L’odeur colle à la peau. Comme la petite combinaison blanche qu’il faut enfiler par mesure d’hygiène pour visiter la porcherie de Peter Z’Rotz, à la ferme du Château, à Gorgier (NE).

Cet éleveur a accepté de nous accueillir car, il en est convaincu, en montrant la manière de travailler des agriculteurs suisses, la population saura faire le bon choix le 25 septembre prochain et glissera un «non» à l’initiative contre l’élevage intensif. Trouver un exploitant prêt à ouvrir ses portes n’a pourtant pas été aisé (lire l’encadré).

Sur son domaine d’environ 50 hectares, le Nidwaldien de 60 ans et ses fils Elias et Roman, 21 et 26 ans, cultivent différentes variétés de céréales, élèvent une cinquantaine de vaches laitières et s’occupent surtout de 56 truies reproductrices ainsi que de quelque 480 porcs à l’engrais. C’est le double de la moyenne suisse, qui s’établit à 240 têtes, avec toutefois une grande variabilité entre les exploitations.

A l’année, quelque 1500 porcs sont emmenés à abattoir depuis cette ferme, soit l’équivalent de 120 tonnes de viande. 90% de la production va finir sur les étals des magasins Migros, tandis que le reste partira chez un boucher de la région.

Quelque 480 porcs à l'engraissement et 56 truies d'élevage vivent sur le domaine de la famille Z'Rotz, dans le canton de Neuchâtel. Photo: Bernard Python

Six mois de vie, puis l’abattoir

Chez les Z’Rotz, un porc vit environ 5 mois et demi, le temps d’atteindre entre 100 et 115 kg. Une truie 4 à 5 ans en moyenne, jusqu’à donner naissance à 7 à 8 portées, soit un total de quelque 100 porcelets. Les éleveurs ne le cachent pas: il faut assurer une certaine productivité pour tourner; les races de porcs sont sélectionnées en conséquence. La viande produite doit aussi respecter des critères précis – pas trop grasse ou issue de porcs pas trop gros – pour être achetée au meilleur prix.

Il y a beaucoup de passion derrière ce métier, des centaines d’heures supplémentaire pour assurer le bien-être des animaux.

Elias Z’Rotz, éleveur porcin

Pour autant, les bêtes sont «très respectées» et ne sont pas élevées de manière intensive, assurent les Z’Rotz. «Je peux le dire la conscience tranquille: les animaux sont bien traités chez nous. Il y a beaucoup de passion derrière ce métier, des centaines d’heures supplémentaire pour assurer leur bien-être. Si ce n’était pas le cas, ils seraient en mauvaise santé et notre production serait directement pénalisée. Nous avons tout intérêt à nous assurer de leur qualité de vie», souligne Elias Z’Rotz.

Ici, les agriculteurs s’occupent de toute la chaîne, de l’ensemencement des truies jusqu’à l’engraissement des porcs. Cette pratique ne se retrouve pas beaucoup ailleurs: en général, les agriculteurs sont plus spécialisés et ne s’occupent que d’une partie de la filière porcine.

«Pour nous, c’est important de pouvoir travailler sur l’ensemble du processus, y compris la nourriture que nous produisons autant que possible sur nos terres et qui ne contiennent ni OGM, ni antibiotique», explique Peter Z’Rotz, qui a quitté la Suisse alémanique pour s’installer à Gorgier en 1999.

Des porcelets tètent leur mère – une truie peut peser entre 200 et 300kg – dans les boxes de «mise bas». Ils restent habituellement un gros mois près d’elle avant d’être déplacés. Photo: Bernard Python

D’un box à l’autre

La visite mène dans les différents bâtiments, contenant les boxes qui accueillent les animaux. Une truie s’énerve lorsqu’on lui emprunte l’un de ses petits pour une photo. Au fur et à mesure de sa vie, une bête passe d’un box à l’autre, du premier avec sa mère et le reste de sa portée, au dernier lieu d’engraissement, un peu plus d’un mois avant d’être envoyée à l’abattoir. Toute une existence enfermée dans quelques dizaines de mètres carrés. L’éleveur nous signale les «jeux» – une chaîne et une écuelle – mis en place pour les plus jeunes, les systèmes chauffants et de rafraîchissement qui s’enclenchent dès 25 degrés.

Les porcelets peuvent être jusqu’à 27 dans ce box, avec une partie intérieure où ils peuvent se nourrir et se reposer au chaud, et une extérieure où ils ont accès à des «jeux». Photo: Bernard Python

Moutons noirs «rarissimes»

L’espace à disposition dans les lieux de vie est réglementé par des minima légaux en fonction de la taille de l’animal. L’exploitation de Peter Z’Rotz est labellisée IP-Suisse, soit des exigences plus élevées, mais toujours moins que le Bio, dont le cahier des charges serait imposé dans 25 ans à tous les éleveurs si le «oui» devait l’emporter.

Avec son label, les porcs bénéficient ainsi de quelques mètres carrés en plus et de la possibilité de sorties à l’extérieur (ce qui n’est pas imposé par la loi). En gros, le box en revêtement en dur est coupé en deux, une partie intérieure et une autre extérieure. Chez les éleveurs bio, les cochons ont droit à un accès à un pâturage, mais les effectifs maximaux restent les mêmes: 1500 porcs à l’engraissement.

Des moutons noirs qui ne sont pas dans les règles, il y en a dans tous les métiers, mais ce sont des cas rarissimes chez nous.

Gaël Monnerat, président de la section romande de Suisseporcs

«Les porcs cherchent le contact, la chaleur des congénères. Même si vous leur laissez tout un terrain de football comme espace, ils se regrouperont tous dans un coin», assure Gaël Monnerat, président de la section romande de Suisseporcs, la faîtière de la branche.

Egalement présent lors de la visite, cet éleveur porcin jurassien dénonce les méthodes des militants antispécistes. «En venant filmer la nuit lorsque les bêtes s’entassent pour avoir chaud, on va jusqu’à emprunter les codes des films d’horreur. En journée, lorsque le soleil brille, la réalité semble bien différente. Des moutons noirs qui ne sont pas dans les règles, il y en a dans tous les métiers, mais ce sont des cas rarissimes chez nous.»

«Nous accueillons d’ailleurs déjà des protecteurs des animaux dans nos fermes», ajoute-t-il en rappelant que c’est la protection suisse des animaux (PSA) qui, au moins une fois par année, se charge des contrôles surprises dans les porcheries IP-Suisse.

D’après les éleveurs, les porcs oscillent entre curiosité et crainte lorsqu’ils sont en contact avec des humains. Photo: Bernard Python

Perte de production estimée à 40%

Peter Z’Rotz l’admet: il n’a pas le même attachement à ses cochons qu’il l’aurait avec un animal de compagnie. Mais quand il entend qu’il ne respecte pas ses bêtes, cela lui fait «mal», souffle-t-il en se pressant la poitrine. Son fils Elias pense qu’il est toujours possible de «faire des progrès» et veut s’y employer à l’avenir. Mais, pour lui, le respect de l’animal signifie aussi que le gaspillage doit diminuer et que les consommateurs se mettent à manger davantage de morceaux moins nobles de la bête.

Pour les trois hommes, un «oui» à l’initiative serait dévastateur. Les Z’Rotz estiment qu’ils devraient revoir en profondeur leurs infrastructures et réduire leur production de 40%. Selon eux, cela ne fait pas sens alors que le marché du bio – environ 3% du total – ne décolle pas dans le secteur. Pire, il serait déjà «saturé» aujourd’hui.

«Cette initiative ne se justifie pas. Nous sommes déjà plus avancés que les autres pays. On exporterait la responsabilité de la production, avec des filières moins bien surveillées, et le risque de perdre l’expertise et le professionnalisme que nous avons développé jusqu’à maintenant», s’irrite Elias Z’Rotz.

Son père reprend: «Il est juste que la consommation de viande baisse un peu, nous sommes montés très, voire trop haut. Mais, pour moi, l’équilibre alimentaire passe par manger de la viande en quantité raisonnable. On parle beaucoup des végétariens, des véganes, mais ils ne représentent aujourd’hui encore que quelques pourcents de la population.»

La famille Z’Rotz a inauguré un nouveau bâtiment destiné à l’engraissement en 2019. Il permet d’accueillir 480 porcs dans différents boxes avec accès à l’extérieur. Photo: Bernard Python

Les porcs peuvent accéder à un espace extérieur en tout temps. Des buses sont installées pour les rafraîchir à partir de 25 degrés. «Ces animaux sont très sensibles à la température», pointe Peter Z’Rotz. Photo: Bernard Python

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