En octobre 2017, les médias américains «New York Times» et «New Yorker» publient des enquêtes fracassantes sur des accusations de harcèlement sexuel contre le jusque-là intouchable producteur hollywoodien Harvey Weinstein. Les actrices Rose McGowan, américaine, et Asia Argento, italienne, témoignent.

Le 14 octobre, la journaliste française Sandra Muller lance le hashtag #BalanceTonPorc sur Twitter et appelle les femmes à dénoncer les cas de harcèlement sexuel qu’elles ont subis dans le cadre de leur travail.

Le lendemain, Alyssa Milano, star de la série «Charmed», reprend le message en anglais, incitant les femmes à révéler les actes dont elles ont été victimes avec le hashtag «Me too» (moi aussi). Les vannes du mouvement #MeToo viennent de s’ouvrir.

L’avènement de #MeToo aux Etats-Unis provoque une déflagration mondiale, inspirant de nombreuses femmes qui tentent de libérer la parole autour des violences sexuelles dans leur pays. Voici quelques exemples de la façon dont le mouvement a essaimé à travers le monde, avec des répercussions diverses.

France

Durant les cinq années suivantes, les révélations se succèdent sur les agissements présumés de personnalités politiques de premier plan, du monde des médias et de la culture.

Asia Argento et Rose McGowan, au centre, à Rome en 2018. Photo EPA/MASSIMO PERCOSSI

En 2018, la presse révèle que l’ex-animateur Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, a été accusé de viol en 2008. Mazarine Pingeot publie «Se taire», très vraisemblablement inspiré de l’affaire. L’enquête a été classée sans suite en septembre dernier.

En 2021, c’est au tour de Patrick Poivre d’Arvor, ex-présentateur du journal de 20 heures de TF1, d’être l’objet de plusieurs plaintes: une trentaine de femmes l’accusent de violences sexuelles. Parmi elles, la journaliste Hélène Devynck, qui vient de publier un ouvrage, «Impunité». Certaines plaintes ont été classées sans suite. Le journaliste a tout démenti. L’enquête se poursuit.

Parmi les autres personnalités françaises visées figurent le réalisateur Luc Besson ou l’écrivain Gabriel Matzneff, dont les penchants pédophiles, déjà largement connus en raison de ses écrits, sont dénoncés par Vanessa Springora dans son livre «Le Consentement», paru début 2020.

L’ouvrage déclenche un débat autour de la notion d’emprise dans les relations «amoureuses». Gabriel Matzneff a été entendu en audition libre en août dernier.

Tout récemment, le secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts (EELV) Julien Bayou, a démissionné suite aux accusations de harcèlement moral de son ex-compagne.

En septembre dernier, «Le Canard enchaîné» révèle que l’épouse d’Adrien Quatennens, membre influent du parti de Jean-Luc Mélenchon La France insoumise (LFI), a déposé une main courante pour des faits supposés de violence conjugale. Adrien Quattenens s’est depuis mis en retrait de la vie politique. Jean-Luc Mélenchon continue de le soutenir.

Suisse

#MeToo a aussi contribué à délier les langues et, sans aucun doute, à la Grève des Femmes du 14 juin 2019, qui dénonce notamment les violences et le harcèlement sexuel. Des hashtags apparaissent également sur les réseaux sociaux, comme #SwissMediaToo, qui dénonce les cas de harcèlement dans les médias, ou #payetonepfl.

En janvier 2021, avec d'autres victimes d'inceste, l'ancienne Miss Suisse Sarah Briguet témoigne dans «L'illustré» des abus qu'elle a subi enfant. La Valaisanne a depuis publié le livre «Miss à mort».

Sur le plan légal, des élues s’engagent pour que la notion de viol soit modernisée. Le Conseil des Etats a validé en juin une nouvelle définition: toute forme de pénétration, quel que soit le sexe de la victime, doit être considérée comme un viol.

Les sénateurs ne sont toutefois pas allés aussi loin que l’Espagne en préférant l’expression du refus au consentement sexuel explicite, à la déception des milieux féministes.

Manifestation à Lausanne en novembre 2017. Photo Keystone/Laurent Gilliéron

Suède

Dans ce pays en pointe sur l’égalité femmes-hommes, #MeToo ébranle jusqu’à la prestigieuse Académie qui décerne les prix Nobel: le Nobel de littérature est reporté d’un an après l’accusation en 2017 de viols et d’agressions sexuelles par 18 femmes du Français Jean-Claude Arnault, époux d’une académicienne.

Depuis juillet 2018, une loi sur le consentement sexuel considère comme viol tout acte sexuel sans accord explicite. Cette loi pionnière a entraîné une importante hausse des inculpations et des condamnations pour viols, selon des statistiques nationales.

Espagne

En 2018, la condamnation pour simple «abus sexuel» de cinq auteurs d’un viol collectif à Pampelune, qui s’étaient filmés et vantés en ligne, fait descendre dans la rue des dizaines de milliers d’Espagnoles, scandant «moi je te crois, ma sœur».

Des témoignages estampillés du hashtag #Cuéntalo («Raconte-le!») pullulent sur les réseaux. En 2019, la Cour suprême requalifie les faits de «viol en réunion» et porte les peines à quinze ans de prison. En août 2022, l’Espagne intègre à son Code pénal l’obligation du consentement sexuel explicite.

Afrique du Sud

En été 2019, après le viol et le meurtre d’une étudiante de 19 ans, Uyinene «Nene» Mrwetyana, dans un poste de police du Cap, le hashtag #AmINext (suis-je la prochaine) enflamme les réseaux sociaux. (Le même hashtag avait été utilisé avant l’avènement de #MeToo par une activiste Inuit du Canada pour alerter sur l’indifférence de la société face aux disparitions de femmes indigènes.)

La lutte contre les violences sexuelles a été décrétée priorité nationale dans ce pays où une femme est assassinée toutes les trois heures, et plus de 100 plaintes pour viol enregistrées chaque jour.

Tunisie

#EnaZeda («Moi aussi») émerge en 2019 après la vidéo d’une jeune fille montrant l’ex-député Zouhair Makhlouf se masturbant dans sa voiture. Il a écopé, depuis, d’un an de prison.

Le mot-clé entraîne une vague inédite de témoignages de victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles. L’ONG Aswat Nissa («Voix des femmes») relaie sur Facebook des récits, anonymes ou non.

Le mouvement a «poussé les femmes à oser parler et se défendre (…) et a réduit la tolérance à l’égard du harcèlement sexuel», affirmait l’ONG en 2021. Mais «il n’a pas réellement changé le regard des hommes sur le harcèlement et encore moins le regard social sur la sexualité».

Israël

La révolution #MeToo a touché la communauté fermée des ultra-orthodoxes, où des associations comme Lo Tishtok («Tu ne te tairas point») portent la voix des victimes.

Fin décembre 2021, Chaim Walder, auteur à succès et icône ultra-orthodoxe, se suicide après des accusations, qu’il avait rejetées, de crimes sexuels sur une vingtaine de personnes., dont des enfants.

Plus tôt, une autre figure du monde orthodoxe, Yehuda Meshi-Zahav, était accusée d’agressions sexuelles et de viols sur adultes et mineurs. Il est décédé en juin après avoir passé un an dans le coma à la suite d’une tentative de suicide.

Iran

En 2020, au moins 20 femmes accusent, via les réseaux sociaux, un libraire de Téhéran de les avoir droguées et violées, déclenchant une vague de témoignages sous le mot-clé #tadjavoz («viol»). La vice-présidente Masoumeh Ebtekar, chargée des Femmes et de la Famille, encourage les femmes à dénoncer de tels méfaits.

De nouvelles accusations fleurissent sur Twitter touchant des universitaires et des artistes. En juillet 2022, le libraire est condamné à mort pour «corruption sur Terre».

Chili

Le collectif LasTesis, créé par quatre femmes trentenaires, se fait connaître pendant les manifestations sociales d’octobre 2019, avec la chanson «Un violador en tu camino» (un violeur sur ton chemin) à la chorégraphie devenue virale.

Leur hymne, qui clame «Ce n’était pas ma faute, ni l’endroit où j’étais ni la façon dont je m’habillais… Le violeur, c’est toi», a été entonné à Paris, Barcelone, Bogota, Mexico ou Lausanne. En 2020, le magazine «Time» inclut le collectif dans sa liste annuelle des 100 personnes les plus influentes au monde.

Inde

Dans la foulée de #MeToo, M. J. Akbar, un ancien rédacteur en chef devenu ministre, est accusé de harcèlement sexuel par une journaliste, Priya Ramani, bientôt rejointe par d’autres consœurs sur Twitter. Contraint de démissionner, M. J. Akbar a perdu son procès en diffamation en 2021.

Des dizaines d’hommes ont été poussées à la démission dans le journalisme, la politique, le théâtre, le cinéma ou même le cricket. Depuis, le mouvement s’est essoufflé sans parvenir à changer les règles d’un pays connu pour ses violences sexuelles et la rareté des condamnations.

Corée du Sud

En janvier 2018, la procureure Seo Ji-Hyeon raconte à la télévision les entraves professionnelles rencontrées en dénonçant le harcèlement sexuel infligé par un supérieur. Cette interview ouvre les vannes à de nombreux témoignages visant hommes politiques, réalisateurs, écrivains.

La même année, des femmes manifestent tous les mois contre le «molka», une mode voyeuriste qui consiste à filmer des femmes à leur insu dans la rue, toilettes publiques, bureau… Et à diffuser ces images volées.

Mais si le précédent président, Moon Jae-In, était sensible aux revendications féministes, son successeur Yoon Suk-Yeol est élu en mai 2022 notamment sur la promesse de fermer le ministère de l’Egalité des sexes.

Chine

Alors que dans d’autres pays la parole se libère, le hashtag ne prend pas dans le pays. Selon la RTS, dans les jours qui ont suivi le lancement de #MeToo, le hashtag n’a été partagé qu’une centaine de fois sur le réseau social Weibo. Les autorités assurent que le harcèlement sexuel est un problème propre aux sociétés occidentales.

Mais en novembre 2021, toujours sur Weibo, la joueuse de tennis Peng Shuai accuse l’ancien vice-premier ministre Zhang Gaoli de viol. Son message est rapidement effacé, certainement censuré par les autorités. La semaine suivante, l’ancienne vainqueur de Roland-Garros en double disparaît. Plus aucun signe de vie.

Le 20 novembre, des images de la joueuse en public sont diffusées pour la première fois depuis le début de l’affaire. Elle s’entretient également par visioconférence avec le président du CIO Thomas Bach.

Malgré cette volonté de rassurer sur le sort de Peng Shuai, les soupçons de manipulation se multiplient. En février 2022, elle déclare qu’elle n’a jamais disparu et prétend n’avoir jamais accusé personne d’agression sexuelle.

Autre affaire retentissante: le procès en appel de ce qui est considéré comme le premier dossier #MeToo de l’histoire du pays s’est tenu cet été à Pékin. Zhou Xiaoxuan, 29 ans, avait accusé en 2018 un présentateur vedette, Zhu Jun, de l’avoir embrassée et caressée de force alors qu’elle était stagiaire quatre ans plus tôt à la télévision.

Zhou Xiaoxuan en septembre 2021 à Pékin. Photo EPA/ROMAN PILIPEY

Les accusations de la jeune femme avaient déclenché une avalanche de témoignages similaires sur les réseaux sociaux. Zhou Xiaoxuan a vu sa plainte en appel rejetée.

Raphaëlle Picard, AFP
Florian Papilloud

Etats-Unis: Harvey Weinstein jugé coupable de viol et agressions sexuelles

L’ex-producteur hollywoodien Harvey Weinstein a été reconnu coupable d’un viol et de deux agressions sexuelles à Los Angeles. Les jurés n’ont toutefois retenu que la moitié des chefs d’accusation.