Après l’ambassade du Qatar, l’Association suisse de football (ASF) a lancé une opération séduction des parlementaires fédéraux. Vendredi dernier, elle a invité certains d’entre eux à une rencontre pour leur parler des droits humains durant la Coupe du monde 2022 au Qatar.

«Nous voulions les informer sur la manière dont nous avons abordé ce sujet de manière proactive», explique Adrian Arnold, son porte-parole. «Les parlementaires doivent pouvoir se faire idée approfondie de notre position.»

Une position qui peut se résumer ainsi: contre le boycott, mais pour le dialogue. «Nous voulons profiter de la période avant, pendant et après la Coupe du monde, sous les feux de l’actualité, pour nous engager en faveur du respect durable des droits de l’homme et des travailleurs au Qatar», indique Adrian Arnold.

Trois visites aux Qatar

Concrètement, l’ASF a travaillé sur la brûlante thématique ces deux dernières années par le biais d’un groupe de travail de l’UEFA (Union européenne des associations de football), co-fondé par le président de l’ASF Dominique Blanc. Ce groupe de travail réunit, sous l’égide de l’instance dirigeante du football en Europe, des représentants de douze associations nationales de football, de l’ONG Amnesty International et de syndicats.

Le groupe s’est rendu trois fois au Qatar pour analyser la situation sur le terrain, notamment pour évaluer les pratiques des hôtels en matière de respect des droits des travailleurs. L’ASF a finalement choisi pour la Nati «Le Royal Méridien» de Doha après avoir mené elle-même des entretiens sur place.

Au cours de sa troisième «visite d’inspection», le groupe a assisté à toute une série de présentations. Aucun représentant de l’ASF n’était présent sur place, mais Adrian Arnold a participé à distance, indique le rapport de l’UEFA sur ce voyage.

Un centre basé à Genève…

Le 27 juin 2022, alors que les températures dépassaient 40 degrés à l’extérieur, les participants ont ainsi écouté neuf orateurs sur la problématique de l’hébergement au Qatar. Parmi eux: l’Anglais William Rook, directeur adjoint du Centre pour le Sport et les droits humains (CSDH).

Cette heure trente de discussion représente l’une des très rares occasions durant lesquelles un membre de l’ASF a croisé un représentant de ce centre. Adrian Arnold n’en a pas de souvenirs précis. «Peut-être que notre président a rencontré un de ses membres une fois, à l’occasion d’un débat…». Rien de très concret, en tout cas.

Nous voulons profiter des (…) feux de l’actualité, pour nous engager en faveur du respect durable (...) des travailleurs au Qatar

Adrian Arnold, porte-parole de l’Association suisse de football

Pourtant, le CSDH est depuis 2021 une association de droit suisse, dont le siège est basé à Genève et dont la Confédération est membre fondateur et dirigeant (aux côtés notamment de l'Organisation internationale des employeurs et de l'Association mondiale des joueurs, qui ont aussi leur siège en Suisse).

De plus, son conseil consultatif se compose exclusivement de grands noms: la Fifa y côtoie Amnesty international, Eurosports ou Coca-Cola. Le gouvernement autrichien s’y est joint le 27 septembre dernier.

En réunissant sponsors, ONG, fédérations sportives et Etats, le CSDH vise avant tout à «faire progresser un monde du sport qui respecte et promeut pleinement les droits de l’homme», peut-on lire sur son site internet.

Mais peu actif en Suisse…

Le numéro de téléphone indiqué – suisse – ne fonctionne pas. Contacté, son service de communication nous propose d’envoyer nos questions par email.

D’après son porte-parole, Matt Stone, le CSDH ne compte en réalité que trois employés en Suisse, dont l’un partage son temps avec les Etats-Unis. Les huit autres travaillent au Royaume-Unis.

Ses relations avec l’ASF? «Nous avons eu des contacts concernant les exigences de candidature pour le championnat d’Europe féminin de l’UEFA 2025», indique Matt Stone. Il ajoute avoir aussi partagé avec l’association de football son «kit de vigilance» pour la Coupe du monde 2022, sorte de marche à suivre pour les associations nationales de football sur la protection des travailleurs. Un document que l’ASF ne semble, elle, pas connaître.

Projets communs avec la Fifa

Ainsi, bien que situé sur le territoire suisse, le CSDH y reste pratiquement inconnu. De fait, il se concentre surtout le sport au niveau international.

Avec d’autres, il a notamment fait pression pour que la Fifa intègre les droits de l’homme dans l’évaluation des candidatures à l’organisation des prochaines Coupes du monde. «Ce qu’elle n’avait pas fait lors de la sélection du Qatar comme pays hôte», souligne Matt Stone.

Le centre épaule également la fédération internationale dans la mise en place d’un «programme de bénévoles», chargés d’observer les alentours des stades et les fans zones pour repérer – et dénoncer – de potentielles violations des droits humains durant la Coupe du monde.

«C’est le premier programme de cette nature que met en œuvre la Fifa», indique un porte-parole de la fédération, soulignant que le CSDH n’est pas rémunéré pour son soutien, «si ce n’est pour couvrir certaines dépenses du personnel impliqué».

La Confédération défavorable au boycott

Si le CSDH entretient des liens avec la Suisse, c’est donc avant tout avec les fédérations sportives internationales, dont la plupart sont établies à Lausanne, et avec le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), qui le soutient annuellement à hauteur de 180’000 francs.

Ensemble, ils ont notamment développé un guide destiné aux villes et pays hôtes de grandes manifestations sportives. «Le but est que les acteurs du sport utilisent cet outil dans la mise en œuvre de leurs responsabilités en matière de droits de l’homme tout au long du cycle de vie de ces événements, de la préparation d’une candidature jusqu’à la gestion de l’héritage laissé», explique Elisa Raggi, porte-parole du DFAE.

Le DFAE est convaincu qu’un dialogue constructif et le soutien des réformes au Qatar permettent en principe d’obtenir davantage qu’un boycott

Elisa Raggi, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères

La porte-parole tient à rappeler que la Suisse n’a pas attendu le CSDH pour s’investir sur le sujet. «Elle s’engage depuis plus de dix ans à améliorer les conditions de travail et de vie des travailleurs migrants au Moyen-Orient, y compris au Qatar.»

Concernant l’envoi d’une délégation suisse au Qatar, rien n’est confirmé. «Une décision sera prise en temps voulu», fait savoir la communicante. Mais en tout cas, la Confédération se montre défavorable à un boycott. «Le DFAE est convaincu qu’un dialogue constructif et le soutien des réformes au Qatar permettent en principe d’obtenir davantage.»

Bracelet symbolique

Les joueurs de la Nati, eux, «font confiance à l’ASF pour s’occuper des questions relatives aux droits de l’homme», indique Adrian Arnold. Selon lui, les joueurs sont libres d’exprimer leur opinion publiquement et sont régulièrement mis au courant des mesures prises par l’association. La dernière réunion a eu lieu il y a une semaine.

A cette occasion, les joueurs se sont mis d’accord sur une action symbolique: durant les matches, le capitaine – Granit Xhaka – portera le bracelet «One Love». Une initiative lancée par les Pays-Bas à laquelle se sont ralliées une douzaine de fédérations européennes et, donc, la Suisse. Un symbole d’amour et de respect universel visant à promouvoir «l’inclusivité». Sans mention explicite, toutefois, de l’homosexualité, qui reste interdite au Qatar.

Mondial 2022: le Qatar aurait espionné la FIFA durant 9 ans

Selon une enquête de la télévision alémanique SRF, le pays hôte de la Coupe du Monde aurait mis sur pied un réseau d’espionnage, à un coût estimé à près de 400 millions de dollars.