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Bois: la filière qu'on met en bière

Le patrimoine forestier est l'un des plus importants du canton. Pourtant, les scieurs coupent de moins en moins, au risque de disparaître.

28 avr. 2015, 00:01
Dans son atelier de Begnins, François Schacher analyse le sciage de ses chevrons. Un geste qu'il n'effectuera plus d'ici quelque temps. 

   CEDRIC SANDOZ

daniel.gonzalez@lacote.ch

L'industrie du bois suisse se meurt lentement, mais sûrement. Dans ces circonstances, le métier le plus touché est sans nul doute celui de scieur. Les chiffres sont pour le moins éloquents. De 1500 dans les années 1970, le nombre de scieries a chuté à 720 en 1991. Aujourd'hui, l'Office fédéral de la statistique en recense un peu moins de 300, soit une diminution de près de la moitié des unités en vingt-cinq ans. La forte demande des entreprises de construction en bois transformés et la concurrence de produits étrangers renforcée par le franc fort sont autant de coups de hache qui font vaciller toute une filière. Et la région n'y fait pas exception.

"Je n'aurais jamais imaginé voir toutes ces scieries disparaître , s'exclame un brin désabusé François Schacher, patron de la scierie éponyme de Begnins, l'une des deux dernières encore en activité à La Côte avec celle de La Rippe. Les moulins à vent ont tous disparu. Nous sommes dans la même situation que les meuniers à l'époque." A 63 ans, ce dernier des Mohicans songe à prendre sa retraite prochainement. Mais, faute de repreneur, la petite unité risque de fermer définitivement et François Schacher d'emporter avec lui son précieux savoir-faire.

 

Un combat perdu d'avance

 

Ce scénario s'est produit à Au bonne en fin d'année dernière. Après plus de 35 ans de métier, Paul Bovy a remis les clés de l'entreprise à son fils. Seulement, Stéphane Bovy n'a repris qu'une partie des activités de celle-ci. La mort dans l'âme, il a dû se résigner à condamner la scierie. "Près de 80% du bois utilisé dans la construction vient de l'étranger. Dans ces conditions, cela ne sert plus à rien de se battre!" La faute au bois lamellé-collé, qui a envahi le marché suisse. Le secteur du bâtiment privilégie aujourd'hui ce type de produits d'assemblage, dit de deuxième transformation, plutôt que des charpentes d'un seul tenant. Et sur ce créneau, les Allemands et les Autrichiens sont loin devant, car ils disposent de centres de production autrement plus importants que les scieries suisses. De quoi générer d'importants volumes à des prix défiant toute concurrence. Mais pourquoi les scieurs d'ici ne se sont-ils pas dotés des mêmes outils? "Pour produire les mêmes quantités, il faut de l'espace. Dans la région, le prix du terrain se négocie à 400 francs le m 2 , alors qu'en Allemagne, c'est tout juste si l'Etat ne vous l'offre pas pour installer votre exploitation , s'emporterait presque l'entrepreneur aubonnois. Les salaires ne sont pas les mêmes non plus et je ne vous parle même pas de toutes les contraintes écologiques qu'il nous faut respecter en Suisse. Il est impossible de régater!" Le cas du toit du nouveau Parlement vaudois, qui a défrayé la chronique récemment, le montre bien. Certes produit en Suisse, le bois qui servira à sa fabrication sera transformé en Allemagne.

 

Un Lothar économique

 

Pas étonnant donc de voir les volumes de coupe diminuer d'année en année, passant de 2,27 millions de m 3 en 2008 à 1,7 million de m 3 en 2014, selon les chiffres d'Economie forestière Suisse, l'organisation faîtière des propriétaires de forêts. Une tendance qui n'est pas prête de s'infléchir, vu le contexte économique actuel. La décision prise par la Banque nationale suisse de supprimer le taux plancher de 1,20 franc pour 1 euro fait trembler toute une filière, comme l'analyse Didier Wuarchoz. "On assiste à une baisse de 15 à 20% sur les prix du bois. L'impact est très net dans les régions frontalières où une bonne partie du bois est vendu à des entreprises françaises. Et au travers de la filière, le franc fort renforce la concurrence du bois étranger. Le bois allemand a ainsi gagné 15% sur le prix de vente, sans que sa qualité soit devenue soudain meilleure." Le directeur de La Forestière, la société coopérative de propriétaires et exploitants forestiers du canton de Vaud, basée à Echandens, n'hésite pas à parler de "Lothar économique" en référence à la sinistre tempête de 1999; celle-ci avait alors abattu tant d'arbres que le marché du bois avait dû faire face à une surabondance de l'offre et donc une subite baisse des prix. "Les scieries n'ont plus de volumes suffisants actuellement pour assurer leurs frais fixes. Nous demandons donc aux propriétaires forestiers de ne surtout pas diminuer leurs volumes de coupe et aux investisseurs publics de soutenir le bois suisse." Pour Didier Wuarchoz, il en va non seulement du maintien des emplois, mais aussi de la qualité du bois sur le long terme. Il faut tailler les arbres régulièrement, pour que la forêt puisse se régénérer. Un message déjà difficile à faire entendre en temps normal, et qui risque fort de ressembler aujourd'hui à un prêche dans le désert.

 

Don Quichotte

 

Ce d'autant qu'hormis un coût plus élevé, recourir à du bois issu de nos forêts tient du véritable parcours du combattant. En choisissant de construire sa nouvelle salle de gymnastique avec 90% de bois certifié suisse, la commune de Bassins s'est lancée dans un combat donquichottien. "Nous étions un peu fous de penser que nous pouvions travailler facilement avec du bois local. On nous a embêtés avec des démarches administratives pour assurer la traçabilité du bois utilisé. Les menuisiers préféraient travailler avec leur grossiste, plutôt que de prendre notre bois. Nous avons dû démontrer qu'il était tout à fait conforme aux normes" , raconte le syndic, Didier Lohri.

Pour pallier à ce genre de difficultés, l'idée serait de privilégier un circuit court. C'est précisément le projet du Conseil régional de Nyon, qui prévoit la création d'un pôle bois réunissant les différents artisans de la filière, du scieur à l'ébéniste, en passant par le charpentier. "Le but consiste à maintenir tous les maillons de la chaîne dans la région, en termes de places de travail et de savoir-faire, et réduire également les coûts de transport. Ce ne sera pas un simple patchwork d'entreprises, mais un lieu destiné à favoriser les synergies, pour redynamiser la filière" , détaille Christiane Maillefer, chargée de programme de promotion de la filière bois de l'Ouest vaudois. Pour autant, ce projet, qui pourrait devenir une référence à l'échelle cantonale, n'en est qu'à ses balbutiements. Les autorités cherchent encore un terrain où installer cette structure - on parle de La Rippe ou de Trélex - une gageure, alors que la loi sur l'aménagement du territoire (LAT) doit entrer en vigueur.

 

Une mégacentrale

 

"Créer une petite unité avec un séchoir à bois, c'est dépassé. C'est une stratégie d'il y a vingt ans , réagit Stéphane Bovy. Il faudrait créer une mégacentrale, subventionnée par la Confédération et capable de régater avec les usines étrangères." Sans aller jusque-là, Didier Wuarchoz demande à ce que l'Etat incite davantage les collectivités publiques à utiliser du bois local. "Le canton de Fribourg a adopté un texte demandant de favoriser le bois suisse, alors que dans le canton de Vaud, il est seulement mentionné qu'une variante doit être étudiée."

Quoi qu'il en soit, il faudra continuer à exploiter les forêts. Reste à savoir qui paiera et quel en sera le prix .

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