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Yves Leresche: «je m’étonne de l’absence de débat sur l'interdiction de la mendicité» (2/2)

Le canton de Vaud refuse la mendicité. Cette interdiction a été votée il y a une semaine au Grand Conseil. Quelles seront les conséquences sur les communautés roms de passage en Suisse romande, à Lausanne et Genève surtout. Le photographe Yves Leresche qui a vécu de nombreuses années en immersion avec ces Roms vivant une partie de l’année à Lausanne et en Roumanie. Deuxième partie de l'interview.

04 oct. 2016, 12:08
Des familles unies mais pas comprises par une majorité de Vaudois. Cette photo a été utilisée par Yves Leresche pour son expo et son livre "Roms, la quête infatigable du paradis".

Certaines personnes sont choquées de voir des enfants roms dans la rue ou dans un parc, qui passent parfois d’une femme à l’autre. C’est bien un comportement qu’ils ont, non?

C’est vrai, mais les enfants sont simplement gardés par un membre de la famille hors de la zone de mendicité, la loi les oblige à cela. C’est souvent une sœur, la mère, parfois le mari de la mendiante qui garde l’enfant. Toutes ces mauvaises interprétations aboutissent à des stéréotypes négatifs sur les Roms, qui ont d’ailleurs nourri les débats du parlement autour des mafias et en particulier sur le faux problème des enfants mendiants ou exploités, c’est du pur fantasme!

 

Est-ce que les Roms se méfient de vous quand vous les approchez ?

Les Roms ne se méfient plus de moi, du moins ceux que je connais depuis cinq ou six ans… et pourquoi se méfieraient-ils de moi? Je dirais qu’ils sont plutôt surpris que quelqu’un vienne vers eux. C’est parce qu’ils savent qu’ils sont mal acceptés qu’ils se méfieront d’un inconnu. Ils comprennent difficilement mon travail photographique. De celui-ci, ils peuvent se méfier mais la plupart m’ont adopté et me font aujourd’hui confiance. Il y a toujours des exceptions, comme une mendiante de la rue de l’Ale à Lausanne qui n’a jamais voulu être photographiée ou alors contre de l’argent, ce que je n’ai jamais accepter de faire. Cela a été une sorte de filtre pour la suite de mon travail et du lien que je pouvais avoir avec eux. Les Roms ont autant de stéréotypes par rapport à leur image. J’essaye de leur faire comprendre que c’est pour leur bien que je les photographie, afin que l’on les connaisse mieux.

 

Comment considèrent-ils la mendicité comme une activité, un travail?

Ils ne se posent pas la question. Pour eux c’est un moyen de survivre. Ils le font et il n’est pas facile de rester dehors assis dans le froid, dans la neige, c’est de l’endurance. Ce n’est pas un emploi, mais c’est un travail très pénible. Du coup, ils ont beaucoup de problèmes physiques dus à leur position assise ou courbée. Ils sont chrétiens-orthodoxes, ils ont des postures de prière et ainsi ils attirent l’argent des personnes chrétiennes, souvent âgées, mais aussi des musulmans, qui comme eux ont un devoir d’aider leur prochain. Il faut savoir que les femmes, les handicapés ainsi que les vieux font bien plus d’argent que les hommes plus jeunes. Ainsi ces derniers, pour compenser, font semblant d’avoir un handicap. Sans ce stratagème, ils ne gagneraient presque rien. Malheureusement, jouer aux faux-handicapé régulièrement altère souvent leur santé.

 

Un groupe de mendiants roms chassé par la police lausannoise en 2012 est actuellement en Suède, comment sont-ils accueillis là-bas?

Le pays est très respectueux des migrants. Ils appliquent la loi mais la mendicité n’est pas interdite. La police ne les ennuie pas la nuit quand ils dorment dans leurs voitures ou qu’ils font du feu pour cuisiner. Les Roms m’ont dit que la police suédoise était plus correcte et compréhensive que la police lausannoise. Visiblement les Suédois sont plus ouverts face aux étrangers. Certes, il y a beaucoup plus de place qu’en Suisse, ils n’ont pas l’impression qu’ils vont perdre leurs privilèges, comme la plupart des Suisses. Ce groupe familial qui est originaire de trois villages en Roumanie, a «déjà fait» dans l’ordre,  la Pologne, l’Allemagne, la Grèce, La France et la Suisse, toujours chassés par les polices ou par des règlements anti-mendicité. Cette migration pose aussi un problème, celle du manque d’éducation de leurs enfants qui sont rarement scolarisés parce que le groupe est perpétuellement rejeté où harcelé par les polices.

 

Que faudrait-il faire pour que les Roms ne migrent pas systématiquement?

Favoriser l’accès au travail pour des métiers simples et manuels dans les campagnes. Les soutenir dans une démarche qui viserait à sortir de la mendicité. Malheureusement, en Suisse, ces petits métiers sont très mal payés et se pose tout de suite le problème du prix excessif du logement. Je connais quelques Roms qui ont trouvé un travail de ce type et qui espéraient naïvement pouvoir vivre en Suisse avec leur famille, ce qui est bien sûr impossible. Alors dans cette situation, il retourne vers la mendicité qui leur permet non seulement de vivre mais qui leur donne plus de souplesse pour pouvoir être en famille. D’ailleurs, ils m’interpellent en me disant: en Suisse, à la fin du mois, combien as-tu dans la poche ? Je réponds que «si j’ai 100 balles je suis content», à cela ils me répondent qu’eux, ils ont 800 francs (pour une famille)! Donc pour eux la mendicité est la meilleure solution! Et pour moi, c’est la moins pire. Avec elle, ils ont de quoi envoyer de l’argent chez eux. Mais c’est une solution à court terme, parce qu’ils sous-estiment les problèmes futurs de santé dus à leur mode de vie, au fait de dormir dehors et de manger mal. Par exemple, ils consomment beaucoup trop de cochon, des côtelettes, du lard et différentes saucisses. Ils boivent aussi beaucoup d’alcool fort l’hiver, pour «avoir chaud». Cela débouche sur une espérance de vie ne dépassant guère les soixante ans. Souvent ils meurent de crises cardiaques.

Yves Leresche est photographe depuis 1991 indépendant. Il a commencé par photographier les concerts et les spectateurs de la Dolce Vita de manière autodidacte.

Il réalise avec le journaliste du Monde Serge Michel un Tour d'Europe pour le Nouveau Quotidien en 1991-1992.

Réalisation de l’exposition en ville de Lausannne et livre «Roms, la quête infatigable du paradis» de 2009 à 2015. Voici un lien pour revoir quelques-unes de ces photos. 

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