L'interpellation de l'ancien champion du monde d'échecs et de huit autres opposants russes "n'était pas une mesure proportionnée au maintien de l'ordre public", ont estimé les juges européens en condamnant la Russie jeudi pour violation du droit de manifestation.
La police avait interpellés les neufs opposants à Moscou en 2007 pour empêcher leur participation à une manifestation contre le recul des libertés.
Cette manifestation, agendée le 14 avril 2007, avait finalement été interdite. Les opposants avaient été immédiatement présentés devant un tribunal et condamnés à une amende le jour même avant d'être libérés après une dizaine d'heures de garde à vue.
Garry Kasparov, alors un des dirigeants du mouvement d'opposition L'Autre Russie, avait été retenu pendant cinq heures dans un commissariat avant d'être conduit devant un tribunal. Il y avait été condamné à une amende de 1'000 roubles (35 francs) pour participation à une marche non autorisée.
Pas de témoignages
L'ancien champion d'échecs avait cependant contesté s'être trouvé à un endroit et à un moment où la manifestation n'était pas autorisée, mais s'était vu refuser le droit de faire entendre par tribunal des témoins qui auraient pu corroborer sa version.
"Le juge a estimé pareille mesure superflue et a accepté sans difficulté la thèse de la police", a relevé la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Les juges européens condamnent la Russie pour violation du droit à un procès équitable, les neuf interpellés n'ayant pas eu la possibilité de faire valoir les témoignages ou éléments de preuve à l'appui de leur version des faits.
Arrêtés à 1,4 kilomètre
La Cour de Strasbourg se dit "disposée à admettre" les risques de trouble à l'ordre public qui avaient motivé l'interdiction de la manifestation prévue en plein centre de Moscou. Elle note toutefois que les requérants ont été arrêtés à 1,4 kilomètre du périmètre de sécurité établi par la police autour de la place Rouge.
La Cour se dit en outre "pas convaincue" par l'argument des autorités russes, selon lequel la manifestation risquait de déborder sur la place Rouge. Garry Kasparov et ses compagnons ont toujours affirmé qu'ils se rendaient sur le lieu proche du centre où les autorités avaient autorisé un simple rassemblement.
61'000 francs de réparations
Les requérants obtiennent un total de 50'000 euros (61'000 francs) à titre de réparations de leur dommage moral. Les autorités russes devront verser 10'000 euros à Garry Kasparov, qui réside désormais à Genève. Deux autres requérants recevront la même somme, et six autres 4'000 euros chacun.
Cette décision n'est pas définitive: Moscou a trois mois pour demander un nouvel examen de cette affaire, ce que la Cour n'est toutefois pas tenue de lui accorder.
Garry Kasparov, 50 ans, a été l'un des fondateurs des mouvements d'opposition L'Autre Russie et Solidarité, devenant un des principaux opposants du Kremlin. Ces dernières années, il s'est surtout fait le porte-parole de l'opposition à l'étranger. Il a annoncé en juin depuis Genève qu'il ne rentrerait pas en Russie, par crainte de poursuites judiciaires pour ses activités politiques.