Jean Christian* reçoit l’email d’une supposée brigade de cybercriminalité. Émanant d’une obscure adresse électronique, le message l’accuse d’être un «pornographe, pervers, proxénète et pédophile sur le réseau informatique», et l’intime d’appeler au plus vite un numéro de téléphone.
Il s’agit d’une arnaque par email, aussi connue sous le nom de «scam». Elles pullulent sur l’internet depuis une dizaine d’années et envahissent quotidiennement les messageries et réseaux sociaux. Si l’utilisateur piégé téléphone, un escroc à l’autre bout du fil tentera de l’intimider pour lui soutirer une somme d’argent.
Les escroqueries par email peuvent aussi prendre d’autres formes : fausse romance ou offre d’héritage alléchante. Heureusement, Jean Christian a flairé le piège. Au lieu de répondre au message, il l’a partagé sur un forum de discussion pas comme les autres : celui des «croqueurs d’escroc».
Une communauté soudée
Le forum «croque-escroc » rassemble en ligne depuis plusieurs mois une petite communauté francophone. Il est né de la fusion de plusieurs forums plus anciens. Ses membres partagent leurs techniques et se fixent des règles assurer un «croquage» réussi. Par exemple, il convient de ne jamais révéler la moindre information personnelle. Les «croqueurs», dont les plus vétérans oeuvrent depuis une dizaine d'année, utilisent de faux noms ou des numéros de téléphones anonymes.
Agacés par les escroqueries sur le web et mus par sentiment citoyen, les «croqueurs» pratiquent leur art bénévolement. Certains enregistrent même les conversations téléphoniques avec les arnaqueurs et les publient ensuite comme trophées.
Le «croquage», pratique au nom étrange, consiste à répondre aux arnaqueurs en leur faisant croire que l’on est tombé dans leur piège. Au fil des échanges, les «croqueurs» rivalisent d’ingéniosité pour retourner la situation et perturber l’activité des escrocs.
Plusieurs techniques aident le déroulement d’un bon «croquage»: répondre à côté, feindre la bêtise ou l’ignorance, sans oublier une généreuse dose d’ironie. Les «croqueurs» font perdre un maximum de temps aux arnaqueurs pour freiner leurs activités. Un certain nombre de principes balisent les échanges,
Arnaques africaines
«Ça mord direct et ça répond vite!» répond Primus* à Jean Christian. «Il me demande 1800€» affirme-t-il en évoquant de la même «brigade de cybercriminalité» avec laquelle il est à son tour entré en contact. Finalement, antiescroc2 a réussi à déterminer l’origine de l’email : la Côte d’Ivoire.
La plupart de ces messages proviennent d’Afrique, même si plus récemment sont apparus des arnaqueurs chinois par exemple. Même en portant plainte, il est souvent bien difficile d’obtenir réparation à cause de l’éloignement géographique. Irréductible petit récif dans l'océan des arnaques du web, les «croqueurs» veillent.
*pseudonyme