Les branches mortes, les vieilles souches et les broussailles ont l’air bien inoffensives au pied des forêts. C’est pourtant tout ce dont raffolent les mégafeux pour se propager à grande vitesse comme cet été dans de nombreux pays européens. Cette saison des incendies a été l’une des pires de l’histoire du nord au sud du continent (voir ci-dessous). Si le réchauffement de la planète agit comme facteur aggravant, les failles du dispositif de prévention, entre manque d’entretien des forêts et la gestion inadaptée du territoire, ont facilité les départs et la progression des brasiers.

Trop de forêts sont devenues de véritables poudrières avec une végétation dite combustible constituée de branchages, d’arbres morts et de buissons secs. La foudre ou une cigarette mal éteinte suffit pour tout faire partir en fumée. «L’accumulation de biomasse dans les forêts est un problème majeur car elle n’est plus exploitée et se transforme en combustible à incendies», relève Marco Conedera, ingénieur forestier et chercheur à l’institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL).

L’accumulation de biomasse dans les forêts est un problème majeur car elle n’est plus exploitée et se transforme en combustible à incendies.

Marco Conedera, ingénieur forestier et chercheur à l’institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage

Jesus San Miguel, responsable au sein du Système européen d’information sur les incendies de forêt (EFFIS), à Bruxelles, complète: «Ce combustible laissé en sous-bois a une continuité dans l’espace et dans le temps, parce qu’il permet à l’incendie de se propager rapidement, loin et avec intensité.»

Forêts non entretenues

Au Portugal ou en Grèce, beaucoup de forêts ne sont pas entretenues, parce qu’elles ne génèrent plus de profits. Une négligence révélatrice d’une gestion qui n’est plus à la hauteur du risque incendie dans les pays vulnérables. C’est pourtant sur ce volet que les autorités ont le plus d’emprise pour prévenir les mégafeux ou freiner leur course, vu leur impuissance face à l’autre cause, le changement climatique.

Il faudrait nettoyer mécaniquement ces forêts, en sortant le combustible, mais cela coûte tellement cher que personne ne veut le faire.

Jesus San Miguel, responsable au sein du Système européen d’information sur les incendies de forêt

Débroussaillement, élagage des arbres, nettoyage des chemins d’accès permettent de désamorcer les «bombes forestières». A l’image de la Finlande qui a réussi à réduire fortement les surfaces brûlées. «L’entretien est essentiel», insiste Jesus San Miguel. «Il faudrait nettoyer mécaniquement ces forêts, en sortant le combustible, mais cela coûte tellement cher que personne ne veut le faire.»

Allumer des feux pour en prévenir d’autres

Pourquoi ne pas brûler sur place broussailles et branches? Agent destructeur, le feu peut aussi être mis au service de l’homme. Maîtrisé, il sert à limiter la végétation en sous-bois ou dans les formations non arborées. «Les feux dirigés sont des petits feux de plus faible intensité qui nettoient les sous-bois sans tuer les arbres», détaille Jesus San Miguel.

Autre effet: ils permettent de régénérer la forêt et de favoriser la croissance des arbres, en faisant entrer plus de lumière. Une solution d’avenir aux yeux de Marco Conedera: «Ces feux dirigés sont une nouvelle tendance en Europe», apprécie-t-il. «Ils sont allumés pour prévenir les incendies, à une période moins risquée, c’est-à-dire entre l’hiver et le printemps. Les forêts sont ainsi nettoyées pour plusieurs années. Par ailleurs, il est primordial que la forêt soit habituée aux feux de faible intensité. Sinon l’incendie qui surviendra plus tard sera très fort et incontrôlable.»

Choix des espèces

Le choix d’essence d’arbres moins inflammables et leur mélange sont aussi recommandés. Le Portugal sert de contre-exemple. «Des pins et des eucalyptus qui brûlent bien ont été massivement plantés sur des terres agricoles abandonnées», explique Christian Kull, géographe à l’Université de Lausanne, spécialiste des feux.

Des pins et des eucalyptus qui brûlent bien ont été massivement plantés sur des terres agricoles abandonnées.

Christian Kull, géographe à l’Université de Lausanne

A l’évidence, la déprise agricole a profité aux incendies, à mesure que la nature reprenait ses droits sur ces zones lâchées par les éleveurs, vignerons ou arboriculteurs qui servaient de jardiniers du paysage. L’élevage permettait ainsi de réduire la végétation susceptible de s’enflammer. Les animaux de rente mangeaient la végétation qui ne pouvait ainsi s’accumuler.

«De nombreux pays européens ont mal géré leur aménagement du territoire, quand ils ont vécu le passage de l’agriculture traditionnelle, très capillaire et répandue partout, vers une société de services et d’industries», observe Marco Conedera. «En Europe, on a laissé tomber des terres agricoles peu rentables qui étaient pourtant utiles du point de vue de la protection contre les incendies. On a abandonné des terrains marginaux près de villages, très peu riches en biomasse, donc peu susceptibles de prendre feu, comme les champs d’oliviers.»

Habitations en danger

Ces terrains servaient de remparts sur un secteur-clé: l’interface habitat-forêt. «Le problème est qu’il y a trop de zones de contact entre les activités humaines et les forêts», se préoccupe Christian Kull. «Il faut prendre des mesures pour limiter la présence de combustible autour des maisons, et des infrastructures.» S’il pointe du doigt la gestion du territoire, le géographe estime que les propriétaires ont aussi un rôle à jouer: «Ils doivent nettoyer autour de leur maison, réduire la broussaille, tailler les arbres, mettre de l’espace entre l’habitation et la végétation à risque», avise-t-il.

Aux acteurs qui gèrent le territoire de façonner des paysages moins inflammables et plus résistants aux feux. A condition d’être sur la même longueur d’onde. Difficile de trouver la ligne de crête entre les approches des exploitants des forêts et des écologistes. D’un côté, la fragmentation de l’espace forestier, voire le rasage de massifs, se fait au détriment des objectifs de conservation de la nature. De l’autre, la préservation de grand massifs forestiers denses, étendus et non exploités n’est pas nécessairement compatible avec une politique d’atténuation du risque incendie. Avec un risque de violent retour de flammes en été.

Canicules urbaines: les arbres pourraient réduire la mortalité

Une étude menée dans 93 villes d’Europe a montré que planter plus d’arbres pourrait réduire d’un tiers les décès liés aux canicules grâce à une baisse des températures.