La récente étude de Swiss Corona menée par l’Université de Bâle a mis en évidence leur exposition au stress, à l’anxiété et au risque de présenter des symptômes dépressifs pendant et après la pandémie. A la fondation Pro Juventute, les chiffres sont éloquents: les consultations sur les idées suicidaires ont doublé entre 2019 et 2022. Au cours du 1er semestre 2022, les consultations sur les «angoisses» ont augmenté de 30% et les consultations sur les canaux du 147.ch sur les maladies psychiques de 10%. L’Association romande CIAO – qui a deux sites: ciao.ch pour les 11-20 ans et ontécoute.ch pour les 18-25 ans – dresse un constat similaire.

Dans le domaine de la santé mentale, les jeunes ont longtemps été à la traîne des préoccupations des politiques de santé publique. La première édition du mois de la santé mentale lancée par l’Etat de Vaud est l’occasion de mettre en lumière la nécessité de renforcer la prévention à l’égard des jeunes.

Les campagnes de prévention pour les toucher restent une problématique de communication très complexe.

Les jeunes ne se sentent pas légitimes de ne pas aller bien.

Marjory Winkler, ciao.ch

Nommer le mal-être

La santé mentale imbrique de nombreux éléments au quotidien. Faire la part des choses implique de prendre du recul, ce qui est difficile en situation de souffrance.

Anxiété, angoisse, stress, sont des termes qui recouvrent un tableau clinique en psychologie, mais dans la vie de tous les jours, ils sont utilisés à tout propos. Or, comme le souligne Emilie Bovet, chercheuse et enseignante à la Haute Ecole de Santé du Canton de Vaud (HESAV), les 18-25 ans qui souffrent d’une anxiété diffuse tout comme le stress qu’ils ressentent, peut traîner leur mal-être longtemps.

Marjory Winkler, directrice de la Fondation ciao.ch, observe que «les jeunes ne se sentent pas légitimes de ne pas aller bien et, dans le même temps, beaucoup d’entre eux se sont sentis délaissés pendant la pandémie avec des conséquences durables». D’où l’importance des messages de prévention pour les aider à reconnaître les symptômes qui accompagnent leur ressenti réel mais indéfinissable.

Construire les campagnes de prévention

Les campagnes de prévention, affiches et vidéos pour circuler sur les réseaux sociaux, de ciao.ch ou Pro Juventute, se construisent en partant des constats des besoins des jeunes sur les thématiques les plus fréquentes.

ciao.ch enregistre plus de 3000 questions par an à partir desquelles des situations sont élaborées pour s’adresser concrètement aux jeunes concernés. «Nous organisons des groupes focus avec des jeunes pour évaluer la façon dont le message est perçu et nous vérifions qu’il n’y a pas de double interprétation possible», précise Marjory Winkler. Cependant, même en travaillant avec eux, les messages ne font pas toujours mouche, ajoute-t-elle.

«Nous cherchons surtout des dénominateurs communs pour qu’ils se reconnaissent dans nos campagnes de prévention. Nous constatons que ce n’est pas plus facile d’entrer dans leur monde en imitant leur registre langagier et il est important de construire le message en concertation avec les jeunes», affirme de son côté, Amélie Giafferi, responsable Conseils Suisse romande au 147.ch.

Ecouter la parole des jeunes est primordial mais reste difficile, or il faut absolument valider leurs angoisses, car elles sont légitimes.

Emilie Bovet, HESAV

Jeunes et soignants en même temps

A la Haute école de santé vaudoise, le mois de la santé mentale se manifeste par une campagne qui s’adresse aux jeunes soignants en formation que la pandémie a précipités sur le terrain, très tôt dans leurs études. «Ils ont été propulsés du jour au lendemain dans les hôpitaux et les EMS, cet apprentissage en accéléré auprès de personnes en souffrance physique et psychologique s’est aussi fait aux dépens de leur propre santé mentale sur laquelle ils ont dû se pencher», explique Emilie Bovet.

La campagne, à travers 10 messages, les sensibilise aux problèmes auxquels ils seront confrontés pendant leur cursus, alors qu’ils embrassent des professions qui subissent énormément de pression. Pour celles et ceux qui trouveront la force de rester dans la filière médicale et paramédicale, «ils deviendront des soignants formidables, mais également des ambassadeurs de la santé mentale au sein de leurs cercles sociaux», relève Emilie Bovet.

L’affaire de tous

La prévention et la promotion de la santé mentale auprès de la population des plus jeunes entre 11 et 20 ans doivent relever le défi de leur parler directement et de toucher l’ensemble des adultes avec lesquels ils sont en relation, choisie ou forcée.

Comment retenir l’attention des adultes, à l’école, dans les clubs de sports et de loisirs, dans la famille et le cercle social proche, pour que chacun les accompagne sans faux pas dans cette problématique si complexe de la santé mentale?

50%

Augmentation des consultations sur les idées suicidaires par 147.ch

«Ecouter la parole des jeunes est primordial, mais reste difficile. Or, il faut absolument valider leurs angoisses, car elles sont légitimes», constate Emilie Bovet. Trop souvent, les inquiétudes qu’ils expriment sont minimisées par l’entourage adulte, rompant ainsi le lien de confiance dont ils ont absolument besoin pour communiquer sur un sujet aussi difficile.

Dans la vie quotidienne, «c’est à nous de nous ajuster, même lorsque l’enfant ou l’adolescent est dans une position de repli, en nous intéressant à ce qui les maintient dans leur bulle, comme les écrans par exemple», appuie Amélie Giafferi.

Les pièges

Les injonctions positives pour rassurer l’enfant, l’adolescent ou le jeune adulte qui va mal sont contreproductives et toxiques, comme l’a bien mis en avant la campagne sur le site HESAV. Elles le tirent vers le bas. Le résultat est qu’il se sent en échec de ne pas réussir à dépasser son état anxieux ou dépressif. Les injonctions négatives qui listent tout ce qui ne va pas sont tout aussi délétères. «Il faut tant bien que mal sortir du conseil et des certitudes d’adulte qui sait ce qui fait du bien pour aller mieux», conseille Amélie Giafferi.

La sollicitude mal orientée de l’entourage, et notamment des pairs qui veulent bien faire, est également à prendre avec des pincettes, car elle ramène constamment celui ou celle qui est en souffrance dans sa condition de fragilité. La prise en charge de la santé mentale de façon précoce revient toujours à l’écoute. «Il faut apprendre à écouter, il n’y a pas de sage ou un âge de la sagesse qui donnerait des clés de compréhension quand on est confronté à la maladie mentale d’un proche», selon Marjorie Winkler.

Il faut tant bien que mal sortir du conseil et des certitudes d’adulte qui sait ce qui fait du bien pour aller mieux.

Amélie Giafferi, 147.ch.

Communiquer sur les ressources

Les 18-25 ans sont les plus démunis. Les messages répétés qui les incitent à consulter des professionnels de santé se heurtent à leur réalité financière. Le changement de loi sur la LAMal qui permet désormais aux psychologues-psychothérapeutes de facturer leurs prestations à la charge de l’assurance obligatoire des soins à titre indépendant sur prescription médicale, devrait faciliter leur accès aux soins en santé mentale.

Au 147.ch, 22 professionnels se relaient nuit et jour pour répondre aux jeunes qui s’adressent à eux via différents canaux, comme le mail, le téléphone, le chat ou WhatsApp. Les parents qui souhaitent être aidés dans l’accompagnement de leur enfant sont également bien reçus sur les plateformes de 147.ch et de ciao.ch, tant pour parler que pour être orientés vers des pistes plus ou moins médicalisées.

La santé mentale des jeunes enfin mise en avant

La santé mentale des jeunes qui ont des difficultés à se focaliser sur un avenir prometteur et sont en perte de motivation devient une préoccupation majeure.