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Philip Jennings: "Pas de vrai métier mais une carrière de rêve"

Secrétaire général d'Uni Global Union, Philip Jennings revient sur sa jeunesse galloise, le cancer qu'il a vaincu et ses objectifs pour changer le monde.

17 janv. 2014, 00:01
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"Qu'il est difficile de condenser une vie en quelques minutes" , soupire Philip Jennings au terme d'un entretien express glissé dans un emploi du temps surchargé. Et pourtant, le parcours professionnel du Gallois naturalisé Suisse semble tracé dès ses 11 ans.

Premier enfant et seul garçon d'une fratrie de quatre, le jeune homme né en 1953 échoue à l'examen décisif imposé aux jeunes britanniques à cet âge-là, décidant quasi définitivement du destin de l'élève: soit vers les hautes écoles soit vers un cursus moins exigeant qui conduira indubitablement à produire de la main-d'oeuvre corvéable à merci dans un monde encore très industriel. "C'est mon premier échec personnel et je crois que cela me poursuit encore, confesse le sexagénaire. Heureusement, deux ans plus tard, j'ai pu rejoindre la filière supérieure. Je me souviens des enseignants qui m'ont fait un des plus beaux cadeaux: la confiance." Il ne cache pas parfois penser à eux quand il s'engage pleinement pour la protection de ses affiliés.

 

Travailleur et remarqué

 

Remarqué par ses professeurs, Philip Jennings se décrit comme un bûcheur, premier membre de sa famille à suivre des études supérieures dans une école de commerce galloise, puis carrément la London School of Economics. C'est là que les secrétaires syndicaux remarquent son potentiel. "Mon père était un ouvrier de l'usine Rover. Quant à nous, l'essentiel de nos loisirs, nous les passions au Labour Club, sorte de cercle de travailleurs qui proposait des divertissements et surtout un local où on buvait de la bière et où on fumait. Beaucoup!"

Agé d'à peine plus de 20 ans, il est lancé dans le monde bancaire, avec pour mission de recruter des membres pour le syndicats des cols blancs. Rapidement, on lui confie un travail de recherche, afin de préparer les dossiers des négociateurs. "Sur fond de choc pétrolier, l'Angleterre et la plupart des pays développés subissaient une forte inflation. La première demande d'augmentation de salaires que j'ai contribué à rédiger visait une hausse de 27%! Au final, nous étions déçus de n'obtenir que 22%."

Peu après, sur fond de crise financière - "tiens, comme l'histoire se répète" , glisse-t-il, évoquant le récent séisme boursier de 2008 -, il est désigné assistant du secrétaire général du syndicat du secteur tertiaire. Il a pour mission de préparer les discussions au sein d'une Commission royale pour le redressement des finances. "Cet événement m'ouvre les portes du syndicalisme mondial" , se souvient le résident de Chéserex. Philip Jennings n'a que 26 ans, il est tout récent propriétaire de sa maison et jeune marié quand le secrétaire général de sa fédération le convie à Genève, à l'antenne internationale de sa fédération.

On est en 1979, Margaret Thatcher révolutionne - et contribue au démantèlement - du paysage industriel anglais. "Fallait-il rentrer pour la contrer sur son terrain ou chercher à influencer les choses à distance, via un syndicat international?" Le Gallois choisit la deuxième voie.

 

Tian An Men, le Mur et l'apartheid

 

Dix ans plus tard, élu secrétaire général, il accède au sommet de son organisation. "C'était le même week-end que la manif sanglante sur la place Tian An Men, à Pékin. Quelques mois plus tard, le Mur de Berlin était abattu et un nouveau monde à organiser d'un point de vue syndical s'ouvrait à l'Est." Ajoutez à cela l'engagement de son institution contre l'apartheid à son apogée en Afrique du Sud et on comprend que Philip Jennings, homme d'action, même s'il n'a connu que les tables de négociation, les salons feutrés et les bureaux, prenne goût à cette fonction. "Je ne sais pas si j'ai un vrai métier car je ne suis jamais passé par un atelier - trop maladroit de mes mains -, mais il est sûr que j'ai eu une carrière qui tient du rêve."

Aujourd'hui, à 60 ans, sa motivation à construire un autre monde sur une base plus sociale est tenace. Elle est même encore plus forte qu'à ses débuts après la terrible épreuve personnelle qu'il a traversée il y a neuf ans.

 

La lutte pour la vie

 

"Cancer de la gorge!" Le verdict tombe comme un couperet. Tout s'effondre autour de celui qui a longtemps porté le maillot des vétérans du FC Gingins. Larmes et détresse ne s'estompent qu'à l'instigation de son épouse Birgit qui déboucha le champagne "pour trinquer au lieu de pleurer."

"Ce combat, avec des soins médicaux magnifiques, j'ai pu en sortir vainqueur. Depuis, chaque jour est une joie, à tel point que certains matins j'arrive en retard au bureau car j'ai préféré m'accorder quelques minutes, stationner ma voiture au bord de la route et admirer le paysage depuis Chéserex, droit sur le lac et les Alpes."

A la fin de l'année, ce père de deux grands enfants briguera, au congrès du Cap, son ultime mandat de quatre ans à la tête d'Uni Global Union. Quand on voit qu'au Cambodge ou en Colombie, on tire encore sur des ouvriers qui tentent de se fédérer, n'y ressent-il pas une certaine frustration. "La frustration, c'est quelque chose qui ne se partage pas avec ses troupes, précise-t-il d'entrée en soulignant les progrès faits, comme ceux d'entrer de plain-pied au programme des Forums de Davos ou au G-20. Je suis loin de mes premiers pas à Cardiff, mais c'est une victoire d'avoir fait entendre un point de vue syndical dans ces hautes sphères du pouvoir. Et comme le néolibéralisme, inspiré des politiques de Thatcher et Reagan revient régulièrement, ce n'est pas le moment de laisser tomber."

Dans notre édition de lundi, le portrait d'André et Jan Poulie

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