Prêter une troisième fois son épaule à une piqûre contre le Covid-19? Jugée inutile à la mi-septembre, une troisième dose de vaccin Pfizer ou Moderna est de moins en moins exclue. Même si les hospitalisations restent à bas niveau, les perspectives épidémiologiques pour les semaines à venir ne sont pas au beau fixe. Selon Philippe Eggimann, président de la Société de médecine de Suisse romande (SMSR), il faut faire démarrer la campagne pour la troisième dose sans tarder.

Philippe Eggimann, chaque fois que l’on parle de la troisième dose de vaccin, Swissmedic rappelle qu’il lui incombe de donner le feu vert. Cela vous énerve?

Je crois qu’on joue avec les mots. Je ne comprends pas cet attentisme. Que change une troisième dose du point de vue de la toxicité et des risques? Je ne vois objectivement pas ce qui peut changer entre la deuxième et la troisième dose. Surtout lorsque l’on sait que chez les personnes âgées, l’immunité baisse progressivement. Swissmedic n’a pas discuté et accepte que chez les gens immunosupprimés, pour lesquels on montre que la réponse n’est pas bonne, reçoivent déjà une troisième dose. Cette catégorie englobe par exemple les transplantés ou ceux qui reçoivent de la cortisone à bonne dose. Par ailleurs, les médecins cantonaux ont diffusé l’information qu’une troisième dose était possible pour eux. Partant de ce fait objectif, je ne comprends pas qu’on refuse la troisième dose des gens de plus de 60-65 ans, en majorité vaccinés depuis plus de 6 mois.

Pour vous, cette attitude prudente ne relève plus de la science?

Je m’interroge sur la pertinence des arguments contre la troisième dose. Pour moi, comme pour une grande partie des décisions qui ont été prises durant cette quatrième vague, il s’agit davantage de politique que de science.

Il s’agit davantage de politique que de science.

A-t-on des données scientifiques pour mettre tout le monde d’accord?

On commence à en avoir. Une publication remarquable datant de quelques semaines qui a paru dans «New England Journal of Medicine», un des journaux médicaux les mieux quotés au monde, apporte les preuves de l’efficacité de la troisième dose. Cette étude montre qu’une dose de rappel administrée six mois après à plusieurs centaines de milliers de gens âgés de plus de 60 ans a permis une réduction très importante des infections et des cas graves par rapport à ceux qui n’avaient pas reçu de rappel.

Le résultat est-il éloquent?

Il n’y a pas photo. Dans le groupe qui a reçu une troisième dose six mois après la deuxième, les gens sont 8 à 9 fois moins hospitalisés que ceux qui n’ont reçu que deux doses. Vous me direz qu’il n’y a pas beaucoup d’hospitalisés en Suisse chez les personnes âgées. Nuance: on voit que les gens de 80 ans ont quand même été davantage hospitalisés par rapport aux autres catégories d’âge durant la quatrième vague. Vous avez vu que l’on observe parmi ces cas de gens âgés double vaccinés dont la réponse immunitaire au variant delta n’est pas optimale.

Compte tenu de ces éléments, je ne comprends pas pourquoi Swissmedic et OFSP se renvoient la balle pour lancer la campagne de la troisième dose. Je m’étonne. J’ai lu avec intérêt que le président des médecins cantonaux suisses dit qu’il faut y aller!

Cette étude israélienne est-elle déterminante pour lancer la campagne?

Nous avons des éléments objectifs de données de littérature scientifique qui montrent qu’Israël, sur une large population de personnes âgées, a atteint une meilleure protection suite à une troisième dose. Nous avons aussi une étude chez les soignants qui ont été vaccinés avec trois doses au début de l’année 2020, également en Israël, qui montre que, même chez les plus jeunes, l’immunité baisse un tout petit peu.

Israël a atteint une meilleure protection suite à une 3e dose.

Les autorités sanitaires d’autres pays ne sont pas en reste pour recommander la troisième dose et n’ont pas autant de prudence que la Suisse…

Oui, et je ne crois pas que les membres de leurs comités scientifiques soient moins compétents qu’en suisse. Non seulement l’Autorité française de santé mais aussi le CDC (Centre de contrôle et de prévention des maladies, ndlr) aux Etats-Unis recommandent la troisième dose pour les plus de 65 ans. Vu l’innocuité des vaccins que nous utilisons en Suisse, nous devrions appliquer le principe de précaution. Nous pouvons nous baser sur des centaines de millions de personnes âgées dans le monde qui ont été vaccinées sans problème. Quelques millions ont reçu une troisième dose. Ce processus est très bien surveillé et je ne crois pas qu’on puisse s’attendre à de nouveaux effets secondaires inquiétants. En revanche, les personnes âgées, lorsqu’elles développent des formes graves de Covid-19, peuvent en décéder.

Selon vous, il est moins cinq…

Organiser la vaccination de plus d’un million de personnes qui, en Suisse, ont été vaccinées entre janvier et mars 2021, c’est-à-dire les plus âgées et les plus à risques, probablement celles qui ont l’immunité la plus basse, prend du temps. Il va falloir quelques semaines pour les vacciner au minimum. Nous ne pouvons pas attendre que l’on se retrouve tout à coup avec une flambée des cas pour réagir.

Organiser la vaccination de plus d’1 million de personnes prend du temps.

Comment organiser cette campagne afin que l’on puisse rapidement vacciner un million de personnes?

De la même manière que nous avons organisé la première campagne au début de l’année. Nous devrions commencer par les plus de 75 ans, les personnes qui ont des comorbidités graves et ensuite les 65 ans et remonter la chaîne. Il est vrai que nous avons moins de centres de vaccination qu’au début de l’année mais nous en avons un certain nombre.

Coronavirus: cantons et Confédération en attente sur Swissmedic pour recommander la 3e dose

Les cantons doivent se préparer à proposer une troisième dose de vaccin contre le Covid-19, en particulier aux personnes de plus de 80 ans. Une recommandation suspendue à la décision de Swissmedic.