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Ce que nous pouvons faire contre les «fake news»

Elles sont partout sur les réseaux sociaux. Comment citoyens et médias peuvent-ils lutter contre ces «fake news» qui polluent le débat démocratique? Les pistes de Nathalie Pignard-Cheynel, spécialiste en journalisme numérique.

10 oct. 2019, 05:31
Nathalie Pignard-Cheynel, spécialiste des médias numériques, dans les locaux d'"ArcInfo", le 26 août 2019.

Les «fake news», elle s’y intéresse de près, puisque c’est le sujet de son projet de recherche qui commencera en octobre. Enseignante en journalisme numérique à l’Académie du journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel, Nathalie PIgnard-Cheynel répond à nos questions sur les mécanismes de la désinformation et les moyens de les combattre.

C’est quoi, une «fake news»?

C’est une information volontairement mensongère et qui est destinée à tromper ou à manipuler la personne qui la lira. L’idée d’intention, de manipulation, est importante. Il ne s’agit pas de sites humoristiques comme le Gorafi ou d’informations erronées. Mais cette intention, on ne la voit pas tout de suite.

Pourquoi sont-elles lancées?

Les finalités sont souvent idéologiques. Mais parfois, c’est de l’ordre du buzz, pour susciter des clics sur des sites qui rapportent grâce à la publicité, comme l’ont fait de jeunes Macédoniens pendant la dernière campagne présidentielle américaine. Un trait qui caractérise les «fake news», puisqu’il y a une intention de manipuler, c’est de mimer une véritable information. On copie de vrais sites en formatant les infos pour qu’elles puissent passer pour vraies.

Les «fake news» gagnent-elles du terrain?

Difficile à dire. C’est un sujet polémique dans la communauté des chercheurs. Et il ne faut pas croire que Donald Trump a été élu uniquement grâce aux «fake news» sur les réseaux sociaux: les médias traditionnels (comme la chaîne de télévision Fox News) ou de nouveaux sites (comme celui d’extrême droite Breitbart News) ont aussi joué un rôle important. Des sociologues, dont le français Dominique Cardon, ont plutôt tendance à relativiser l’effet mécanique direct des «fake news».

Et en Suisse?

On observe quelques cas, par exemple des campagnes de dénigrement ou des arnaques en ligne basées sur des «fake news». Mais la Suisse ne semble pas être un terrain favorable. Peut-être parce les réseaux sociaux sont moins centraux dans la diffusion de l’information et que la crédibilité des médias y reste plus forte qu’ailleurs. Et la Suisse est peut-être moins dans le viseur de nations qui utilisent les «fake news» pour déstabiliser un pays lors d’élections.

Pourquoi les «fake news» sont-elles à ce point partagées sur les réseaux sociaux?

Les «fake news» utilisent des ressorts très émotionnels qui favorisent les clics, le partage, l’engagement. Cela repose sur le principe: «J’ai confiance en mes amis, en mon réseau». Pour s’informer, la plupart des internautes font plus confiance à leurs amis qu’aux médias, même reconnus. En plus, sur les plateformes comme Facebook, on peut cibler une population avec certaines orientations politiques, comme l’a montré le scandale Cambridge Analytica. Et les algorithmes de ces plateformes amplifient la diffusion.

Celui qui partage une «fake news» est-il toujours dupe?

Les personnes qui partagent ces «fake news» n’ont pas forcément conscience qu’elles participent à une campagne de désinformation. C’est même plus complexe, parfois, du genre: «Je ne sais pas si c’est vrai ou pas, des médias disent que faux, mais moi j’y crois». C’est le concept de «post-vérité», ou de «fait alternatif» cher à Donald Trump.

Comment savoir ce qui est vrai, alors?

Le brouillage de la notion de vérité complique la tâche, d’autant plus que ceux qui créent les «fake news» jouent sur l’émotion. C’est un moteur puissant. D’ailleurs, certains médias en jouent (ou en ont joué) en privilégiant des actus qui favorisent la peur ou, au contraire, mettent en avant de jolis petits animaux pour doper leur audience. Pour un individu, vérifier les informations n’est pas simple. Les journalistes doivent jouer ce rôle.

Mais que peuvent faire les médias, concrètement?

Ils peuvent déjà rester vigilants et éviter de diffuser dans la précipitation de fausses informations. Quand ils se trompent, ils doivent aussi rectifier et dire qu’ils se sont trompés. Mais surtout, beaucoup de rédactions pratiquent le «fact checking» (la vérification des faits) pour décrypter les nouvelles qui posent problème. D’autres invitent leurs lecteurs à proposer des informations qui seront vérifiées. 

Au quotidien, que peut faire le citoyen pour se protéger?

Il peut développer son «scepticisme émotionnel» décrit par le journaliste canadien Craig Silverman: il faut toujours prendre deux minutes avant de relayer l’information pour ne pas être débordé par l’émotion. Il faut douter de ses réactions instinctives, surtout quand c’est trop beau ou trop moche pour être vrai. Plus l’info est «likée», plus elle a de vues, plus on est tenté de partager, mais il faut précisément se méfier de ces indications qui ne prouvent rien quant à la véracité de l’information. Il faut également s’interroger sur la source, surtout si l’information est surprenante, en allant chercher des informations concordantes sur des sites qu’on connaît bien. En signalant les informations fausses sur les plateformes, on aide également au nettoyage.

Les «fake news» menacent-elles les médias?

Je ne suis pas pessimiste car il y a une prise de conscience des médias, des responsables politiques et même des plateformes. Au contraire, les «fake news» crédibilisent le travail des médias. A eux de prendre garde à ne pas ajouter du flou, du brouillage. Par exemple, il ne faut pas mélanger opinions et faits ou proposer un titre trompeur pour faire du clic à tout prix. Il faut que tout soit clair pour les lecteurs. Les médias doivent continuer de faire ce qu’ils font bien, vérifier l’info, quitte à raconter pourquoi ce n’est pas toujours possible. Et les journalistes doivent expliquer comment ils font leur métier, pour faire prendre conscience de tout ce que cela implique.

 

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