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La mort aux trousses du loueur de DVD

Le géant de la vidéo à la demande, Netflix, propose quantité de films à portée de clic. Un coup de plus porté aux vidéoclubs. Reportage au coeur de l'un des derniers actif sur La Côte.

23 oct. 2014, 06:41
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"Lorsqu'il pleut, les gens atterrissent chez moi comme des mouches!" plaisante Rafael Soler au moment de la pause-café, non sans perdre de vue sa boutique située juste de l'autre côté de la rue. Son ristretto à peine avalé, le voilà qui bondit de sa chaise et traverse la chaussée. Au loin, une cliente s'approche de la vitrine placardée d'affiches de blockbusters américains. En ce lundi, à l'heure de sortie des bureaux, près d'une dizaine de cinéphiles plus ou moins accros se succèdent presque sans discontinuer dans le petit vidéoclub de Gland.

Concurrence déloyale

Il est 16h30. Tandis que les nuages s'amoncellent dans le ciel et que quelques gouttes éparses arrosent la ville, à l'intérieur de son vidéoclub Rafael Soler, 46 ans, est pendu au téléphone. Teint hâlé, T-shirt col en V, jeans délavés et Converses aux pieds, l'homme affiche une dégaine adolescente, malgré le poids des années et des soucis accumulés que trahissent ses tempes grisonnantes. Dans le métier de la location de films depuis 20 ans, il a repris le Movies Club de Gland il y a quatre ans et vient de racheter l'autre dernier vidéoclub de la région à Mies. "Je continue, parce que j'ai un bail et des factures à payer. En plus, les bons mois arrivent!" sourit le gérant après avoir raccroché.

A peine le temps de prendre place derrière le petit comptoir qui fait face aux immenses présentoirs remplis de quelque 600 pochettes de DVD, que Josephine, jeune habituée du quartier, fait son entrée. Elle fonce tout droit vers le rayon des nouveautés. "Vous savez quand vous allez recevoir Lucy?" questionne-t-elle. Renseignement pris auprès du fournisseur, le dernier film de Luc Besson ne sera pas disponible avant la fin de l'année. Derrière ses lunettes à grosses montures noires sur lesquelles se reflète l'écran de son ordinateur, Rafael Soler soupire. "Quand je vois que le film est déjà en téléchargement sur internet, je suis mort de rire. La justice vient casser les bonbons à certains patrons de vidéoclubs quand ils ont des films récents en zone 1, et sur internet personne n'est inquiété. C'est scandaleux!"

Aller chercher le client

Pour empêcher les gens de céder aux sirènes du téléchargement, le dernier des Mohicans du DVD a une arme: son téléphone. Il prend ainsi le temps d'appeler quotidiennement les clients, pour leur annoncer les dernières nouveautés, quitte à leur laisser un mot sur leur répondeur. Il ne reste plus qu'à espérer ensuite que le message soit bien parvenu au destinataire. Renzo Bindelli, lui, l'a reçu cinq sur cinq. Si le quadragénaire est venu aujourd'hui, c'est justement pour se tenir au courant des dernières sorties. Et internet? "Je suis allé regarder sur Netflix, mais question films français, c'est la catastrophe. Et puis avec les vidéos en ligne, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous."

Derrière son comptoir, Rafael Soler retrouve un peu le sourire. Ses trajets hebdomadaires chez son fournisseur à Genève, pour assurer la diversité de son offre, sont récompensés. Car au fil des ans, le gérant s'est constitué une véritable caverne d'Ali Baba du cinéma. Des oeuvres de Chaplin à "Robocop" en passant par "Ice Age" ou "Les tontons flingueurs", Rafael Soler a le regard qui s'illumine à chaque pochette qu'il effleure de la main. A la demande d'une cliente, il a même fait l'acquisition d'un film d'auteur chilien. Malgré cette impressionnante collection, son chiffre d'affaires s'est érodé de 20 à 30% en l'espace de trois ans. Et ce ne sont pas les quelques vêtements de mode stratégiquement placés à l'entrée du magasin ou la dizaine de figurines de Goldorak, un personnage de manga, qu'il est parvenu à vendre récemment, qui le sauveront d'une inéluctable fin. "Dans une année ou deux, ce sera fini!" La phrase qu'il prononce sonne comme une sentence.

"I'll be back!"

"Après? Eh bien j'irai bosser." L'homme donne dans l'ironie. "Les gens pensent que louer des DVD, c'est la belle vie!" Il est vrai qu'avec 200 locations par week-end il y a 15 ans, contre 50 actuellement, l'activité s'apparentait autrefois à un long fleuve tranquille. Mais elles sont révolues, ces années où les jeunes couples bras dessus, bras dessous venaient se perdre avec bonheur le samedi après-midi dans les rayons de son vidéoclub à la recherche d'un film romantique. Les amoureux transis d'hier sont devenus des quarantenaires, qui ne fréquentent les lieux plus qu'occasionnellement.

Avec ses sept locations, le compteur de la journée est révélateur. Il est presque 20h, la mine fatiguée, Rafael Soler s'apprête à fermer boutique, laissant seul derrière le comptoir le buste de Terminator, le cyborg tueur venu du futur, personnage central du film éponyme. A l'image de la fameuse réplique de ce dernier ( "I'll be back" ), Rafael Soler reviendra lui aussi demain.

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