Une frénésie solaire s’est emparée des Alpes suisses et valaisannes. Jusqu’à l’automne passé, les installations photovoltaïques étaient limitées aux zones déjà construites. Il était inimaginable de mettre un panneau solaire hors de la zone à bâtir sans un long processus législatif. Mais en septembre, tout a changé très vite grâce à une motion du conseiller aux Etats valaisan Beat Rieder.

Non seulement la Confédération autorise désormais de grandes centrales sur les alpages, mais elle les subventionnera jusqu’à 60% du montant investi si elles sont partiellement en fonction fin 2025.

Cette loi a les inconvénients de sa célérité. Voté en urgence, dans la crainte de pénuries d’énergie, le texte comporte des parts d’ombre. Si cinq projets ont été présentés en Valais, et d’autres suivront au niveau suisse, tous ne verront pas la lumière du soleil. Analyse en quatre points.

1. Un coup du Haut-Valais

Beat Rieder, Mitte-VS, spricht waehrend der Herbstsession der Eidgenoessischen Raete, am Donnerstag, 29. September 2022 im Staenderat in Bern. (KEYSTONE/Anthony Anex) © KEYSTONE / ANTHONY ANEX

Beat Rieder au Conseil des Etats, lors de la session de septembre 2022 © Keystone/Anthony Anex

«Tant qu’il reste un potentiel de développement suffisant sur des constructions et installations existantes, il doit être exploité en priorité.» Depuis 2012, cette position commune de plusieurs offices fédéraux excluait la construction de centrales solaires hors des zones bâties, en mettant sur un pied d’égalité environnement, énergie et aménagement du territoire.

Ainsi, lorsqu’en septembre 2021, l’ancien élu socialiste haut-valaisan Peter Bodenmann lance l’idée d’une grande ferme solaire sur un alpage de Gondo, les réactions sont à la fois intéressées et résignées. Au-dessus de 2000 mètres, le rendement des panneaux solaires est meilleur et, surtout, ils produisent autant, voire plus, en hiver, lorsque les besoins sont les plus grands, qu’en été. Mais pour réaliser le projet, il faudrait modifier le plan directeur cantonal, le faire valider par le Grand Conseil et par le Conseil fédéral. Les chances d’aboutir sont très minces.

C’est la première fois dans l’histoire suisse qu’une loi urgente est présentée et votée dans la même session.

Beat Rieder, conseiller aux Etats du Centre

Une année plus tard, un autre Haut-Valaisan, le conseiller aux Etats centriste Beat Rieder, renverse la table. Durant les débats sur l’initiative pour les glaciers, il réoriente les discussions sur une loi urgente en faveur du solaire alpin que la Chambre haute valide à l’unanimité. «C’est la première fois dans l’histoire suisse qu’une loi urgente est présentée et votée dans la même session», relève Beat Rieder. Quelques jous plus tard, le conseiller d’Etat Roberto Schmidt annonce la création d’un groupe de travail afin d’appliquer la nouvelle loi. La rapidité est de mise. Les promoteurs qui auront installé des unités tests avant l’hiver pourront appuyer leurs demandes avec des chiffres dès le printemps 2023.

La production d’énergie solaire prime désormais jusqu’en 2026 sur les autres considérations et les procédures d’autorisations sont accélérées. Les installations seront même subventionnées jusqu’à 60% des montants investis.

2. La jungle d’une loi urgente

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Prévu sur une ancienne carrière, le projet d’Hérémence est celui qui aurait le moins d’impact sur la nature.

Le contexte, ici, est important. Avec la guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie, la Suisse s’est brutalement souvenue d’un phénomène que les spécialistes du secteur tentaient pourtant de lui rappeler depuis de nombreuses années: elle dépend fortement de ses voisins pour se fournir en énergie. En hiver, elle risque même la pénurie d’électricité. En 2022, les autorités parlaient d’économies, de contingents. «Sans énergie, l’économie ne peut pas fonctionner. Nous devions réagir. La population ne veut pas du nucléaire, les éoliennes et la grande hydraulique subissent des recours paralysants, le solaire alpin était la meilleure solution», explique Beat Rieder.

Un sentiment de panique traverse le pays et le Parlement. Le président de l’autorité fédérale indépendante de régulation dans le domaine de l’électricité conseille l’achat de bougies et de bois de chauffage. Le texte est accepté sous la crainte de pénurie et il s’en ressent. Car si, dans cette course aux subventions, les conditions de la victoire semblent claires, le risque est, en l’état, trop grand pour les perdants.

Il est impossible de rentabiliser une centrale solaire alpine sans subvention.

Amédée Murisier, directeur énergie hydraulique chez Alpiq

«Il est aujourd’hui impossible de construire une centrale alpine sans subvention. L’électricité issue du solaire alpin ne peut actuellement rivaliser avec les prix d’autres énergies», affirme Amédée Murisier, cadre chez Alpiq et promoteur de trois projets en Valais. Or, pour toucher de l’argent public, les installations devront être en partie fonctionnelles au 31 décembre 2025. Et la loi fixe à 2TWh annuels la limite de production de tous les projets additionnés. Rien qu’en Valais, les projets de centrales de Gondo et du Vispertal dépasseraient ensemble ce plafond. Selon Beat Rieder il y aurait plus de vingt projets en Suisse et ce nombre devrait encore augmenter.

«Manque de finesse» de la loi

Si la production totale dépasse largement la limite, certaines installations partiellement ou totalement construites seront-elles exclues du subventionnement? On peut en douter. «Personne ne commencera les travaux sans avoir obtenu de subventionnement.». Et si les autorisations sont délivrées par les cantons et les communes, la Confédération devra coordonner les réalisations dans la limite des 2 TWh. Attendue pour mars, l’ordonnance d’application devra clarifier ce point. Et ce qui s’apparente aujourd’hui à une course où le premier arrivé sera le premier servi n’en est pas une. «Dans une telle optique, il serait dommage que les premiers projets ne soient pas les meilleurs. J’espère que le législateur fera en sorte que les projets soient financés selon le coût au kWh», explique Stéphane Maret. Le directeur des FMV et partenaire de Grengiols Solar ajoute: «Aujourd’hui, nous prenons un risque limité car nous n’avons financé qu’un avant-projet. Mais plus nous avançons dans les démarches, plus ce risque grandit. Il pourrait devenir énorme si l’ordonnance ne précise pas les conditions de subventionnement.»

Plus nous avançons dans les démarches, plus le risque grandit.

Stéphane Maret, directeur des FMV

Sur ce point, Beat Rieder reconnaît que le texte «manque de finesse»: «La mécanique n’est pas encore réglée, mais c’est un détail.» L’élu milite pour l’augmentation du plafond maximum de production: «Nous avons besoin de 6 TWh à 8 TWH, en hiver. Pourquoi nous limiter à 2 TWh?»

3. Pénurie de personnel et de matériel

Des ouvriers posent des panneaux solaires sur le toit du stade de Geneve, ce mardi 12 novembre 2019 a Geneve. Une centrale solaire est en cours d'installation sur le toit du Stade de Geneve par les Services industriels de Geneve (SIG). Les quelque 5000 m2 de panneaux photovoltaiques permettront de produire 1,1 GWh d'electricite, soit l'equivalent de la consommation de 367 menages. (KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi)

La demande de panneaux photovoltaïques a explosé ces dernières années. © Keystone/Salvatore Di Nolfi

Cette offensive solaire se tiendra dans un marché déjà tendu. «La crainte d’une pénurie et la hausse des prix de l’électricité ont radicalement renforcé la demande chez les particuliers et les entreprises. Les carnets de commandes sont pleins», affirme Stéphane Belliot, président de l’Association valaisanne des installateurs solaires. Conséquences, la main-d’œuvre qualifiée et le matériel manquent. «Dans beaucoup d’entreprises, les délais d’attente avant l’installation peuvent atteindre une année, si elles n’ont pas pu renforcer leur effectif. Et comme la demande en photovoltaïque est mondiale, nous devons jongler avec les fournisseurs, faire des stocks. La plupart des fabricants se retrouvent à vendre des panneaux qu’ils n’ont pas encore construits», ajoute Stéphane Belliot.

Beaucoup d’inconnues

Mais si ces phénomènes risquent de compliquer la construction de plusieurs kilomètres carrés de centrales solaires dans les Alpes, ils ne devraient pas l’empêcher. «La question de la main-d’œuvre sera problématique. Mais j’ai confiance. Ce n’est pas le même métier que sur les toits, nous aurons besoin de compétences proches de la montagne, comme celles des installateurs de paravalanches», explique Amédée Murisier.

Il y a encore une année, personne ne parlait de photovoltaïque alpin.

Stéphane Maret, directeur des FMV

Quant au matériel, il ne manquera pas, selon Christophe Ballif, professeur à l’EPFL et directeur de la branche photovoltaïque du CSEM: «La construction de panneaux solaires connaît une croissance fulgurante. Il y en aura pour nous, d’autant plus que les 2 TWH prévus par le Parlement ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des projets européens.» Un constat partagé par Stéphane Maret, qui a d’autres préoccupations. «Je me fais davantage de souci pour le personnel et pour les appareils électroniques autour, comme les onduleurs. Il y a beaucoup d’inconnues dans cette offensive solaire et c’est normal. Je vous rappelle qu’il y a encore une année, personne ne parlait de photovoltaïque alpin», ajoute Stéphane Maret.

4. Sonnée, l’opposition se réveille

Vera Weber von der Fondation Franz Weber, spricht mit einem Journalisten waehrend der Debatte zur Zweitwohnungsinitiative im Nationalrat, an der Fruehlingssession der Eidgenoessischen Raete, am Donnerstag, 12. Maerz 2015, in Bern. (KEYSTONE/Peter Schneider)

La rapidité avec laquelle cette loi a franchi la validation des deux Chambres fédérales a laissé les opposants sans voix, dans un premier temps. La manœuvre, d’ailleurs, était habile. Favoriser le solaire parle positivement à une population bercée par le concept de transition énergétique. Aucun référendum n’a été lancé pour tuer le texte dans l’œuf. «Nous aurions perdu. Nos arguments sont inaudibles dans ce contexte», reconnaît Vera Weber, présidente de la Fondation Franz Weber.

Le Parlement a fait fi des lois sur l’aménagement du territoire, sur la protection de la nature et du patrimoine.

Vera Weber, présidente de la Fondation Franz Weber

Ce d’autant plus que les cinq élus verts au Conseil des Etats ont accepté cette loi en échange de l’obligation d’installer des panneaux solaires sur les nouvelles constructions de plus de 300 m2, une position qui a été peu suivie par leurs collègues de parti au National. «J’ai le plus grand mal à comprendre ce compromis. Vouloir sacrifier la nature sur l’autel de l’énergie et du climat, c’est le monde à l’envers», réagit Vera Weber. Cheffe du groupe des Verts au Grand conseil valaisan, Céline Dessimoz partage ce sentiment: «Notre section est contre tous ces projets, même ceux qui semblent acceptables comme celui d’Hérémence, envisagé sur une ancienne carrière. Le premier levier d’action, c’est de réduire la consommation, notamment en isolant les bâtiments, et de lutter contre le gaspillage. Si nous faisons cela, nous n’avons besoin ni de nucléaire, ni de centrales sur les alpages.»

Entraver les défenseurs de l’environnement

Mais c’est la méthode qui choque le plus les opposants. «Ce qui s’est passé est énorme. Le Parlement a fait fi des lois sur l’aménagement du territoire, sur la protection de la nature et du patrimoine», s’insurge Vera Weber. Céline Dessimoz ajoute: «Ces lois représentent des années de compromis obtenus de haute lutte. Le spectre d’une crise énergétique a tout fait voler en éclat. Nous ne sommes pas du tout dans une réaction politique mesurée à laquelle nous sommes habitués dans ce pays.»

Derrière cette loi urgente se cache la volonté de certaines forces politique de réduire les possibilités d’action des associations de défense du paysage et de la nature.

Christian van Singer, vice-président de la Société suisse pour l’énergie solaire

Dans le «Matin Dimanche», la Société suisse pour l’énergie solaire évoque des idées «saugrenues» issues d’un «lobbyisme important» et se faisant détourner du réel potentiel solaire, les toits. Son vice-président, Christian van Singer, précise: «Certains de ces projets pourraient faire sens. Mais il serait plus juste d’analyser les sites potentiels avant de légiférer et de lancer une course mal encadrée. Derrière cette loi urgente se cache la volonté de certaines forces politiques de réduire les possibilités d’action des associations de défense du paysage et de la nature.»

Face à ces arguments, Beat Rieder invoque la nécessité d’agir: «Je suis très factuel. Ces trente dernières années, la consommation d’énergie n’a fait qu’augmenter, malgré les incitations pour rénover les bâtiments et économiser. On peut parler de sobriété, mais on ne transforme pas une société en dix ans, or, la crise est là, aujourd’hui, alors que les alternatives manquent. Les gens qui critiquent cette loi ne présentent pas de solution.»

Reste que, pour les défenseurs de l’environnement, un cap a été franchi avec ce texte. «Nous avons été évincés du processus et nous craignons de l’être encore lors d’une nouvelle loi urgente concernant l’éolien», tranche Vera Weber.

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