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50 ans de l'autoroute: la guerre inachevée des Morgiens

Un demi-siècle après son inauguration, l'autoroute continue de diviser La Coquette, malgré la longue rébellion des autorités et des habitants.

26 mars 2014, 00:01
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Les fusées soviétiques à Cuba, l'érection d'un mur, coupant Berlin en deux: ces images, rappel d'une division binaire du monde qui a atteint son paroxysme dans les années 1960, sont aussi l'arrière-fond d'une autre "guerre" à la même période. Celle des Morgiens, contre l'autoroute qui, cinquante ans après, continue de défigurer la ville, et qu'on ne saurait qualifier de froide. La presse de l'époque, notamment, conservée aux archives communales, témoigne du caractère chaud et acharné du rejet par les autorités et les habitants du sort que le canton et la Confédération entendent leur imposer.

 

L'été où tout a basculé...

 

C'est que le temps presse. L'autoroute doit être inaugurée le 30 avril 1964, en même temps que l'Expo nationale. Et autant à Lausanne qu'à Berne, on n'envisage pas de voir reporter aux calendes grecques ce projet, le plus pharaonique de l'après conflit mondial en Suisse, par des Morgiens qui, depuis une demi-décennie, ne cessent de jouer les fortes têtes. En 1958, la première fois, puis juste à la veille des vacances d'été 1960, le canton notifie son "ukase". Ce sera la balafre ou rien (lire encadré). La riposte est immédiate. La Municipalité convoque une session extraordinaire du délibérant début juillet. Presque tous les élus sont là. Une résolution débouche sur le lancement d'une initiative cantonale, acceptée à l'unanimité, sans discussion, sous réserve du "non" de quelques-uns au crédit de 5000 francs, demandé pour financer la campagne.

Il faut 6000 signatures en vue d'une soumission au peuple. Au final, 22 000 citoyens et citoyennes parapheront les listes. Présidé par le syndic et député Charles-Paul Serex, le comité d'initiative compte des personnalités telles Pierre-André Bovard, porté en 1965 à l'Exécutif, sous étiquette de l'Entente morgienne (lire ci-dessous) et adversaire de la première heure du ruban qui tranchera dans le vif de la cité.

 

Un débouché pour les armes de Khroutchev?

 

Preuve de l'intérêt suscité par le sujet, les médias, locaux et nationaux, au-delà de la barrière de rösti, malgré le creux estival, ou peut-être à cause de cela, se déchaînent, pour relater, à coups de titres belliqueux, l'entrée en résistance, la rébellion, la révolte, le combat, la fronde de la ville. La "Gazette de Lausanne" évoque, le 6 juillet, " la colère de Morges. L'opinion publique est très remontée contre le Conseil d'Etat. Les Morgiens ont la très nette impression qu'on s'est joué d'eux. C'est la remarque qu'on entend le plus souvent." A Genève "La voix ouvrière" (V.O) s'interroge sur les motivations de l'opposition manifestée, lors de la mise à l'enquête, par le conseiller d'Etat Alfred Oulevay, au tracé par Marcelin. " On ne nous fera pas croire que cette décision n'obéit pas à un intérêt privé. " Une allusion directe, de la part de l'organe du POP, à un choix, matière à critiques aujourd'hui encore, de la vox populi. " Sa propriété n'aurait-elle pas dû disparaître si celui-ci avait été choisi?" A la décharge du notable, on relèvera que les procès-verbaux des séances du gouvernement vaudois mentionnent son absence lors des décisions en lien avec le dossier.

La V.O s'indigne, en évoquant l'impact sur la population de l'autoroute en ville: 45 immeubles à détruire et 200 personnes à reloger, dans une période de pénurie d'appartements ... La Gazette brode sur les propos d'une virulence extrême, inspirés par le contexte mondial, de Pierre- André Bovard, exhortant ses concitoyens " à se transformer en Fidel Castro vaudois. Tout doit être mis en oeuvre pour empêcher que s'accomplisse l'acte inqualifiable d'un gouvernement inqualifiable. "

 

Retrait la mort dans l'âme

 

Ce propos enflammé excite la verve d'un commentateur, encore dans la Gazette. " J'imagine les "barbudos" morgiens embusqués dans la sierra vaudoise, prêts à fondre sur les troupes d'un régime corrompu pour faire des... petits biscuits. Monsieur Khroutchev trouverait là un débouché pour ses armes et Monsieur Hammerskjöld (ndlr: secrétaire général de l'ONU à l'époque) un nouveau prétexte à voyager." La fin de l'année voit Morges multiplier les efforts pour être entendue. La Municipalité va jusqu'à rencontrer une délégation du Conseil fédéral. En vain. Le 5 décembre, devant le Grand conseil, Charles-Paul Serex doit, la mort dans l'âme, retirer une initiative désormais dépourvue de base légale. Privés du droit de donner leur avis, les Morgiens ne se résigneront jamais tout à fait. La création, en janvier dernier, d'un groupe communal interpartis, pour relancer un grand contournement condamné par le "niet" du peuple suisse, le 24 novembre 2013, à la hausse de la vignette, est la preuve de leur détermination. Intacte.

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