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Les temps longs de la politique. La chronique immobilière de l’EPFL

16 mars 2020, 04:31
Philippe Thalmann, professeur associé et directeur du laboratoire d’économie urbaine et de l’environnement à l’EPFL

La récolte de signatures pour l’initiative «Davantage de logements abordables» a débuté le 1er septembre 2015, quand le taux de logements vacants était de 1,18% en moyenne suisse. Pour mémoire, on considère que le marché fonctionne quand cette proportion de logements proposés à la location ou à l’achat dépasse 1,5%. Les 100 000 signatures requises ont été réunies en six mois, mais il a fallu quatre ans pour que l’initiative soit soumise au peuple. Entre-temps, le taux de logements vacants a atteint 1,66%, soit plus que le seuil de pénurie. Il est passé de 0,96% à 1,83% dans le canton de Fribourg, de 1,28% à 2,39% dans le canton de Neuchâtel et de 1,76% à 2,09% dans le canton du Valais.

Des années pour produire des effets

Les adversaires de l’initiative ont relevé que l’initiative n’était pas nécessaire, puisque la nouvelle possibilité pour les locataires de faire jouer la concurrence entre bailleurs allait faire baisser les loyers. Comme si l’initiative allait immédiatement se traduire en une offre accrue de logements à loyers coûtants.

En réalité, il faut de nombreuses années entre le moment où une initiative est approuvée et le moment où elle produit ses effets, surtout quand le Conseil fédéral et le Parlement ont recommandé son rejet. L’initiative sur les résidences secondaires a été approuvée par la population le 11 mars 2012. La loi et l’ordonnance qui la concrétisent sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016. Par analogie, on pouvait prévoir que les mesures pour davantage de logements abordables entrent en vigueur au début 2024 et que ces logements arrivent sur le marché encore quelques années plus tard.

Il faut donc au moins dix ans entre le lancement d’une initiative et le moment où elle produit ses effets. Dix ans, c’est assez exactement le temps qui a séparé un creux et un pic du taux de logements vacants en Suisse ces dernières décennies: 0,43% en 1989, 1,85% en 1998, 0,90% en 2009, 1,66% en 2019 (taux qui sera certainement surpassé cette année). Cela signifie qu’il faut lancer une initiative contre les effets de la pénurie de logements au moment où cette pénurie est la plus faible, si on veut qu’elle puisse atténuer les effets de la prochaine pénurie!

Un timing pas idéal

En l’occurrence, l’initiative «Davantage de logements abordables» a été pensée probablement à un moment où la pénurie était particulièrement forte. Quand la récolte de signatures a débuté, le marché commençait déjà à se détendre. Elle a été soumise au vote quand la pénurie avait pratiquement disparu dans la plus grande partie de la Suisse. Un timing clairement pas idéal. Il faudrait recommencer le processus aujourd’hui pour être prêt pour la prochaine crise!

Notons au passage que beaucoup de ceux qui se sont opposés à l’initiative en clamant son inutilité continuent de construire des logements, même dans des endroits où ils peinent à trouver des locataires. Leur raisonnement, parfaitement légitime, est que ces bâtiments seront justement prêts pour la prochaine phase de pénurie. C’est curieux comme on peut planifier à long terme dans la promotion immobilière mais vivre dans l’immédiat quand il s’agit de doter les autorités des moyens de faire face aux crises.

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