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«Les joueurs veulent tous quelque chose, même en 2e ou 3e ligue»

L'argent au niveau amateur demeure un sujet sensible, et nourrit les rumeurs. Plusieurs clubs offrent des «enveloppes» ou aident leurs joueurs à trouver un emploi.

24 mars 2014, 07:59
L'argent demeure un sujet délicat au sein des vestiaires. Même entre eux, les joueurs n'aiment pas évoquer les montants des défraiements qu'ils perçoivent.

«Personne n’est dupe», lâche ce joueur de Forward Morges. «Il s’agit d’un sujet sensible», rajoute un cadre de l’US Terre Sainte. L’argent dans le foot amateur, s’il n’est pas une généralité, s’avère une réalité. Même dans les petites ligues, celles dites communément du «foot des talus». «Lors du mercato, beaucoup de joueurs se la racontent, même en 2e ou 3e ligue. On leur parle du projet sportif, des infrastructures, et eux nous répondent: «Vous me donnez quoi?» Les joueurs veulent tous quelque chose, qu’on le veuille ou non», dit Dominique Montangero, ancien coach du FC Gland et actuel correspondant pour nos colonnes.

Dans l’ensemble des clubs non professionnels, l’argent se donne souvent sous la forme de défraiements. La somme de l’enveloppe varie selon l’ancienneté, le rôle, ou le parcours de chacun. «Le montant des défraiements reste un sujet tabou, même entre joueurs», relève ce Morgien, qui touche 400 francs par mois.

A Forward Morges, par exemple, un des responsables du club n’a jamais fait mystère que le contingent de l’équipe fanion, actuel leader du groupe 2 de 2e ligue, et qui vise la promotion, recevait des sous. «Mais pas beaucoup.» Cela se monterait entre 0 et 500 francs le mois, une somme soumise à des déductions en cas d’absences aux entraînements. Des primes (500 francs) ont également été perçues après le 1er tour.

Au plus offrant

Ces chiffres se retrouvent dans les ligues supérieures. A titre de comparaison, un club du milieu de classement en 1re ligue Classic propose à ses joueurs jusqu’à 1000 francs mensuels (indemnités et frais de déplacement). Cela constitue toutefois une des échelles de «salaires» les plus bas du championnat. Des clubs de la région lausannoise offrent bien plus. Les rémunérations peuvent tourner entre 2000 et 5000 francs par mois, en 1re ligue Classic.

Certains présidents y ajoutent une prime par point ou par tour. En 2e ligue inter, certains perçoivent même 25000 francs par an. «Dans notre club, nous avons reçu des offres de joueurs demandant 3000 francs le mois, mais nous ne pouvions pas nous le permettre», confie un entraîneur de 1re ligue. Lors du mercato, il n’est dès lors pas rare pour un club de ne pas pouvoir régater avec une équipe d’une ligue inférieure, capable de délier plus facilement les cordons de la bourse. En période des transferts, des joueurs n’hésitent pas à quitter leurs couleurs pour redescendre d’un échelon, prétextant souvent que leurs potes jouent dans ce club.

Tout dépend des ambitions

En 3e ligue aussi, certaines équipes sont généreuses. Notamment Saint-Prex, promu de 4e ligue et actuel leader de son groupe. Le président ne s’en cache d’ailleurs pas. «Nous avons quatre joueurs dont nous rémunérons les déplacements, dit Stéphane Porzi, sur Footvaud.ch. Le club est entré en matière car certains joueurs étaient prêts à venir pour un petit quelque chose. Le comité décide combien et à qui il donne quelque chose.» Parmi les joueurs venus de l’extérieur, Marco Cardello, ancien buteur d’Italia Nyon, recevrait quelques centaines de francs pour ses déplacements, toujours selon le dirigeant saint-preyard.

«Il faut être honnête: à condition égale, un joueur choisira le club le plus offrant, lâche encore ce footballeur de Morges, interrogé sous couvert d’anonymat. Mais à notre niveau, la situation géographique du club compte aussi. Etant amateurs, le fait qu’un club se situe à proximité de notre lieu de travail est important. Les ambitions sportives comptent aussi.»

De l’ambition, le FC Echichens, fraîchement de retour en 2e ligue, en a également. Celle de se maintenir. Or le club se retrouve en danger. Il a donc fait appel à quatre renforts cet hiver. «La situation a changé, car nous ne voulons pas tomber, explique le président Manuel Choffat. Bien que le système de base reste une caisse d’équipe, avec un montant versé par point.»

L’homme fort de Grand Record joue la transparence: «Parmi nos quatre arrivées, trois touchent un petit quelque chose et un nous a demandés du travail.» Il tient à préciser: «Ceci est extra-budget! Je ne veux pas mettre le club en péril pour des renforts.» Manuel Choffat dresse cependant un constat: «Aujourd’hui, je ne crois pas qu’un club puisse se maintenir en 2e ligue sans défrayer ses joueurs.»

Un job pour les frontaliers

Les joueurs demandant aux clubs du travail, la pratique se répand. «Nous avons déjà aidé des joueurs à plusieurs reprises, rétorque Olivier Goncerut, président du FC Gingins (3e ligue). Et qu’on soit clair, ils ne perdent en aucun cas leur emploi s’ils ne jouent plus pour nous!» Cette démarche répond à une certaine logique. Le Stade Nyonnais y a également eu recours, avec des joueurs travaillant dans l’entreprise de la présidente. «Les joueurs ne sont pas bêtes. Il est mieux d’avoir un travail qu’un salaire de footballeur, dit Manuel Choffat. Demander un job, cela devient de plus en plus fréquent, notamment de la part des frontaliers.»

Placer les joueurs – ou leur femme, cela se fait aussi – reste difficile, comme cela l’est pour un employé lambda. Les clubs actionnent leur réseau, ou celui de leurs contacts. «A Gingins, on a la chance d’avoir dans notre entourage des gens de grandes entreprises qui ne recherchent ni des ingénieurs, ni des mecs sortant de la Sorbonne», complète Olivier Goncerut.

La quête d’un job reste adaptée au CV des joueurs. Pour les clubs, trouver du travail pour un élément de son équipe peut toutefois comporter un risque: celui de recommander une personne que l’on connaît peu, ou pas. Le club engage donc aussi sa crédibilité dans l’opération.

Un exemple personnifie bien cette pratique sur La Côte: Django Tabouret. Cet hiver, l’ancien attaquant de Gland a rejoint Gingins. Le club des hauts de Nyon lui a offert un job. «Je me suis retrouvé au chômage à la fin de l’année, nous livrait le buteur français récemment. J’ai demandé aux dirigeants glandois de m’aider dans mes recherches d’emploi. Mais ils n’ont pas été en mesure de me proposer quoi que ce soit, au contraire de Gingins.»

La boîte à fantasmes

Lorsque Dango Tabouret avait débarqué à Gland, il y a neuf ans, le club d’En Bord – par l’intermédiaire d’un de ses coaches – lui avait trouvé un job dans une firme nyonnaise. Chez les «orange», Django Tabouret demeurait un cas particulier. «En dix ans, seul un autre joueur nous avait demandé du boulot, se rappelle Dominique Montangero, alors entraîneur du FC Gland. Pour Django, certains fantasmaient. On m’a souvent demandé: “Mais comment faites-vous? Django, c’est 10000 balles par saison, c’est ça?” Pas du tout!»

Quand on lui parle argent, le football amateur se met instinctivement sur les pattes arrières. «Du moment qu’il s’agit d’un sujet gardé sous silence, les gens aiment bien imaginer.» Pour l’ex-entraîneur glandois, œil averti du ballon rond, il ne faut cependant pas généraliser ces pratiques. «Enormément jouent finalement toute leur vie sans rien toucher, et en payant leurs cotisations.» Car pour beaucoup de clubs, l’argent ne coule pas à flots. Celui-ci reste difficile à trouver (malgré les sponsors ou les clubs de soutien). «Maintenant, si le foot peut donner quelque chose en plus, un coup de main, un apprentissage à un jeune, disserte le président du FC Echichens Manuel Choffat, cela peut être bénéfique sur le long terme.»

Enquête complète à retrouver dans notre édition du jour, sur papier ou e-paper.

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