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Racisme: quels sont ces statues, mémoriaux et symboles jugés racistes en Suisse?

Les mouvements anti-racistes remettent en question la légitimité de certaines statues et autres mémoriaux dans l’espace public. La Suisse aussi possède ses personnalités et autres symboles historiques controversés en raison de leur lien avec l’esclavage notamment.

17 juin 2020, 14:54
Des manifestants anti-racistes se sont pris à plusieurs statues en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Statue de David de Pury

La statue de David de Pury (1709-1786) qui trône sur la place du même nom à Neuchâtel suscite la controverse depuis la mort de George Floyd. Le Collectif pour la mémoire a lancé une pétition pour demander son retrait. «L’argent hérité par David de Pury, à sa mort en 1786, a été utilisé pour réaliser un grand nombre de travaux en ville de Neuchâtel, mais il a été gagné par le sang des personnes noires d’Afrique forcées à l’esclavage au XVIIIe siècle», relèvent les pétitionnaires.

Le Collectif demande que la statue de bronze dédiée au Neuchâtelois soit remplacée par une «plaque commémorative en hommage à toutes les personnes ayant subi et subissant encore aujourd’hui le racisme et la suprématie blanche». Un membre de sa famille en ligne indirecte n’est pas favorable à un déboulonnage.

Dans ArcInfo, Nicolas de Pury, par ailleurs conseiller général de la ville, propose plutôt «d’allouer un fonds à un chercheur, de manière à ce que toute la lumière soit faite sur le parcours de David de Pury».

Espace, Avenue et Pic Louis Agassiz

Louis Agassiz (1807-1873) a donné son nom à plusieurs lieux publics suscitant le débat depuis des années et pour cause. Le glaciologue né à Môtiers (FR) et à la renommée mondiale s’était fait le chantre au XIXe siècle de thèses ségrégationnistes et racistes. En 2007, le Conseil fédéral a d’ailleurs condamné ses opinions.

Le Conseil communal de Neuchâtel a jugé qu’il n’était plus opportun de lui dédier le square devant la Faculté des lettres de l’Université. Il a donc été débaptisé en juin 2019 au profit de Tilo Frey, l’une des premières femmes élues au Parlement fédéral en 1971, et de couleur de surcroît. A Lausanne, l’avenue Louis-Agassiz ne sera pas renommée, la Municipalité ayant choisi d’y ajouter une plaque explicative sur la part sombre du personnage, selon Lausanne Cités.

Dans l’Oberland bernois, le Fribourgeois a donné son nom à un pic culminant à 4000 mètres. Des pétitionnaires souhaitaient que l’Agassizhorn change de nom, mais les communes voisines de Grindelwald (BE), Guttannen (BE) et Fieschertal (VS) ont rejeté la demande en 2010. Même résultat avec le Club Alpin Suisse (CAS) qui a refusé en 2017 la demande du comité «Démonter Louis Agassiz» de retirer au scientifique le titre de membre d’honneur du CAS.

Statue d’Alfred Escher

Impossible de manquer la statue d’Alfred Escher (1819-1882) sur la place de la gare de Zurich. L’industriel fut le pionnier du chemin de fer en Suisse, fondateur de l’ancêtre de la banque Credit Suisse et vice-président de ce qui deviendra l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Néanmoins, le personnage a aussi sa part d’ombre.

En effet, la fortune – quelque 12 millions de francs actuels et la villa du Parc Belvoir sur les bords du lac de Zurich – dont il a hérité de son père Heinrich Escher provient en grande partie des plantations de café que ce dernier possédait à Cuba. Or, la culture du café était alors basée sur une main d’oeuvre forcée. Selon le Tages Anzeiger, près de 90 esclaves travaillaient pour le compte de la famille Escher.

«La statue d’Alfred Escher ne serait-elle pas mieux dans un musée?», s’interroge donc Hans Fässler dans la Luzerner Zeitung. L’historien, grand spécialiste des liens entre la Suisse et le colonialisme, estime qu’il faut repenser la place de l’héritage du Zurichois entre son influence sur la Suisse moderne et ses rapports avec l’esclavagisme. Selon lui, une plaque expliquant son passé moins glorieux, devrait au moins être apposée sur le monument.

Plaque à Paul Sarrasin

Une plaque plutôt discrète lui rend hommage au cœur du Parc national suisse dans les Grisons. Pourtant, le naturaliste bâlois Paul Sarasin (1856-1929) n’est pas seulement connu pour la protection de la flore et de la faune et sa contribution à la création du premier parc naturel de notre pays avec son cousin Fritz.

Dans un essai paru en 2015, dont la NZZ s’est fait l’écho, l’historien Bernhard Schär montre comment les deux chercheurs ont pu mener leurs travaux en Asie du Sud-Est, et plus particulièrement en Indonésie alors sous domination néerlandaise, grâce à la fortune familiale basée sur le commerce de la soie, du coton et des esclaves.

En outre, durant leurs voyages ils pactisent avec les puissances coloniales de la région. En échange de leur protection sur place par les soldats coloniaux, ils partagent leurs connaissances de la géographie et de la culture des peuples indigènes. De quoi permettre aux Empires, en particulier les Pays-Bas, de renforcer leur domination sur les populations locales.

Plaque à John August Sutter

La commune de Rünenberg (BL) rend hommage à Johann (ou John) August Sutter (1803-1880), son plus illustre enfant, via une plaque à son effigie depuis 1953. Problème, l’image du pionnier suisse qui a bâti un petit empire en Californie à l’époque de la conquête de l’Ouest s’est depuis considérablement déteriorée. Il apparaît que le Bâlois a bâti sa fortune sur le commerce des esclaves indigènes, selon l’historienne Rachel Huber interrogée par SRF. Violent et alcoolique notoire, il a abusé sexuellement de femmes amérindiennes parfois mineures.

Dans le sillage des mouvements anti-racistes, la section des jeunes socialistes de Bâle-Campagne a recouvert brièvement la plaque avec un drap taché de sang et une pancarte portant l'inscription «pas de monuments pour les esclavagistes», révèle la Basler Zeitung. Ils demandent que le canton réévalue de manière critique l’histoire de Sutter. Rachel Huber explique à la Basellandschaftliche Zeitung qu’il ne faut pas condamner le monument, mais y ajouter une plaque explicative sur le caractère criminel du personnage.

A Sacramento, capitale de la Californie fondée par l’émigré bâlois – il y a établi le Fort Sutter au XIXe siècle à l’origine de la métropole actuelle – les autorités viennent de déboulonner la statue sous la pression de groupes de défense des Amérindiens et des déprédations commises sur le monument, ainsi que le rapportent plusieurs médias américains à l’instar de CBS Sacramento.

Représentations de Maures

Les communes romandes d’Avenches (VD) et Cornol (JU), ainsi que les localités alémaniques de Mandach (AG), Möriken (AG), Flumenthal (SO) et Oberweningen (ZH) ont en commun d’arborer des Maures sur leurs armoiries. Des représentations qui sont aujourd’hui critiquées.

Interrogée par plusieurs médias, dont 24 heures, la commune d’Avenches explique qu’un retrait des armoiries n’est pas à l’ordre du jour, de quoi voir flotter encore quelque temps l’oriflamme qui les arbore devant l’Hôtel de Ville. Stratégie légèrement différente à Oberweningen. La localité zurichoise explique à Nau.ch que devant les polémiques récurrentes sur son blason, elle utilise depuis plus de 10 ans un logo graphique pour ses documents officiels. Mais, les armoiries officielles gardent leur traditionnelle tête de Maure.

Le débat secoue également le secteur de la consommation. Coup sur coup, les géants du commerce de détail Migros et Manor ont retiré les «Mohrenkopf» (ndlr. tête de Maures en français, l’appellation alémanique des têtes au choco) de leur assortiment. De quoi provoquer un tollé chez de nombreux clients. Vieux de 40 ans le café zurichois «Mohrenkopf» vient de changer de nom et se nomme désormais «Frisk Fisk», comme le relève Swissinfo.

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