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«Le pire mal, c’est l’indifférence»

Giosuè Calaciura écrit l’histoire violente et poétique de deux amis, Mimmo et Cristofaro, dans «Borgo Vecchio», où le héros tragique et adulé est un voleur, Totò, et le traître, Judas.

30 sept. 2019, 17:20
Giosuè Calaciura

Chaque soir, au Borgo Vecchio, résonnent les cris de Cristofaro, qui pleure la bière de son père, et qui «savait qu’un jour son père allait le tuer». Mimmo, dont le père Giovanni arnaque ses clients sur le poids de la mortadelle, est prêt à tout pour sauver son ami, et aime Celeste, la fille de la prostituée Carmela. Tous rêvent d’avoir pour père Totò, pickpocket aux semelles ailées. Lorsque les habitants défient leur destin, Dieu se met en colère, tempête, et sa vengeance donne lieu à des scènes aussi oniriques que fatales, avec des légumes du marché soufflés comme des cerfs-volants, et des petits enfants flottant au vent, agrippés au cou de leur mère.


Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre?

J’ai eu connaissance de beaucoup d’histoires de meurtre que j’ai racontées dans ce livre quand j’étais journaliste à Palerme. Par contre les histoires des enfants m’ont été racontées par des maîtres de quelques quartiers de Palerme. Je n’y habite plus depuis vingt ans, et aujourd’hui, tous mes livres racontent une ville qui n’a plus de réalité géographique. C’est une patrie intérieure que j’avais besoin de mettre sur le papier.


La violence de votre livre vient donc de la réalité.

Elle vient de la réalité, mais je voulais qu’elle soit cathartique. Les créatures sacrificielles sont les animaux et les enfants. La violence fait partie de la réalité infantile mais c’est aussi l’unique proposition des adultes. Elle fait partie de la réalité du sud du monde entier, et on peut aussi la trouver dans les grandes villes du nord, dans les zones les plus marginalisées et marginales.


Diriez-vous que vous êtes un écrivain engagé?

Je pense que la littérature ne peut pas ne pas être engagée. Elle ne doit pas être une fin en soi. Si elle l’est, je préfère ne pas prendre part au cirque. La culture doit même servir aux politiciens à repérer les injustices, quand certains quartiers sont privilégiés et d’autres n’ont même pas l’eau courante ni le ramassage des ordures, et comment les combler. Palerme a été élue capitale de la culture en 2018 en Italie, alors que c’est la ville qui connaît le taux le plus élevé d’abandon scolaire. Comment est-ce possible? La culture doit repérer les contradictions et les résoudre.


On sent que le destin pèse sur les personnages.

Le destin, dans la réalité méridionale, est le même pour les pères et les fils, souvent caractérisé par la tradition religieuse. L’élément religieux est très présent dans le quotidien d’une ville du sud, surtout dans les quotidiens les plus désespérés. Dans «Borgo Vecchio», on peut changer seulement avec la négation et l’homicide du père au sens métaphorique. Ou, comme je l’ai fait, la seule possibilité est de s’en aller.


Et Dieu?

Le Dieu de «Borgo Vecchio» est un dieu très méchant, qui punit toute tentative de changement. Il est même plus violent que la police, alors que dans ce quartier de Palerme, les familles avaient affiché des plaques en marbre sur un mur, avec les noms des jeunes voleurs assassinés par la police, et les mots «tués par la vile main de la police». C’était cela, et pour beaucoup de choses encore aujourd’hui, la figure de l’Etat dans certains quartiers du sud de l’Italie.


Vous montrez la vulnérabilité des enfants.

Dans «Borgo Vecchio», il n’y a pas de responsable, que des victimes. Le père de Cristofaro, de son incapacité d’être père, de sa peur d’être père. Comme la société méridionale, le père de Cristofaro ne sait pas prendre soin de son fils. La violence entre Cristofaro et son père est un élément très intime. J’ai eu de la peine à écrire cette partie. Mais je devais traverser cet enfer d’une manière ou d’une autre. Je pars de l’élément intime pour réfléchir à un sens d’irresponsabilité collective. Le pire mal, c’est l’indifférence. L’indifférence de qui a l’instrument de combler le gap économique et culturel envers ceux qui n’en ont pas les moyens. 


Pourquoi la magie?

Pour rendre cette violence réelle acceptable, je dois me la raconter comme une fable, avec les balles qui réfléchissent et qui pensent, et avec Dieu qui se fâche et envoie la pluie et le vent, avec les poissons qui volent, avec le cheval qui parle, avec le perroquet qui annonce l’arrivée des flics. C’était douloureux d’écrire ce livre. Mais sincèrement, je n’ai pas envie d’écrire un roman policier. Parce que l’indifférence envers le monde est la fin de la littérature. 
 


«Borgo Vecchio»
Giosuè Calaciura, traduit de l’italien par Lise Chapuis, Ed. Notabilia, 160 p.

 

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