Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Esprits femelles de la forêt

Monica Sabolo a écrit «Eden», histoire d’une adolescente, Nita, qui s’interroge sur la disparition de Lucy, une camarade de classe blonde, rêveuse et fascinée par les mystères de la forêt.

21 oct. 2019, 19:00
Monica Sabolo.

l’étrange Lucy, 15 ans, a disparu, et lorsqu’on la retrouve, nue, le corps zébré de griffures, elle est muette, incapable de répondre à la police, et son esprit absent. Sa voisine Nita essaie de donner du sens à ce qu’elle vit comme une trahison. Bercée par les histoires de son père disparu, selon lesquelles il fut un temps où «un homme pouvait se transformer en animal et un animal en homme», elle peut légitimement se demander si la forêt n’est pas en train de se venger de son exploitation violente. Dans ce roman poétique et brutal, Monica Sabolo explore le lien entre femmes et forêt, avec des images fortes et troublantes.


Comment ce livre est-il né?

A l’origine, je voulais écrire sur la forêt. J’avais très envie d’un espace immense, mystérieux et sauvage. En faisant mes recherches, je suis tombée sur le cas du Canada et des centaines de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées depuis une cinquantaine d’années. Quelque chose a résonné très fort en moi. 


Comment avez-vous choisi le lieu de l’intrigue d’«Eden»?

J’étais très travaillée par la problématique de parler de ces femmes, moi en tant qu’Européenne blanche, loin de leur histoire et de leur douleur. Je ne me sentais pas autorisée à parler en leur nom. Et ce n’était pas du tout ce que je voulais faire. En même temps, je voulais une liberté d’écriture, parce que l’art est le lieu de la liberté. Du coup, j’ai déplacé mon histoire dans un lieu imaginaire. J’ai créé un mensonge qui ressemble au réel, mais n’est pas le réel, où je pouvais tout m’autoriser. Le pays ressemble aux Etats-Unis ou au Canada, mais ce n’est peut-être pas les Etats-Unis ni le Canada.


Dès le début, il est question d’esprits dans ce livre.

J’avais également envie de flirter avec le surnaturel. A l’origine, j’avais même l’intention d’écrire un roman gothique. Finalement, j’aime énormément l’idée de romans où le surnaturel ne l’est pas forcément. C’est-à-dire que le lecteur peut choisir si des forces invisibles sont à l’œuvre ou si le réel a été transformé pour qu’il soit moins douloureux ou moins violent.


Quel sens faut-il donner à ces esprits?

J’aime énormément la littérature de genre. Pour un écrivain, elle est rassurante, parce qu’elle donne un cadre. Ce que j’aime dans les livres de Stephen King, c’est que le surnaturel, le fantastique, l’horreur, pour moi, sont une simple métaphore du réel, d’une société malade, de dérives, de l’ombre qui est en l’homme. Et on peut vite toucher à la poésie, à travers ce prisme-là. J’avais déjà joué avec le surnaturel dans mon précédent roman, «Summer», même si je suis bien consciente de ne pas faire de la littérature de genre.


Qu’est-ce qui vous a donné envie de reprendre cet élément?

Je pense vraiment que dans les époques les plus dures, les plus cruelles, il y a une nécessité à convoquer les fantômes. C’est comme s’ils se réveillaient. Mais ils ne sont pas forcément menaçants, ils sont parfois juste une présence, comme les animaux. Il y a des forces bénéfiques, protectrices. C’est aussi une façon de remettre du mystère, de la profondeur dans un réel trop abrupt, qui serait dénué de sens. Une façon de trouver du sens, de s’élever.


Il y a plusieurs types d’inégalités dans ce livre.

Pour moi, il y a trois pôles d’inégalité, même quatre. La domination sur les femmes, sur la nature, et les deux sont ici très liées comme par un fil invisible. Ensuite, la domination sur les minorités et peut-être également sur la jeunesse, les adolescents. Je voulais opposer deux visions du monde. Une vision verticale qui considère que la nature et les femmes sont presque des ressources, une vision avide, cupide, à mon avis archaïque et morbide, et une vision plus horizontale où chaque être, chaque animal, chaque pierre a sa place dans une sorte de grand tout où tout est corrélé. Ce roman est comme le frottement brutal entre ces deux appréhensions métaphysiques du monde.



«Eden»,
Monica Sabolo,
Ed. Gallimard,290 p.
 

Votre publicité ici avec IMPACT_medias