La Suisse avait commandé 5 millions de doses du vaccin allemand à ARN messager Curevac. Coup de théâtre il y a quelques jours: les résultats cliniques du produit sont décevants et l’efficacité ne serait que de 47%. Cette déconvenue s’ajoute à celle d’Astrazeneca (5,3 millions de doses commandées), dont le produit n’est toujours pas homologué en Suisse. Dans quelle mesure cette situation peut-elle remettre la stratégie vaccinale helvétique en question?

1 – Quels effets pour la Suisse?

Blaise Genton, médecin-chef à Unisanté à Lausanne et responsable de la campagne vaudoise de vaccination, se veut rassurant: «Les volumes commandés auprès de Curevac sont inférieurs à ceux des autres vaccins. Y renoncer aura donc des conséquences limitées sur la stratégie vaccinale suisse.» Le fait que Berne a passé commande de 13 millions de doses de Moderna et 6 millions de Pfizer (pour 2021) est une chance, selon le spécialiste. «Comme la Confédération a misé sur plusieurs vaccins grâce à ses ressources financières, elle a de la marge, même en renonçant à certains produits.»

Un avis partagé par Christoph Berger, président de la Commission fédérale pour les vaccinations: «Il n’y a pour l’heure aucune raison de changer notre stratégie. Avec Pfizer et Moderna, la Suisse a assez de vaccins pour continuer à la mettre en œuvre.» Prévoir des doses d’un vaccin non ARN pourrait cependant s’avérer utile «pour les personnes allergiques à la technologie utilisée par Pfizer et Moderna, même si ces individus sont relativement rares».

2 – Trop de vaccins?

Pour Philippe Eggimann, infectiologue et président de la Société médicale de Suisse romande, le nombre élevé de commandes est un gage de sécurité. «En n’homologuant pas l’Astrazeneca, la Suisse se prive déjà de 5 millions de doses sur les 35 millions commandées. Elle risque également de devoir renoncer au Curevac. Quant aux surplus, il s’agissait en partie d’une anticipation de l’automne 2021 lors des commandes à l’été 2020. Peut-être sera-t-il nécessaire d’administrer une troisième dose à certaines personnes, notamment âgées et/ou vulnérables. Avoir des stocks n’est donc pas une mauvaise stratégie.»

A l’heure actuelle cependant, rien n’a encore été décidé quant à une troisième dose et la protection garantie par les deux premières injections semble forte. «Les réserves de vaccins risquent même de s’accroître, car l’on sait désormais que la protection vaccinale dure plus que 6 mois, délai qui avait été anticipé lors des commandes», estime Blaise Genton.

La Confédération examinera la possibilité de distribuer des vaccins à d’autres pays s’ils ne sont pas nécessaires en Suisse.

Maria Foursova, porte-parole de l’OFSP

Ces réserves très importantes soulèvent cependant des critiques. «La Suisse a trop de vaccins», s’insurge Patrick Durisch, de Public Eye. «Ce qui est réservé pour notre pays n’est plus disponible ailleurs. C’est une cause directe du manque dans d’autres Etats, vu les capacités de production actuelles limitées par des droits exclusifs (brevets, etc.). Cette stratégie qui consiste à prendre des marges de sécurité énormes sans se soucier de savoir s’il en restera pour les autres est particulièrement condamnable. Cette espèce d’égoïsme (ou nationalisme) vaccinal est très présent en Suisse aussi», dénonce le responsable.

3 – Que faire du surplus?

«La Confédération examinera la possibilité de distribuer des vaccins à d’autres pays s’ils ne sont pas nécessaires en Suisse», indique Maria Foursova, porte-parole à l’Office fédéral de la Santé publique (OFSP). «Aucune dose de vaccin ne sera stockée en masse ou détruite tant que d’autres pays auront besoin des vaccins Covid-19. L’OFSP examine actuellement, sur mandat du Conseil fédéral, la mise à disposition d’une partie des doses de vaccin commandées à Astrazeneca au système de redistribution Covax. La Confédération informera en temps voulu sur ses décisions.»

La participation à Covax ne convainc pas Patrick Durisch. «Ce système est un cache-misère. On voit aujourd’hui qu’il ne permet pas la livraison de doses dans ces pays. Nous arrivons péniblement à 80 millions de vaccinations, alors que le système était censé distribuer 2 milliards de doses à fin 2021. Les entreprises pharmaceutiques servent d’abord les accords conclus en bilatéral avec les pays riches et ensuite, s’il en reste, c’est pour Covax.» La solution pour le représentant de Public Eye? «Il faut soutenir un changement des règles du jeu qui permettra de diversifier et d’augmenter la production de vaccins de manière décentralisée, de sorte à les rendre accessibles à d’autres pays. Cela implique de soutenir la levée de la propriété intellectuelle et le partage du savoir.»

4 – Accélérer l’homologation du Moderna pour les jeunes?

Pour le moment, seul le Pfizer est autorisé dès 16 ans. «Il n’y a pas d’urgence à homologuer le Moderna pour les 12-18 ans», juge Blaise Genton. «Le Pfizer (dont l’utilisation a été étendue aux 12-15 ans en juin, ndlr) suffit à couvrir les besoins de cette catégorie de population, faible en nombre. En outre, il n’est pas certain que ces jeunes soient nombreux à vouloir se faire vacciner. D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé suggère de privilégier la vaccination des personnes vulnérables dans tous les pays qui le désirent avant de vacciner les jeunes.»

Selon Philippe Eggimann, le virus circulera l’été au sein des populations peu ou pas vaccinées et dans les écoles dès la rentrée. D’où l’importance de vacciner les jeunes. «Cela permettra d’éviter des fermetures de classes et contribuera à protéger les plus âgés. Il existe en effet de fortes corrélations entre un bon taux de vaccination des jeunes contre les maladies respiratoires telles que la grippe ou les infections à pneumocoque, et une baisse de la mortalité des personnes âgées par rapport à ces pathologies.»

A l’heure actuelle, l’OFSP indique que des discussions sont en cours et qu’aucune recommandation n’a été adoptée concernant la vaccination des 12-15 ans. Avec AG

Coronavirus: toutes les nouvelles du dimanche 20 juin

Retrouvez ici toutes les informations de ce dimanche 20 juin sur l’évolution du coronavirus en Suisse et dans le monde.