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Croire en l'avenir, ce terrible défi

Gérald Bronner publie "La planète des Hommes", une mise en garde contre la peur.

09 oct. 2014, 06:31
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Après "La démocratie des crédules", paru l'an dernier, le sociologue français Gérald Bronner publie "La planète des hommes", un plaidoyer contre la détestation et le mépris que l'homme se porte, contre la peur de l'avenir et ses mécanismes d'intimidation, qui, selon lui, paralyseraient l'innovation. Pour l'auteur, aucun doute: la dignité ne peut revenir qu'en ayant foi dans le progrès. Donc en la science. Entretien.

Vous tentez de démontrer comment la peur, et ceux qui la propagent, dont les écologistes, risque de porter atteinte à notre civilisation à long terme sous couvert de bons sentiments, en brandissant notamment le principe de précaution à l'égard des avancées technologiques. Pas facile à faire passer...

Oui, c'est un message difficile à faire entendre, car minoritaire dans l'espace public contemporain. Or, je ne suis rien d'autre qu'un humaniste progressiste. Il est donc étrange d'être, dans ces conditions, taxé de politiquement incorrect.

Tout de même, est-ce que vous n' allez pas un peu fort dans la provocation en disant qu'au final, et puisque le soleil finira par exploser, seule la science pourra peut-être nous faire voyager dans la galaxie pour trouver une nouvelle planète?

C'est effectivement un argument qui peut faire sourire, je le concède, mais il s'agit de contrer une idéologie très répandue actuellement qui dit: puisque l'humanité est le bien le plus précieux que nous ayons, nous devons stopper tout ce qui pourrait être contraire à sa survie.

Une pensée qui a une conséquence réelle...

Oui, cette théorie provoque la méfiance envers la science, car l'homme aura toujours assez d'imagination pour concevoir le pire, faisant fi des bénéfices du progrès, ne pointant que ses coûts. Alors je dis la chose suivante: si effectivement l'humanité est la chose la plus précieuse, seule la poursuite de la recherche scientifique et technologique pourra un jour la sauver de la fin annoncée de notre écosystème, et ce même si cela n'arrive que dans des millions d'années. Vous savez, 99,9% des espèces apparues sur Terre ont fini par disparaître un jour. Et elles n'ont pas eu besoin de l'intervention de l'homme. Par ailleurs, je ne nie pas que l'activité humaine puisse avoir un impact négatif sur l'écosystème, je dis simplement que, dans tous les cas, cet écosystème, c'est-à-dire le système solaire, est programmé pour ne pas perdurer éternellement. Dès lors, il faut être cohérent.

Vous voulez donc réconcilier l'Homme avec la science. Pas évident quand on voit le moral en berne de nos sociétés...

Oui, le problème, c'est quand la moralité suprême d'une civilisation consiste à se détester elle-même, à pouvoir se permettre ce luxe de l'auto-détestation... Ce qui est le cas actuellement. Et qui peut engendrer de vrais soucis de régression et de négation de nos valeurs. Dont celles démocratiques. Or, comme je pense que notre manière de voir l'avenir conditionne notre présent, il est temps de retrouver un peu d'estime et ne pas gonfler artificiellement nos peurs.

J'imagine que vos adversaires doivent vous prendre pour un fou...

Certains, comme Pierre Rabhi, le font, effectivement. Cependant, il peut bien y avoir quelques erreurs dans mes ouvrages, je ne suis à l'abri de rien, mais on ne pourra me reprocher de ne pas argumenter mes propos. Vous savez, mon progressisme n'est pas celui du XIX e siècle. Il est un progressisme informé. Je sais ce qu'il s'est produit dans l'histoire récente: 14-18, Hitler, Hiroshima... Je sais ce dont l'homme est capable. J'essaie juste de poser sur le monde un regard calme et méthodique car il n'y a pas de raison, à mon sens, et ce parce que nous savons n'être plus au centre de l'univers, de ne pas avoir confiance en l'avenir. Il n'y a pas de raison de vouloir notre fin à tous et sombrer dans le dégoût de nous-mêmes.

La méthode, justement: vous reprochez à la population d'en faire défaut.

Oui, ceci est notamment dû à la nouvelle structuration du marché cognitif, ou de l'information. Dans mon livre précédent, je démontrais comment l'erreur pouvait s'infiltrer rapidement, et devenir parole d'évangile, grâce à l'avènement d'Internet qui a dérégulé le marché traditionnel de l'information. Je montrais aussi comment un groupe minoritaire pouvait influencer un grand nombre en remplissant Internet de fausses informations, ou de fausses démonstrations et conclusions issues de plusieurs informations. Ce que font les conspirationnistes: ils tentent de lier 36 arguments épars, donnant l'illusion d'une cohérence.

Juste une illusion?

Oui, c'est presque toujours le cas. Le seul problème, c'est que les scientifiques ou intellectuels n'ont pas le temps d'aller expliquer, point par point, et ce sur chacun des nombreux sites conspirationnistes, que l'assemblage de ces arguments ne tient pas la route. Il en va de même avec les questions technologiques actuelles: on trouve partout des gens, souvent sans expertise, pour mettre en garde la population contre des effets secondaires potentiels, mais non prouvés, de nouveaux produits ou de nouvelles pratiques. Face à cette masse de gens qui font part de leur peur sur Internet, on trouve peu de scientifiques pour calmer tout le monde et injecter un peu de sang-froid. Dès lors, avec cette caisse de résonance qu'est Internet, ils arrivent à influencer l'opinion publique. Dont nous faisons tous partie. Et ce jusqu'à la politique. Qui préférera privilégier des moratoires que de se fâcher avec des électeurs potentiels. Tout cela constitue donc une stratégie de la peur et de l'intimidation, contre laquelle, c'est mon intime conviction, nous devons lutter. Sans quoi nous n'avancerons plus.

 

"La planète des hommes"

et "La démocratie des crédules"

Editions PUF.

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