Situé dans l'est de la capitale, ce monumental vaisseau amiral de béton a étonnamment bien résisté aux décennies de bouleversements - guerres, sanctions, violences - que vient de traverser l'Irak.
Commandé en 1957 par un pays alors ouvert sur le monde et riche de son pétrole, le Gymnase ne représente qu'une petite partie de la vaste Cité olympique un temps projetée. Le Corbusier, considéré comme l'un des plus grands architectes du XXe siècle, est alors au faîte de sa gloire.
Mais la révolution irakienne de 1958 met le projet en sommeil. Saddam Hussein, féru d'architecture, l'en tirera en 1980. Le Gymnase sera achevé deux ans plus tard, bien après la mort de son concepteur (1965), mais sous l'égide d'un de ses anciens associés, Georges-Marc Présenté, qui veillera à la stricte application de ses principes.
Très impliqué
Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, s'était fortement impliqué dans le projet de Bagdad, pour lequel il avait «signé personnellement quelque 500 croquis», souligne Mina Marefat, historienne de l'architecture basée à Washington.
«Le plus étonnant à propos de l'oeuvre de Le Corbusier à Bagdad est qu'elle ait reçu si peu d'attention de la part des spécialistes», constate-t-elle.
Après un voyage à Bagdad en 1957, l'architecte avait reçu le feu vert le 13 juillet 1958, soit la veille du coup d'Etat militaire qui allait faire chuter la monarchie irakienne. Il fut «extrêmement déçu» de la remise en cause de son projet, selon elle.
Sportifs irakiens et soldats américains
Une fois bâti, le Gymnase a accueilli des «générations de sportifs irakiens», basketteurs, volleyeurs et gymnastes et nombre de compétitions internationales, note son actuel directeur, Wasfi al- Kinani.
Cet âge d'or s'achève dans les années 2000. En 2003-2004, le gymnase est occupé par l'armée américaine. A son départ, le sport reprend en pointillés à cause des violences confessionnelles qui déchirent le pays.
Caecilia Pieri, chercheuse à l'Institut français du Proche-Orient (Ifpo), découvre le Gymnase en 2005 lors de repérages pour sa thèse, consacrée à l'architecture moderne à Bagdad. Elle décide de contacter la Fondation Le Corbusier en France.
Celle-ci «n'avait pas de photos récentes. C'est une oeuvre posthume et les chercheurs n'avaient pas accès à l'Irak», explique-t- elle.
Il en naît un projet franco-irakien de publication et de colloque sur le Gymnase, actuellement en cours d'élaboration entre la Fondation, l'Ifpo, l'Université de Bagdad, l'Unesco, et l'ambassade de France.
Renaissance
Mme Pieri, qui, de voyage en voyage, a assisté à la rapide dégradation architecturale de Bagdad en raison des violences, de la paupérisation et des errements de la reconstruction, y voit le signe d'un «petit frémissement» en Irak.
«Après tous ces bouleversements, on assiste à la renaissance d'un mouvement de conscience autour du patrimoine moderne», souligne-t- elle.
Mais pour l'heure, rien n'est simple, admet-elle. Malgré ces démarches, le Gymnase, en rénovation depuis un an, s'éloigne de la vision du maître. Sur ses gradins ont fleuri d'incongrus sièges de couleur vive, dans les vestiaires, des faux-plafonds bloquent la «lumière zénithale», et les abords du bâtiment sont encombrés de constructions récentes.
Du moins la façade extérieure du Gymnase arbore-t-elle toujours, gravés dans le béton, les symboles fétiches de Le Corbusier et son credo: «Là où naît l'ordre, naît le bien-être».