Votre publicité ici avec IMPACT_medias

La sécurité au-delà des gros bras

Pascal Viot, responsable de l'accueil et de la sécurité au festival, mise sur l'anticipation plutôt que sur les muscles.

15 juil. 2014, 00:01
data_art_8236375.jpg

info@lacote.ch

A Paléo, il est parfois difficile de repérer les agents de sécurité. A part un regard averti et une oreillette discrètement placée derrière la tête, leurs déplacements au sein de la foule sont plutôt discrets. Ce travail de l'ombre a toutefois quelques visages. Un en particulier: celui de Pascal Viot, chef de la sécurité du festival.

Chercheur associé et chargé d'enseignement à l'EPFL en sociologie urbaine, il n'a ni l'allure, ni le discours d'un vigile. Cette année, il vivra son vingtième festival au sein du staff. Ayant fait ses premiers pas à l'Asse en tant qu'agent de sécurité bénévole, son poste actuel est l'accomplissement de deux parcours parallèles qui se sont finalement rejoints: une expérience pratique de la sécurité et une formation académique en sociologie du risque.

Sa thèse de doctorat, "Le territoire sécurisé des grandes manifestations contemporaines", en est d'ailleurs le fruit: "Ma vision de la sécurité s'est forgée au fil des années. Le monde de la sécurité et celui de l'université ne vont en général pas vraiment dans le même sens, je me suis efforcé de faire le passeur." Une réflexion personnelle au départ qu'il a su, au fil des années, partager avec ses collaborateurs afin de constituer une équipe bien soudée: "La façon dont on fait de la sécurité à Paléo est inspirée à la fois d'expériences pratiques et d'éléments plus conceptuels, de travail avec d'autres, d'échanges d'expériences."

En bon scientifique, Pascal Viot s'attache à saisir les choses dans toute leur complexité. Il prend pour exemple la foule. " Qu'est-ce qu'une foule? Quels outils peut-on mettre en oeuvre pour la gérer? Pour régler les problèmes, il faut y avoir réfléchi avant, avoir préparé et protocolé le type de réponse que l'on va y apporter et ça ne va pas de soi. La sécurité, ce n'est pas seulement avoir des muscles, mais aussi de la matière grise et penser beaucoup plus globalement que ce que l'on entend habituellement.

Selon lui, une révolution est en marche, qui consiste non plus à penser la sécurité comme une mission auxiliaire à la police, où l'on ne s'intéresserait qu'aux débordements et aux comportements incivils mais à penser les enjeux dans toutes leurs dimensions. "Les situations de risque en manifestation ne sont pas liées uniquement à des comportements individuels mais aussi à des questions de nombre et de densité de la foule."

 

Un accès sans fouille

 

A l'Asse, de nombreux festivaliers en profitent chaque année: Paléo est un des rares organisateurs qui ne fouille pas le public aux entrées. Ce point suscite des débats nourris, qui portent notamment sur les bouteilles en verre et l'alcool. Cette absence de palpations et de vérification dans les sacs est loin d'être un oubli, et si elle fait partie d'une certaine histoire et philosophie du festival, elle n'est pas, comme Pascal Viot le signale, une coutume érigée en tant que dogme.

Comme cet accès sans fouille a régulièrement été remis en question, le chef du département Accueil et sécurité peut s'appuyer sur des arguments rationnels et pragmatiques, loin de toute idéologie. "A partir du moment où l'on vend des bouteilles en verre sur le terrain, quel serait le véritable objectif d'une fouille systématique à l'entrée? Moi, j'aime bien comprendre, voir finalement quelle est la pertinence d'une mesure face à un objectif."

Il poursuit en soulignant que si le problème tournait vraiment autour du verre sur le terrain, Paléo devrait renoncer à vendre du vin en bouteilles, par exemple.

Tout ça ne relèverait-il pas plutôt de la santé publique? Le but serait alors d'éviter qu'une certaine couche de la population, particulièrement les jeunes, se suralcoolisent? "Dans ce cas, je préfère miser sur la prévention et l'accompagnement à l'intérieur du festival." Fort de son observation dans d'autres manifestations, Pascal Viot a pu constater que la traque aux bouteilles incitait les gens à avaler leur contenu entier en un temps record avant d'entrer dans le site. "Ce qui est contre-productif puisque, au final, on applique une mesure qui les pousse à arriver très alcoolisés, très tôt. Autant les laisser entrer et espérer qu'ils consomment de manière plus tranquille et étalée dans un périmètre où ils seront plus encadrés." Quant à la dimension économique? "Je trouverais malhonnête d'utiliser un argumentaire sécuritaire et de santé publique alors qu'il s'agit en fait d'encourager les gens à consommer davantage de boissons vendues par Paléo."

 

Marché noir à domestiquer

 

Autre point noir souvent relevé par les festivaliers: le marché noir. L'enseignant et responsable de la sécurité promeut également le dialogue et la prévention pacifique: "En soi, la revente de billet n'est pas illégale. Nous aurions la possibilité de refouler les revendeurs à l'extérieur d'un certain périmètre, seulement cela ne résoudrait rien puisque ceux-ci se déplaceraient simplement en marge."

Le vrai souci des organisateurs du festival avec le marché noir se situe plutôt dans le sentiment d'insécurité qu'il génère et le risque de conflits lors des transactions. "Les revendeurs sont souvent issus de banlieues françaises et de quartiers difficiles, ce qui peut provoquer un choc culturel lors de la rencontre avec les festivaliers, les deux ne parlant pas vraiment la même langue."

Les bénévoles qui surveillent les alentours de l'entrée du festival pourront le confirmer. La plupart des revendeurs sont des habitués et reviennent chaque année. "Nous avons établi un bon contact avec certains. Les avoir à proximité nous permet de garder la situation sous contrôle." Parallèlement des efforts ont été consentis ces dernières années afin de rendre les abords de l'entrée plus accueillants. "Et nous veillons à ce que la première personne à qui le festivalier dit bonjour ne soit pas un revendeur de billets mais plutôt un de nos collaborateurs."

Selon Pascal Viot, la clé du succès de l'organisation d'une manifestation réside dans le fait d'inclure les questions de sécurité dès le début du processus et de cesser de voir la sécurité comme " un mal nécessaire . Si on parvient à dépasser cette expression, on voit bien qu'il y a des enjeux autour de la gestion des risques et du pilotage des urgences. Gérer les problèmes de sécurité, ce n'est pas juste séparer des gens qui se battent, c'est définir des stratégies, et ne plus voir la "sécu" comme un module externe à l'organisation. Ça se traduit aussi par des choses concrètes, comme la manière dont on accueille les gens. On insiste beaucoup sur le fait que le staff aux entrées doit être convivial. Il est une composante importante des efforts faits par l'organisateur pour que les festivaliers se sentent bien. On ne veut pas de gens en uniforme qui regardent de travers chaque arrivant."

Votre publicité ici avec IMPACT_medias