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Coronavirus: la lettre aux aînés de Florian Sägesser

«La Côte» propose une lettre adressée aux personnes les plus concernées par le Covid-19. Aujourd’hui elle est signée par notre journaliste et écrivain Florian Sägesser.

16 avr. 2020, 07:00
lettre

Nyon, le 9 avril 2020

Chère amie,

Nous avions pris l’habitude de nous écrire. De belles lettres à l’encre bleue, parce qu’elle nous rappelait la couleur de nos yeux. Les vôtres ne retenaient que l’essentiel, disiez-vous. Votre corps avait beau vaciller, martyrisé par le poids des années, une vie pleine, votre regard ne s’est jamais lassé: jusqu’à la fin il est resté aiguisé, chaleureux et curieux.

Le rythme de nos échanges variait, selon les guerres que nous avions à mener. Le temps nous saisissait à la gorge et ne nous lâchait point. Il serrait ses doigts et l’on étouffait parfois.

Aujourd’hui, je réapprends la lenteur.

Au matin d’une nuit noire de rêves, le gazouillement des oiseaux m’a extirpé des limbes du sommeil. J’ai mis le nez à la fenêtre, et je l’ai vu dans tout ce qui fait sa splendeur: le printemps rajeunit les jours après de trop longs mois d’hiver. Chaque année, il assaisonne davantage ma barbe et mes tempes. Il résiste à tout et revient pour les grands nettoyages, tout ragaillardi, avec son armée de pâquerettes, de pissenlits et de jonquilles.

Les champs ressemblent à des visages fripés.

Les cerisiers refleurissent déjà.

Au Japon, on appelle ce moment précis «hanami», soit littéralement «regarder les fleurs» et apprécier leur beauté. Cette période, très courte, ne dure que quelques jours et me rappelle à quel point tout est éphémère, tout se chérit.

Je vous ai souvent parlé de mon amour pour le Japon; vous m’aviez d’ailleurs offert ce livre de Nicolas Bouvier, avant mon départ pour Tokyo. A mon retour, je n’ai hélas point eu l’occasion de vous raconter l’effervescence de la capitale, la quiétude dans chaque recoin de Kyoto, mon ascension nocturne du Fuji et ce lever de soleil qui m’ont ramené à la vie. 

Vous étiez partie.

Au sommet du Fuji, la vie m’a repris par la main et remis sur le droit chemin. Elle m’a embrassé si tendrement que je n’ai point oublié ce baiser, cette brûlure. A chaque printemps, elle se réveille et me rappelle la beauté des petits riens. Notre fragilité, tout ça.

N’ayez crainte, la vie nous poussera bientôt à avancer. Prudents et humbles. Oh, certes, je vois d’ici les plus hardis s’élancer comme des grands. La bouffant par les deux bouts, la vie, la rongeant jusqu’à la moelle, se croyant tout permis.

Vous auriez trouvé une excuse à tous les téméraires, les rebelles, les doux dingues. Vous saviez vous émerveiller des petites choses. Et claquemurée, vous vous seriez évadée – comme moi. A travers les lettres, des tonnes de lettres. Écrites à l’encre bleue.

 

Si vous désirez contribuer, et écrire votre lettre à nos aînés, vous pouvez adresser votre prose (1500-2500 signes) à entraide@lacote.ch.

Ces lettres sont lues dans l’émission de la RTS «Porte-Plume» diffusée du lundi au vendredi de 11h à 11h30. Une opération en partenariat avec «Le Nouvelliste», «Le Quotidien jurassien», «Le Journal du Jura», «La Liberté», «La Côte» et le mensuel «Générations».

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