Vladimir Poutine avait fait une allusion floue de l’ennemi, en évoquant la «dénazification» de l’Ukraine dans sa longue logorrhée du 24 février qui avait valeur de déclaration de guerre. Son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a mis un nom dessus jeudi dernier, au moment de justifier le bombardement de l’hôpital pour enfants de Marioupol: le régiment d’Azov. S’il sert de justificatif à la propagande russe, ce groupe d’extrême droite aux origines néonazies exerce une influence marginale sur le conflit et la société.

1 L’Ukraine, un repaire de néonazis?

Croix gammée, salut nazi, soleil noir… Les hommes en noir du régiment d’Azov ne renient pas leurs origines, affichant les symboles du Troisième Reich dont un logo qui renvoie aux SS. «Ils aiment déployer une certaine esthétique fascisante comme les marches avec des torches, le culte du Leader», accorde Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. «C’est une droite dure sur les questions socioculturelles, hostiles aux LGBTQ, aux Roms, à la culture dite décadente.» Des membres ont ainsi été accusés d’avoir organisé des pogroms contre les Roms, à Kiev, en janvier 2018. «Azov s’est fait connaître par sa bravoure au front mais aussi par ses actions de vigilantisme (ou autojustice, ndlr) dans la rue, en s’en prenant aux groupes marginalisés», nuance le professeur.

C’est une droite dure sur les questions socioculturelles, hostiles aux LGBTQ, aux Roms, à la culture dite décadente.

Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Fondé par le néonazi Andreï Biletsky en mai 2014 dans le sillage de la révolution Maïdan, le groupe ne doit pas pour autant être rangé dans cette catégorie. Si des têtes pensantes et d’autres membres restent d’obédience néonazie, cette orientation idéologique n’est plus le moteur d’adhésion. Le régiment d’Azov n’a plus rien à voir avec le bataillon de 2014, assure Adrien Nonjon, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales, à Paris: «Le noyau dur de néonazis et de gens d’extrême droite du début a été noyé dans la masse. Quand le groupe a été intégré à la Garde nationale ukrainienne en 2014, des éléments dépolitisés ont grossi les rangs. Sa base de recrutement s’est élargie car il avait une bonne image et de la discipline.»

2 Comment a pu prospérer Azov?

Le régiment d’Azov domine largement la mouvance de l’extrême-droite en Ukraine. «Il est plus juste de parler de droite radicale, c’est-à-dire une droite prête à utiliser la violence pour arriver à ses fins», nuance Dominique Arel. La formation paramilitaire en a fait sa signature. «Ses partisans ont l’expérience de la violence de par leur culture paramilitaire et leur origine: ils viennent des milieux hooligans du football», ajoute Adrien Nonjon. Ce groupe né à l’est du côté de Kharkiv n’était constitué que de quelques centaines d’hommes, quand il est apparu en mai 2014 en marge de Maïdan. Ses membres ont pris la défense des prodémocrates lors du sursaut populaire contre le président Viktor Ianoukovitch.

Des bataillons nationalistes de volontaires dont celui d’Azov ont été appelés par le gouvernement pour faire la guerre.

Adrien Nonjon, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales à Paris

Celui qui n’était que le bataillon d’Azov s’est fait une réputation l’été suivant lors de la guerre dans le Donbass opposant le gouvernement ukrainien aux séparatistes prorusses. «Des bataillons nationalistes de volontaires dont celui d’Azov ont été appelés par le gouvernement pour faire la guerre», rappelle Adrien Nonjon. De quoi renforcer une armée ukrainienne moribonde. Très discipliné, Azov s’illustre en remportant plusieurs victoires décisives, dont un trophée: la ville de Marioupol arrachée aux séparatistes prorusses.

Après les premiers accords de Minsk I, signés le 5 septembre 2014, le bataillon est intégré à la Garde nationale avant de devenir un régiment. «La stratégie de l’Etat a été de coopter les groupes radicaux comme Azov, de les intégrer aux structures officielles.» Pas mieux qu’une tutelle du ministère de l’Intérieur pour contrôler ces paramilitaires remuants. Seul Pravyi sektor s’y est refusé. Pravyi sektor? Secteur droit en français. Créée à l’ouest, cette formation d’extrême-droite a perdu de son lustre après Maïdan. «Si Secteur droit appartient au nationalisme historique ukrainien, Azov est un mouvement néonationaliste qui projette la question ukrainienne au-delà de leurs frontières, défendant l’idée d’une troisième voie entre l’Occident et l’Eurasie.»

3 Pourquoi l’Etat tolère ces groupes?

Dans un contexte de guerre, l’activité des groupes paramilitaires dans la rue a été tolérée par l’Etat. «Il a été défaillant sur de nombreux points notamment régaliens», estime Adrien Nonjon. «Comme il n’a pas le temps de s’occuper de cela, une opportunité s’est présentée pour ces formations. Il les a laissés prospérer dans la rue.» Secteur droit et le régiment d’Azov ne se contentent pas de faire le sale boulot dans les espaces publics. Ils continuent de s’engager sur le front. Prenons Azov: de quelques centaines d’hommes en 2014, il peut compter sur 3500 à 5000 combattants aujourd’hui, évalue Adrien Nonjon. Une contribution modeste à l’effort de guerre, comparé aux quelque 200 000 soldats de l’armée ukrainienne.

Le régiment d’Azov est aussi marginalisé sur l’échiquier politique. Son parti Corps national créé en 2016 ne recueille que des miettes lors des élections. Tout comme Secteur droit et l’autre parti d’extrême-droite Svoboda: moins de 2% entre les deux à la présidentielle de 2019.

4 Quelle responsabilité d’Azov dans la guerre?

Moscou voit dans la présence dans le Donbass du régiment d’Azov l’incarnation d’un ferment ultranationaliste censé rendre impossible la paix dans la région. Un des prétextes pour passer à l’offensive. Pour Dominique Arel, l’activité du groupe d’extrême-droite ne porte pas de responsabilité dans le déclenchement de la guerre: «Le président russe s’en prend à l’Etat ukrainien lui-même, pas à Azov. Il prétend à tort que l’armée ukrainienne est contrôlée par ces “fascistes” et commet les pires atrocités contre la population civile du Donbass.»

Des rapports d’Amnesty international en 2014 et des Nations unies en 2016 ont néanmoins dénoncé en 2014 des crimes de guerre commis par des groupes paramilitaires dont ceux du régiment d’Azov. «Mais cela vaut aussi pour les forces prorusses», estime Dominique Arel. «Et rien ne mettait en danger les civils du Donbass en 2022. Les morts et les réfugiés, c’était il y a huit ans.»

Pologne: découverte des restes de 8000 victimes de la terreur nazie

Enquêtant sur des crimes nazis et communistes, l’Institut polonais de la mémoire nationale (IPN) a annoncé la découverte de 17,5 tonnes de cendres humaines vers un ancien camp de concentration nazi, en Pologne.