«Ceci n’est pas un projet artistique», préviennent Kostiantyn et Vlada Liberov sur leur compte Instagram. La photo est pourtant d’une beauté troublante. Dimanche, ce couple d’Ukrainiens a partagé sur ses réseaux sociaux une image aussi forte que tragique: celle de centaines de missiles russes tombés sur Kharkiv depuis le début de la guerre.

Les engins de mort gisent comme dans un cimetière, immense tas de ferraille enchevêtrée, sous le regard de deux soldats ukrainiens. Ils symbolisent le feu qui s’abat presque sans discontinuer sur la deuxième ville du pays, depuis le 24 février.

«Cette photo est une preuve visuelle de la cruauté inhumaine des Russes, et de la façon dont ils approuvent le génocide du peuple ukrainien», témoigne Vlada Liberov.

Seulement la moitié des missiles tombés sur Kharkiv

Les deux photographes, mariés et associés depuis plusieurs années, sont parvenus à avoir accès au site après plusieurs requêtes auprès de la police locale. «Les habitants racontent que ce cimetière était deux fois plus grand il y a quelques semaines», explique la jeune femme.

On peine pourtant déjà à prendre conscience des ravages qu’ont pu causer les centaines de missiles mis en évidence par le couple. «En regardant cette photo, vous pouvez imaginer le nombre de vies ruinées, de maisons détruites, d’écoles, de jardins d’enfants dévastés… Kharkiv était une ville paisible», s’émeut la photographe.

Après la libération de Kharkiv, en mai dernier, les enquêteurs scientifiques ont prélevé de nombreux projectiles de ce cimetière de métal, afin de les expertiser et de prouver d’éventuels crimes de guerre. La masse hideuse de ces monstres de métal ne laisse que peu de place au doute: «Les Russes ont tiré sur une population pacifique», martèlent les deux époux.

Récupérée par le ministère de la Défense

Cette image forte, marquante, a immédiatement été récupérée comme un outil de communication par le pouvoir ukrainien. Sur son compte Twitter, le ministère de la Défense l’a érigé en symbole de la «barbarie russe».

«Nous ne pouvions pas imaginer qu’une telle chose se produirait et nous ferons tout pour éviter que cette tumeur ne dévore le monde entier», écrit-il en légende de la photo. Car la ville est dans l’œil de Moscou, qui tente de nouveau d’y pénétrer ces dernières semaines. 112 villages des environs étaient encore sans électricité dimanche en raison des bombardements.

Illustrer l’indescriptible

Kostiantyn et Vlada Liberov n’étaient pas destinés à photographier les misères de la guerre. Avant de devenir bien malgré eux les témoins du pire, le couple avait l’habitude d’immortaliser des mariages. «Nous n’avions jamais travaillé sur un théâtre de guerre et nous ne pouvions imaginer un seul instant que nous le ferions», témoigne le couple.

De Kharkiv à Kiev, en passant par Sieverodonetsk, Mikolaïv, Boutcha ou encore Irpin, les deux époux sillonnent leur patrie mutilée, au plus près des lignes de front, pour montrer l’indescriptible.

Le regard bleu azur d’un anonyme Ukrainien, le visage maculé de boue, la détresse des habitants livrés à eux-mêmes, le feu salvateur des canons ukrainiens: leurs photos infiniment belles, infiniment tristes, paraissent désormais dans les médias du monde entier.

De cette mission tragique, une nouvelle vocation est née. «Nous sommes devenus photographes de guerre pour montrer au monde la vérité sur notre pays. C’est notre contribution, si petite soit-elle, à notre victoire», confient les époux.

«Ce qui a commencé comme un appel de l’âme et une obligation morale s’est transformé en un grand projet qui occupe maintenant toute notre vie», ajoutent-ils. Car Kostiantyn et Vlada se le sont promis: une fois la guerre terminée, ils abandonneront définitivement la photographie de mariage et poursuivront leur «mission» de photoreporters.

Hugues Maillot / Le Figaro

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