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Que reste-t-il de Swissair 15 ans après le grounding?

Peu de personnes ont oublié ce jour du 2 octobre 2001. Des avions cloués au sol, 400 vols annulés et près de 40 000 passagers bloqués dans les aéroports du monde entier, Swissair vient de faire faillite. C’est la stupeur. Comment l’un des fleurons économiques suisses a pu connaître pareille fin? Si le traumatisme semble avoir été digéré, que reste-t-il 15 ans après de cet échec industriel?

29 sept. 2016, 03:14
/ Màj. le 02 oct. 2016 à 10:07
Faute de liquidités suffisantes, Swissair est contrainte de laisser ses avions à terre.

Nous sommes le 2 octobre 2001, soit il y a 15 ans, il est 16h15 et les haut-parleurs de l'aéroport de Zurich annoncent que plus aucun vol Swissair ne décollera. Endettée à hauteur de 15 milliards, la société n'est plus en mesure de payer le kérosène. C'est l'épilogue d'une longue descente aux enfers. Quelques mois plus tôt, la compagnie prévoyait une perte de près de 3 milliards de francs et les attentats du 11 septembre, qui ont durement affecté le trafic aérien, ont achevé la débâcle de celle que l'on surnommait la banque volante. 

 

1. Que reste-t-il de l’ancienne compagnie nationale?

De Swissair, il reste à la fois tout et rien. Si la Suisse ne possède plus sa propre compagnie aérienne, une flotte arbore toute de même ses couleurs: Swiss. A peine 20 jours après la faillite, le Conseil fédéral décide de recréer une nouvelle société. En novembre 2001, le parlement approuve donc un soutien financier de 2,1 milliards de francs pour la poursuite des vols Swissair jusqu'à la création d'une nouvelle compagnie sous l'égide de Crossair, l'une des filiales de Swissair encore rentables. Ce sera chose faite en mars 2002 avec la disparition définitive de Swissair au profit de Swiss.

 

Mais le mal est fait et Swiss n'a déjà plus grand chose à voir avec sa grande soeur. Près de 5000 emplois passent à la trappe, soit un tiers des effectifs. Toujours surdimensionnée, la nouvelle compagnie peine à décoller, ce d'autant qu'elle doit faire face à un contexte de turbulences marquées par la hausse des prix du pétrole et le contexte géopolitique instable avec la guerre en Irak. Swiss n'a pas d'autre choix que de réduire à nouveau la voilure en diminuant sa flotte et ses effectifs de moitié, soit 3000 postes de travail. Pour éviter une nouvelle déconvenue, la compagnie est finalement vendue à sa concurrente allemande Lufthansa en 2005 pour 310 millions d'euros.

Un ancien pilote neuchâtelois aujourd'hui à la retraite témoigne du brusque changement de cap intervenu au sein de la compagnie. A la radio RFJMichel Perrin-Jaquet explique comment les conditions de travail sont devenues pénibles. Il évoque le manque flagrant de pilotes et des horaires de travail irréguliers. De quoi provoquer des conséquences pour la santé, ce d'autant qu’il est difficile pour le personnel de prendre ses vacances normalement.

En fait, si les symboles demeurent, l'esprit de la société a bel et bien été emporté avec le grounding. Quant aux appareils, une partie d'entre eux ont été recyclés par la nouvelle compagnie, tandis que les autres ont été mis en vente, démantelés ou ont rejoint un cimetière d’avions dans le désert de Mojave en Californie (Etats-Unis).

 

2. Le grounding était-il inéluctable?

Le dernier directeur de Swissair, Mario Corti, l'assure au Schweiz am Sonntag: "Il n'existait et n'existe aucun doute qu'un sauvetage du groupe Swissair était absolument possible même après les événements tragiques du 11 septembre." Pourtant, au sein de la classe politique et financière, on estime que la faillite de la compagnie était inévitable. La faute à une succession de facteurs allant du rejet de l'adhésion à l'Espace économique européen (EEE) en 1992, qui empêche Swissair d'accéder librement au marché unique, à la stratégie de Philippe Bruggisser, prédecesseur de Mario Corti, consistant à prendre des participations dans des compagnies nationales et régionales, pour grandir toujours plus.

Directeur de l'aéroport de Genève au moment des faits, Jean-Pierre Jobin évoque même la thèse du complot dans les colonnes du Temps. "Je pense que le grounding a été voulu pour que la politique et l’économie posent les milliards sur la table. On ne saura jamais s’il restait 40 millions dans les caisses de Swissair ce fameux 2 octobre. A Genève, nous étions convaincus de la nécessité de garder une compagnie nationale. Mais son dimensionnement a été conditionné par le nombre des emplois que l’on pourrait sauver à Zurich. Car les autorités zurichoises avaient le couteau sous la gorge. Le canton de Zurich venait d’investir dans l’agrandissement de l’aéroport sur la base de prévisions de trafic gonflées. Sans compagnie nationale, le rêve de grandeur s’effondrait."

3. Que sont devenus les ex-dirigeants et les employés de Swissair?

Les principaux acteurs de la débâcle ont disparu des radars et la plupart d'entre eux ont tout bonnement quitté le monde de l'aviation.

Celui qui a incarné la faillite en tant que dernier patron de la société a refait sa vie aux Etats-Unis. Depuis 2003, Mario Corti y travaille comme indépendant. Avant de reprendre les commandes de Swissair, il était directeur des finances chez Nestlé. Il habitait dans une villa à Bex (VD), qu'il a vendue peu après la fin de son mandat à la tête de la compagnie aérienne.

 

Le prédecesseur de Mario Corti entre 1997 et 2001, Philippe Bruggisser, se serait aussi exilé aux Etats-Unis, en Floride plus précisément. L'Argovien est celui qui a amorcé la descente en piqué de la compagnie avec la fatale stratégie du chasseur. Faute de pouvoir accéder librement au marché européen, il a donc choisi une politique d'acquisitions agressives, afin de développer Swissair. Ainsi, la compagnie prend des participations dans la belge Sabena, l'italienne Volare, les françaises Air Littoral, Air Europe, AOM, l'allemand LTU, South African Airways et la compagnie polonaise LOT. Hélas, la santé financière de la plupart de ces société est précaire, ce qui ne manque pas de plomber Swissair et rejaillir sur Philippe Bruggisser qui démissione en 2001.

 

Quant à Eric Honneger, ex-conseiller d'Etat zurichois et ex-président du conseil d'administration, dont il démissionne en même temps que tous les administrateurs en 2001, il a aussi quitté la Suisse. Il tient aujourd'hui une maison d'hôtes en Autriche avec son épouse. Il affirme au Tages Anzeiger qu'il en a eu assez de la Suisse et qu'il se sentait désormais "beaucoup plus heureux qu'avant la crise de Swissair".

 

Les employés furent plus de 5000 à être licenciés au lendemain du grounding, lorsque Crossair reprend les activités de Swissair. Selon Michel Perrin-Jaquet, le commandant de bord neuchâtelois interrogé par RFJ, des jeunes co-pilotes ont perdu leur emploi et de nombreux commandants ont dû prendre de force une retraite anticipée. Et la plupart des employés qui sont restés ont dû consentir à une baisse de leurs revenus de moitié. A croire L'Hebdo, 18 mois après le grounding, 94% des ex-employés de Swissair avaient retrouvé de l'embauche. Quelque 2500 personnes s'étaient reconvertis dans une activité indépendante, d'autres étaient passés par la case chômage. En octobre 2002, on ne dénombrait que 300 sans emploi.

De nombreux licenciés de Swissair, à l'instar des stewards et des hôtesses de l'air, travaillent aujourd'hui dans les banques, les assurances, l'hôtellerie ou les PME. Pour peu qu'ils se soient montrés flexibles sur leur lieu d'embauche, les pilotes ont pu continuer à voler à bord d'autres compagnies. Les mécaniciens ont également retrouvé un emploi facilement. Ce fut plus difficile pour ceux officiant dans la restauration à bord ou la manutention des bagages et souvent à de moins bonnes conditions salariales.

4. Pourquoi la justice n’a condamné personne?

La faillite de Swissair a donné lieu au plus grand procès économique que la Suisse ait jamais connu. Le 7 juin 2007, le tribunal de district de Bülach (ZH) prononce l'acquittement général des 19 inculpés, dont les anciens dirigeants Mario Corti et Philippe Bruggisser ou administrateurs de la compagnie aérienne défunte, à l'instar d'Eric Honnegger. Pourtant l'acte d'accusation leur reprochait des délits plutôt graves de gestion déloyale, gestion fautive ou encore faux dans les titres, comme le rappelle Swissinfo.

Les ex-cadres de Swissair sont non seulement blanchis, mais recevront des indemnités. Seul accusé à risquer une peine de prison ferme, Mario Corti se verra ainsi allouer une indemnité de procès de quelque 488 000 francs. Un verdict qui fâche, mais qui ne surprend pas les experts, à l'instar du professeur de droit pénal Daniel Jositsch. "Une mauvaise gestion n'est pas pénalement répréhensible", explique-t-il à la chaîne alémanique SF1. Ce d'autant qu'aucun des dirigeants ne peut être accusé d'avoir sciemment provoqué la faillite de la compagnie. Quant aux indemnités octroyées, le professeur rappelle qu'"une personne acquittée devant la justice a droit à des dédommagements."

5. Comment la compagnie suscite toujours de la nostalgie?

La compagnie aérienne Swissair était un mythe pour les Suisses, au même titre que fut la Pan Am pour les Américains. Née en 1931, elle a connu l'âge d'or de l'aviation, lorsque les métiers de pilote et d'hôtesse de l'air faisaient rêver les plus petits comme les plus grands.

 

Preuve que la compagnie s'est muée en mythe au fil des décennies, les objets liés à Swissair connaissent un fort engouement lors de la grande vente aux enchères qui a eu lieu en 2005, ainsi que le rapporte la NZZ. Depuis, il s'en tient d'ailleurs toujours une chaque année à l'aéorport de Zurich organisée par deux anciens stewards de la compagnie. "Nous sommes totalement dévoués à cette cause", racontent Thomas Mannhart et Simon Ludwig à 20 Minuten. Les deux hommes parcourent le monde sans relâche à la recherche d'anciens objets de cabine, tels que cravates, chariots, couverts et autres cafetières estampillés Swissair. Encore qu'il devient toujours plus difficile de trouver de nouveaux trésors. Toutes leurs trouvailles sont en vente sur leur boutique en ligne.

 

Notons encore qu'un club des anciens collaborateurs de Swissair a été créé en 2011, comme le révèle la radio alémanique SRF1. Il compterait près de 2000 membres à ce jour. Un exemple de plus que de nombreux employés sont eux aussi restés nostalgiques de la grande époque, bien que plusieurs d'entre eux aient perdu leur poste.

La disparition de ce mythe volant fut un tel choc que même les artistes s'en sont emparés. C'est le cas du cinéaste Michael Steiner, auteur du plébiscité "Mein Name ist Eugen" ("Mon nom est Eugène"), qui a décidé de raconter la chute de la compagnie dans un long-métrage sorti en 2006: "Grounding: die letzten Tage der Swissair" ("Grounding: les derniers jours de Swissair"). Ce thriller politico-économique confronte deux mondes: celui des dirigeants et celui des employés. Tandis que le directeur Mario Corti se démène pour sauver la compagnie face aux banques, UBS et Credit Suisse, qui refusent de lui accorder des crédits, les employés sont livrés à leur sort et voient leur vie soudain s'effondrer.

 

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