Texte et photos Bernard Pichon

En mai dernier, le Tout-Paris n’avait d’yeux que pour le nouveau-né du milliardaire François Pinault, un berceau à 159 millions d’euros conçu pour abriter sa collection privée d’art contemporain. Presse écrite et plateaux de télévision ont largement couvert cet avènement. D’ordinaire plutôt discret, l’homme d’affaires en a assuré la promotion tous azimuts, sans trop s’étendre sur les circonstances de cet accouchement dans la douleur, retardé par d’inévitables tracasseries à la française. Il avait aussi fallu laisser à Tadeo Ando le temps de conférer à l’élégante bâtisse circulaire – récupérée du XVIIIe siècle – une modernité la fois avant-gardiste et minimaliste (l’architecte n’est-il pas Japonais!)

Audacieux contraste

Mission accomplie pour la star nipponne: interloqués, les visiteurs de ce nouvel aimant culturel et touristique – à deux pas de Beaubourg et du Louvre – débouchent sur son cylindre intérieur de 9 mètres de hauteur sur 29 de diamètre; un rempart de béton gris qui contraste avec le classicisme du monument historique (notamment un cycle de peintures couvrant une surface de 1400 mètres carrés sur le thème des quatre parties du monde «marquées par la pensée colonialiste»).

Architecture Un élégant escalier à double rampe.

Accroché comme une liane sur ce tuteur brut de coffrage, un escalier mène à l’étage. Les commentaires vont bon train. Certains y voient un «puissant geste architectural», d’autres un obstacle à la visibilité de l’exposition dans son ensemble. Les vieux murs demeurent néanmoins apparents, comme protégés par cette enceinte postindustrielle, trait d’union entre l’ancien et le moderne vers un réseau de couloirs reliant les salles et les époques.

Le contenant et le contenu

Collection Les œuvres exposées témoignent d’un large éclectisme.

Combien de Suisses se sont-ils fait photographier sous la bougie géante de notre compatriote zurichois Urs Fischer, coiffée par une lumineuse coupole? Cette éphémère réplique de «L’enlèvement des Sabines» de Giambologna (une sculpture florentine du XVIe siècle) est vouée à se consumer. Symbolise-t-elle la précarité de toute création, ou faut-il y voir un pied de nez aux goûts artistiques du fortuné maître des lieux? Assurément, elle constitue le clou de la visite pour plus d’un Helvète.

Perplexité, en revanche, sur les bas-côtés, face aux vitrines abritant les objets de Bertrand Lavier – extincteur, moto – sans doute moins inspirantes. Plus avant, certains connaisseurs identifient spontanément les créations, tantôt conceptuelles, tantôt figuratives, de Tatiana Trouvé, Martial Raysse et Rudolf Stingel. Parmi les points forts: l’aile dédiée au plasticien afro-américain David Hammons, inspiré par les questions raciales.

Perspectives

Fresque Une représentation des quatre parties du monde.

L’institution annonce pour février 2022 une exposition majeure consacrée à l’artiste Charles Ray, dont les sculptures figuratives d’acier peint en blanc déboussolent par leur réalisme et leur taille.

Au final, et alors que ces lieux sont moins fréquentés qu’à leur ouverture, qui de la collection ou de son écrin justifie les 14 euros du ticket d’entrée? Car l’entreprise n’a rien de philanthropique. Le musée, probablement déficitaire, est géré par une filiale de la holding Financière Pinault. D’où le doute qui plane sur un possible montage financier visant à alléger sa charge fiscale… une question à 159 millions d’euros.

Evasion: une coqueluche parisienne

La Bourse de Commerce / Collection Pinault fête ses 6 mois d’existence. Bilan provisoire.