Après avoir agité la veille la "carotte" d'un référendum pour trancher publiquement le sort du parc à l'origine de la crise, Recep Tayyip Erdogan a une nouvelle fois manié le "bâton" en priant les centaines de personnes qui continuent à l'occuper nuit et jour de quitter les lieux sur le champ.
"Nous avons gardé notre patience jusqu'à présent mais la patience touche à sa fin. Je lance mon dernier avertissement: mères, pères, s'il vous plaît, retirez vos enfants de là", a-t-il lancé lors d'un discours à Ankara.
"Nous ne pouvons pas attendre plus longtemps parce que le parc Gezi n'appartient pas aux forces qui l'occupent. Il appartient à tout le monde", a plaidé Recep Tayyip Erdogan.
Scrutin évoqué
Depuis vingt-quatre heures, le gouvernement a fait monter la pression sur le dernier carré des protestataires, épargné par l'opération des forces de police qui ont repris mardi manu militari le contrôle de la place Taksim.
Et le président Abdullah Gül a lui loué la modération de la police et du pouvoir politique.
Mercredi soir, le Premier ministre a fait un geste en proposant, lors d'une réunion avec une dizaine de "représentants" du mouvement choisis par les autorités, un référendum municipal sur le projet d'aménagement de la place et l'avenir du parc.
Mais le vice-Premier ministre Huseyin Celik, qui a rendu compte de la rencontre, a immédiatement suggéré que cette offre ne pourrait se concrétiser sans l'évacuation des occupants.
Critique lancée
Jeudi matin, son collègue de l'Intérieur Muammer Güler a répété la même mise en garde. "Tout ceci doit s'arrêter", a-t-il insisté.
Dans les rangs des manifestants, l'idée du référendum a été fraîchement accueillie et les injonctions du gouvernement balayées d'un revers de main.
"Il y a déjà une décision de justice, qui a imposé l'arrêt des travaux d'aménagement du parc Gezi. Dans ces conditions, il n'est pas légal d'envisager une consultation populaire pour décider du sort du parc", a dit à l'AFP Tayfun Kahraman, de la principale coordination des occupants du parc, Solidarité Taksim.
Le 31 mai, un tribunal administratif d'Istanbul avait ordonné la suspension des travaux de reconstruction d'une caserne de l'époque ottomane à la place du parc, dans l'attente d'un jugement sur le fond concernant la légalité du projet du gouvernement.
"Nous resterons au parc Gezi avec nos tentes, nos sacs de couchage, nos chansons, nos livre, nos poèmes et toutes nos revendications", a déclaré l'avocat Can Atalay au nom Solidarité Taksim.
Milliers de manifestants
Greenpeace a aussi pointé du doigt les difficultés juridiques d'un référendum, mais s'est réjouie de la "transparence" de la méthode. "Aucun référendum significatif ne peut avoir lieu dans le climat actuel de peur et de répression policière", a-t-elle toutefois jugé.
M. Erdogan a écarté jeudi toute objection juridique et confirmé sa volonté d'en appeler aux habitants de la mégapole turque.
Retranchés sous "leurs" platanes, les irréductibles du parc Gezi ont reçu tard mercredi soir le soutien de plusieurs milliers de personnes qui ont réinvesti la place Taksim malgré la présence de centaines de policiers, avant de quitter les lieux dans la nuit sans incident.
"Il est indispensable que Gezi demeure un parc, que la violence s'arrête et que les responsables soient l'objet d'enquêtes", estime un architecte membre de la délégation qui a rencontré le Premier ministre, Ipek Akpinar.
Accusation par Davutoglu
Dans la capitale Ankara, par contre, la police antiémeute a lancé des gaz lacrymogènes mercredi soir pour disperser quelque 2000 manifestants.
L'intransigeance de Recep Tayyip Erdogan lui a valu de nombreuses critiques et a écorné son image à l'étranger. Jeudi, le Parlement européen a exprimé sa "profonde inquiétude" face à "l'intervention brutale de la police" contre les manifestants.
Piqué au vif, le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu a jugé "inacceptable" la résolution européenne, répétant que son pays était une "démocratie de toute première classe". "Vous vous prenez pour qui ?", a lancé aux Européens Recep Tayyip Erdogan.