Pour Daniel Carlino, les mauvaises nouvelles s’enchaînent sans répit. «Nous nous demandons quand cela va s’arrêter», soupire le patron du restaurant La Différence à La Chaux-de-Fonds (NE).

Dernier coup de massue: l’augmentation du taux d’intérêt des prêts Covid, décidée le 29 mars par le Conseil fédéral et entrée en vigueur le 1er avril déjà. Fixés initialement à 0% pour les prêts de moins de 500 000 francs et à 0.5% pour ceux plus élevés, ils sont passés à respectivement 1,5% et 2%.

«Nous ne nous y attendions pas», témoigne le président de l’Association des commerçants neuchâtelois (AC), qui n’a toujours pas reçu de courrier officiel plus d’une semaine après l’annonce. Il peste: «La moindre des choses, cela aurait été de nous informer les premiers.»

«Devant le fait accompli»

Pour le restaurateur, cette charge supplémentaire, de quelques dizaines de francs par mois, vient s’ajouter à la liste de toutes les augmentations auxquelles il doit déjà faire face: marchandise plus chère et hausse des prix du gaz et de l’électricité (+25% de charges), sans parler d’une fréquentation moindre en raison de l’inflation.

Ces prêts sont devenus une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Daniel Carlino, patron du restaurant La Différence à la Chaux-de-Fonds (NE)

«Nous sommes déjà acculés. A force, cela va nous tuer», avertit Daniel Carlino. L’argent du crédit, lui, a déjà été dépensé, pour payer toutes les charges fixes pendant la pandémie. «Ces prêts nous ont sauvés. Mais maintenant qu’il faut les rembourser, ils sont devenus une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.»

«Beaucoup de restaurateurs ont déjà le couteau sous la gorge», confirme Christophe Barman.

Le coprésident de Fédération suisse des entreprises (FSE) regrette surtout la manière dont la décision a été prise. «Nous nous attendions à voir les intérêts augmenter, mais pas comme ça, du jour au lendemain. Nous avons été mis devant le fait accompli, sans avoir été consultés au préalable.»

En réaction, la FSE a lancé le 7 avril une pétition demandant à la Confédération de revenir en arrière et de repousser sa décision d’une année.

Un argument qui ne convainc pas

Le Conseil fédéral estime que cette augmentation poussera les entreprises à rembourser plus rapidement les montants prêtés. «L’adaptation des taux d’intérêt incite à ne pas recourir aux crédits Covid-19 plus longtemps que nécessaire», précise-t-il dans son communiqué du 29 mars.

Beaucoup de restaurateurs ont déjà le couteau sous la gorge actuellement

Christophe Barman, coprésident de la Fédération suisse des entreprises

Un argument qui peine à convaincre Christophe Barman. «Les PME ont de toute façon la volonté de rembourser, car elles ne sont pas à l’aise avec cet argent qui n’est pas le leur et qui constitue une potentielle menace pour leur avenir.»

Daniel Carlino, lui, n’a de toute façon par les moyens d’accélérer le remboursement. «Je ne peux pas me permettre de payer plus par tranche», affirme le restaurateur, qui souligne qu’environ 10% de ses charges sont déjà consacrées au remboursement des crédits Covid, soit l’équivalent d’un salaire par trimestre.

Pourquoi la Confédération a-t-elle fixé un délai de huit ans si c’est pour exiger, quelques mois plus tard, qu’on rende tout, tout de suite?

Laurent Décrevel, président de l’association Qui va payer l’addition

Président de l’association vaudoise Qui va payer l’addition, Laurent Décrevel s’attendait à voir un jour les intérêts augmenter. «Leur adaptabilité avait été annoncée dès le départ», rappelle-t-il.

Mais il ne pensait pas que cela arriverait ce printemps, alors que certaines entreprises commencent à peine à rembourser leur dû. «Pourquoi la Confédération a-t-elle fixé un délai de huit ans si c’est pour exiger, quelques mois plus tard, qu’on rende tout, tout de suite?»

Mauvais timing

Le calendrier irrite d’autant plus les PME que l’annonce est survenue quelques jours à peine après le rachat de Crédit Suisse par UBS, pour lequel la Confédération a accordé une garantie de 109 milliards de francs.

«Ce sauvetage coûte très cher, mais c’est à nous qu’on demande de payer davantage, alors que nous n’avons rien fait de mal», souligne Laurent Décrevel. A ses yeux, l’augmentation des intérêts pénalise surtout les entreprises les plus fragiles, celles qui n’ont pas les réserves pour rembourser l’entier du crédit d’un seul coup.

Un constat que partage Christophe Barman: «ça donne le sentiment que ce sont toujours les petits qui trinquent.»

Restaurateurs fatigués

Yannick Zaugg est l‘un de ces petits. Il a ouvert son bar à La Chaux-de-Fonds cinq mois avant la pandémie, en y investissant toutes ses économies.

Aujourd’hui, il se sent complètement démuni. «Nous n’avons aucune marge de manœuvre», soupire-t-il. «Alors nous râlons mais nous payons, comme de bons Suisses.»

Il n’y a pas un jour où je ne pense pas au fric, ça m’use énormément

Yannick Zaugg, patron du bar La Mort Subite à La Chaux-de-Fonds (NE)

Le patron du bar sportif «La Mort subite» s’est acquitté de deux tranches jusqu’à présent. Les dix suivantes, elles, seront grevées d’intérêts. «Cela représentera 60 francs en plus par tranche», calcule-t-il rapidement. «Ce n’est pas ça qui va changer la donne, mais cette annonce arrive à un moment où nous aurions plutôt besoin de faire des réserves», confesse le quadragénaire.

«Il n’y a pas un jour où je ne pense pas au fric, ça m’use énormément.» Comme beaucoup de ses confrères, il rêve de pouvoir, à nouveau, investir son énergie ailleurs.

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