Morges, le 12 mai 2020
Chers aînés,
J’ai commencé la rédaction de cette lettre il y a plusieurs semaines, lorsque nous étions, toutes et tous, en isolement à la maison, privés de toute activité quotidienne. C’était la veille de Vendredi Saint. Dehors il faisait grand soleil, et il régnait, souvenez-vous, ce calme, ce silence, si inhabituel.
Je pensais alors à vous. Vous, les aînés de notre pays, vous, dont les plus âgés ont connu d’autres temps de confinement. La vie vous a certainement appris à porter un regard réfléchi, posé, sur les événements du monde. Ce nécessaire recul, qui manque parfois aux gens de ma génération, ou aux plus jeunes d’entre nous. Alors qu’en l’espace de quelques semaines, nous avons assisté à la mise à l’arrêt de notre monde, de l’Orient à l’Occident, assisté au vacillement de nos sociétés, à l’émergence de nouvelles peurs, nous contraignant à l’arrêt de nos occupations régulières, oui, je pensais à vous.
Au-delà des craintes bien légitimes provoquées par cette pandémie mondiale, j’observe que l’arrêt forcé de notre vie frénétique nous laisse, presque démunis. Fallait-il un tel drame pour nous permettre de prendre à nouveau conscience de l’importance de notre humanité? Celle qui nous lie, les uns aux autres. Celle qui nous manque aujourd’hui, alors que nous avons été privés de contacts. Je découvre avec émerveillement que la solidarité n’est pas un mot vide de sens, mais au contraire une valeur fondamentale qui s’exprime avec force depuis des semaines, une valeur qui m’a d’ailleurs toujours animé dans ma vie. Cette solidarité tisse des liens entre les générations, et nous rappelle, enfin, que l’entraide unit les peuples, et qu’elle renforce la paix.
Chers aînés, vous qui pouvez vous prévaloir de l’expérience acquise au cours de votre vie, vous avez connu des temps où cette dernière était moins agitée. Où les besoins quotidiens se limitaient davantage à des choses essentielles. Où les contacts humains ne se nouaient pas à distance. Je le dis sans nostalgie et sans prétendre que c’était mieux ainsi. Mais votre parcours de vie vous a peut-être mieux préparés à cette période d’isolement forcé. Car vous savez, mieux que certains d’entre nous, ce qui signifie la notion qui consiste à «revenir à l’essentiel».
En ce début du mois de mai, où la vie reprend peu à peu, j’espère que vous ne ressentez pas trop de solitude. Nous devons fonder nos espoirs sur les jours meilleurs qui s’annoncent. Nous sommes à l’aube de revivre les balades, les terrasses de café, la douceur du soleil, et, plus que tout, nous attendons avec prudence le bonheur de se rencontrer, de se parler, et de se serrer dans nos bras.
Prenez soin de vous.
Ces lettres sont lues dans l’émission de la RTS «Porte-Plume» diffusée du lundi au vendredi de 11h à 11h30. Une opération en partenariat avec «Le Nouvelliste», «Le Quotidien jurassien», «Le Journal du Jura», «La Liberté», «Vigousse» et le mensuel «Générations».
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