Cela fait déjà près d’un mois que Pedro Martinez se réveille chaque matin avec le grondement du volcan. Cet informaticien et surfeur, habitué au fracas des vagues, ne se fait toujours pas aux sourdes explosions qui proviennent des profondeurs de la terre. Sa maison se situe à seulement cinq kilomètres de la bouche principale du Cumbre Vieja (le Vieux Sommet) qui, depuis le 19 septembre, crache sans relâche des milliers de tonnes de magma.

Depuis son jardin, recouvert par les cendres, il peut distinguer le rouge flamboyant de la lave qui ensevelit tout sur son passage. Selon le système européen d’observation de la Terre, Copernicus, 1548 bâtiments ont été détruits par ces coulées, lesquelles ont enseveli jusqu’à présent une superficie de plus de 700 hectares, soit l’équivalent d’environ 980 terrains de football. «C’est un spectacle à la fois magnifique et terrifiant», assure depuis sa fenêtre, ce trentenaire dont les parents viennent de perdre, comme des centaines d’autres agriculteurs, leur exploitation de banane, la principale culture des Canaries.

Une fatalité acceptée

Le réveil du volcan était pourtant prévisible. Au cours des cent dernières années, l’île a connu à deux reprises des éruptions. Ramon, le père de Pedro, se souvient de celle de 1971, qui avait fait peu de dégâts, l’île étant beaucoup moins peuplée. «Nous savons que nous vivons sur une île volcanique, nous devons la fertilité de notre terre à nos volcans et l’erreur est de penser que nous allons être épargnés», commente ce septuagénaire, lequel a déjà prévenu son fils qu’il refusait de déménager.

Les 85'000 habitants de La Palma sont certes sonnés par la puissance dévastatrice du volcan, mais pour la majorité d’entre eux, cette fatalité est de l’ordre du naturel. Et pour les résidents de la vallée d’Aridane, dans le sud-ouest de l’île, la zone la plus touchée par la catastrophe naturelle, il n’est pas question de refaire leur vie ailleurs dans l’île. La plupart ont communiqué leur intention de reconstruire là où la lave a tout ravagé sur son passage.

Dans un entretien au quotidien local «Diario de avisos», le président régional des Canaries, Angel Victor Torres, assure préparer un décret pour pouvoir urbaniser les sols recouverts de lave, lesquels sont considérés comme des espaces naturels.

Je sais que je ne vais rien retrouver, que mes souvenirs sont partis en fumée, mais j’ai besoin de voir ce qu’il reste sur place,

Maria del Paz, épicière à Todoque

Or l’impatience des habitants pour retourner sur leur lieu de vie entre en collision frontale avec les prévisions des scientifiques. «Ce serait comme aller sur Mars, commente le volcanologue David Calvo. C’est le pire endroit de l’île pour pouvoir construire, parce que ça prendrait des mois ou des années pour que ces terres refroidissent». En outre, la coulée de lave, qui recouvre les terres est devenue «un terrain irrégulier, avec des pentes importantes, des dénivelés et un sol difficile à travailler», ajoute-t-il.

Relogée dans un hôtel touristique, Maria del Paz, qui tenait une épicerie à Todoque, le premier village à être enseveli par les coulées de lave, partage également le rêve de revenir chez elle. «Je sais que je ne vais rien retrouver, que mes souvenirs sont partis en fumée, mais j’ai besoin de voir ce qu’il reste sur place», assure-t-elle.

Chiens réfugiés sur un toit

Au total, quelque 6000 personnes ont dû être évacuées. Les autres résidents restés dans les villages à proximité du volcan reçoivent régulièrement l’ordre de se confiner et de calfeutrer portes et fenêtres à l’aide de linges humides. «C’est pire que pendant le confinement, car on doit parfois rester des journées entières sans mettre le nez dehors car l’air y est irrespirable», assure Pedro.

Dans les zones dites d’exclusion, les images prises par drones montrent des villages déserts, où seules quelques bâtisses surgissent, encerclées par la lave. C’est le cas d’une maison à flanc de colline, devenue célèbre, car sur son toit, trois chiens abandonnés y ont trouvé refuge. Une entreprise privée les nourrit et les abreuve par drone.

L’évacuation a dû s’effectuer dans la plupart du temps dans la précipitation. «J’ai dû faire la sélection d’une vie entière en trois valises. J’ai pris les papiers importants, quelques souvenirs, des vêtements et mon chat», raconte Maria del Paz, encore émue. Comme la majorité des personnes directement affectées, elle a bénéficié de l’aide du gouvernement local et de la solidarité des Espagnols. Elle se rend chaque jour au gymnase de Los Llanos, l’un des quatre lieux mis à disposition pour recevoir les dons de vêtements et de nourriture. «Il y en a tant que la mairie a dû demander de stopper tous les dons, car elle est débordée», explique la jeune femme.

Le gouvernement central de Pedro Sanchez a annoncé également qu’une enveloppe de 206 millions d’euros allait être débloquée pour remettre sur pied l’île. «C’est bien toutes ces aides, mais cela ne nous rendra pas nos souvenirs, nos habitudes. Et même si on revient sur place un jour, on ne retrouvera nulle trace de notre vie d’antan», confie Pedro.

Volcan aux Canaries: 3000 personnes confinées

De potentielles émanations toxiques liées à une nouvelle coulée de lave ont provoqué le confinement de quelque 3000 habitants de l’île espagnole de La Palma, dans l’archipel des Canaries.