aurait été de durcir un maximum la course. Des kilomètres parcourus en 2'45'' ne sont pas assez rapides pour user Farah. D'autant que celui-ci comptait aussi un allié dans le peloton, son compagnon d'entraînement Galen Rupp.
L'Américain a fini 4e, tout près du podium occupé encore, derrière Farah, par l'Ethiopien Ibrahim Jeilan, tenant du titre et 2e en 27'22''23, et le Kényan Paul Tanui, 3e en 27'22''61. La suprématie kényano-éthiopienne n'est plus absolue depuis que Farah et son coach américain Alberto Salazar, ex-vainqueur du marathon de New York, se sont mis en tête de bousculer la hiérarchie. Avec l'appui de l'équipementier Nike, ils ont développé un projet et une vision: rivaliser avec les athlètes de la Corne de l'Afrique. Leur base à Portland, dans l'Oregon, est aujourd'hui un nid de champions.
Titillé par Gebre
Farah marche sur les pas des légendaires éthiopiens Haile Gebreselassie et Kenenisa Bekele, les champions absolus des 25 tours de piste. Sa série depuis trois ans en impose: doublé européen en 2010 à Barcelone, or sur 10'000 et argent sur 5000 aux Mondiaux 2011 à Daegu, doublé aux JO-2012 et désormais ce nouveau titre, qui en annonce un deuxième vendredi prochain sur 5000 m. A moins, peut-être, que les Africains affûtent leur tactique et leur finish.
Dans une récente interview, Farah avait déclaré avoir été titillé par une remarque de Haile Gebreselassie. Ce dernier avait affirmé qu'il ne pensait pas que le Britannique serait capable un jour de battre en brèche la suprématie africaine.
«J'ai été déçu d'entendre ça (en 2010), mais chacun est libre d'avoir son opinion», a relevé Farah. «Depuis ce jour-là, je suis devenu un athlète différent.»
Avant de quitter la Grande-Bretagne pour aller s'entraîner aux Etats-Unis, Farah avait côtoyé les coureurs d'Afrique de l'Est et s'en était inspiré. Depuis, il a encore affiné son approche. Son coach Salazar est connu pour ses méthodes peu conventionnelles. Il travaille avec des spécialistes en biomécanique et perfectionne la préparation pour que ses athlètes puissent utiliser, en plus de leur coeur et de leurs poumons, la moindre parcelle de leurs muscles afin d'avoir une foulée plus efficace qui les propulse au maximum vers l'avant. Bingo!