Il n’a pas la langue dans sa poche et il attaque. Autrefois remuant politicien, fondateur du Mouvement citoyen genevois, aujourd’hui établi à Arbaz, en Valais, Eric Stauffer est en conflit avec sa commune et son président. Plusieurs recours sont pendants à la suite de travaux qu’il a entrepris sur les deux parcelles qu’il y possède (voir encadré). L’homme a d’ailleurs déposé une plainte administrative auprès du Conseil d’Etat contre l’exécutif et son président, Jean-Michel Bonvin.

Mais le climax de cette histoire, ce qui fait exploser le bouillant Genevois, vient des bocages. En février dernier, Arbaz a mis sous protection les bosquets, les haies et les arbres isolés présents sur le territoire. Riches en biodiversité, ces cordons végétaux strient toute la zone à bâtir.

C’est une nationalisation du terrain et une grave atteinte à la propriété privée.

Eric Stauffer, habitant d’Arbaz

En protégeant ces 13 hectares de nature, la commune préserve autant de surfaces constructibles qu’elle aurait dû sinon dézoner, selon la LAT. Eric Stauffer est directement touché par cette décision. Il devra replanter des arbres qu’il avait fait couper par le garde-forestier avant la mise sous protection, puisque celle-ci a un effet rétroactif jusqu’en 2017.

Pour Jean-Michel Bonvin, cette protection permet de «mutualiser» une partie des dézonages. Pour Eric Stauffer, «c’est une nationalisation du terrain et une grave atteinte à la propriété privée».

«Digne d’un régime communiste»

Le calcul du Genevois est simple. Si les bocages sont soustraits de la superficie de la parcelle, la surface constructible diminue. Le terrain perd donc de sa valeur. Eric Stauffer a donc fait recours contre la mise sous protection. Et il est le seul. «Les gens n’ont pas conscience qu’ils sont concernés et ils n’ont pas compris les conséquences. Or, cette mesure digne d’un régime communiste touche 80% à 90% des habitants de la commune», relève-t-il.

Notre volonté est de remonter l’indice d’utilisation du sol, afin de conserver des possibilités de construire identiques, partout où c’est possible.

Jean-Michel Bonvin, président d’Arbaz

Pour Jean-Michel Bonvin, il s’agit là d’un faux procès: «Notre volonté est de remonter l’indice d’utilisation du sol afin de conserver des possibilités de construire identiques, partout où c’est possible.»

Chef du service cantonal du développement territorial, Nicolas Mettan confirme que la loi l’autorise: «La LAT révisée encourage la densification. Une meilleure utilisation des terrains maintenus en zones à bâtir est ainsi non seulement possible, mais souhaitable. L’application de ce principe ne peut cependant être garantie, a priori, sur tout le territoire. D’autres facteurs entreront en jeu, comme la pente ou la dimension des parcelles et des bocages.»

Un recours et des louanges

Ces explications ne rassurent pas Eric Stauffer. «Le président n’a jamais tenu aucune promesse et son idée de génie ne tient pas la route», assène-t-il, qualifiant la manœuvre de «vicieuse». Ce manque de confiance s’aggrave du fait que la mise sous protection paraît floue. «J’ai cherché en vain des éléments tangibles dans ce dossier. Ce n’est qu’en faisant recours que nous avons reçu un plan, assez vague, avec des bandes blanches qui ruissellent sur toute la surface à bâtir», constate Damien Bender, avocat d’Éric Stauffer.

Ce dernier juge ainsi la mesure arbitraire: «Celui qui a fait ce plan n’est pas allé sur tout le territoire et il a reconnu que des photos aériennes en sont la base. C’est donc l’emprise du feuillage qui fait foi et dans certains cas cela pourrait couvrir une surface de cinq mètres autour des troncs. Mais comment savoir précisément? C’est le fait du roi qui peut interdire ou autoriser des coupes selon son bon vouloir.»

Je ne veux pas d’un souk sur ma parcelle. Chez moi, la nature doit être maîtrisée.

Eric Stauffer, habitant d’Arbaz

Jean-Michel Bonvin répond qu’en dehors de ce seul recours il n’a reçu que des louanges: «Eric Stauffer a l’impression que cette mesure est faite contre lui, parce qu’il est opposé à la commune sur d’autres dossiers. Or, tous les propriétaires sont concernés et la décision a été prise à l’unanimité du conseil.»

Il admet que, à ce stade, le trait paraît grossier: «Nous ne pouvons pas déposer les plans détaillés des bocages avant de faire le nouveau règlement des constructions et le plan d’affectation des zones. C’est une mesure urgente afin de les préserver, en attendant. Ces éléments seront mis à l’enquête, de même que les dézonages imposés par la LAT et tous les habitants pourront alors faire recours, dans le détail, contre nos décisions.»

Il essaie d’amener à Arbaz une vision genevoise ou plutôt urbaine du paysage. La biodiversité ne se maîtrise pas.

Jean-Michel Bonvin, président d’Arbaz

«Nature maîtrisée»

Enfin, les visions des deux hommes divergent sur la notion de biodiversité qui est l’enjeu de la mise sous protection. «Je ne veux pas d’un souk sur ma parcelle. Chez moi, la nature doit être maîtrisée», affirme Eric Stauffer.

A distance, Jean-Michel Bonvin répond: «Il essaie d’amener à Arbaz une vision genevoise ou plutôt urbaine du paysage. La biodiversité ne se maîtrise pas.»

Eric Stauffer dépose plainte contre la commune
«J’ai affaire à un magistrat félon qui ne respecte pas la loi et utilise l’arsenal législatif pour arriver à ses fins.» Eric Stauffer est convaincu que Jean-Michel Bonvin est en guerre contre lui. L’ancien député du canton de Genève a déposé une plainte administrative auprès du Conseil d’Etat. Il demande au gouvernement de «sanctionner les graves violations légales commises par la commune, en particulier via son organe exécutif, soit Monsieur le Président Jean-Michel Bonvin.»

Autorisation de construire révoquée

Au cœur du conflit, le remblai de sa parcelle et la canalisation d’un bisse qui la traverse. Eric Stauffer avait reçu une autorisation de construire de l’ancienne administration et assure l’avoir respectée. Mais l’exécutif, désormais dirigé par Jean-Michel Bonvin, l’a révoquée, une année après la fin des travaux. «Une révocation est très lourde de conséquences et très préjudiciable», affirme le plaignant. La commune est cependant revenue sur cette décision en échange de la remise en ordre des quatre éléments considérés comme litigieux, ce qu’Eric Stauffer refuse de faire.

Cette mesure forte est aussi un camouflet envers son prédécesseur, mais Jean-Michel Bonvin assume: «Cette autorisation n’était pas conforme au droit sur quatre éléments, dont trois sont assez graves. Un avis de droit nous dit qu’il n’était pas possible d’agir autrement.» Une partie des travaux auraient notamment été effectués sur le terrain d’un voisin. Dès lors, les avis divergent. Eric Stauffer prétend avoir une autorisation écrite du propriétaire. Mais, selon le président, cette personne ne serait pas l’ayant droit.

Autre élément important de la plainte, Jean-Michel Bonvin ne se serait pas récusé dans le traitement des dossiers d’Eric Stauffer, alors qu’il avait pris position publiquement contre lui dans une autre affaire. Le président reconnaît ici une «erreur»: «J’ai quitté la salle à chaque fois que l’exécutif a traité d’un de ses dossiers et je n’ai fait que signer un courrier en l’absence de la vice-présidente.»

Il se dit serein sur toutes ces affaires: «Les tribunaux et le Conseil d’Etat jugeront.»

Valais: Eric Stauffer attaque un président de commune pour une histoire de bosquets

La commune valaisanne d’Arbaz a mis sous protection ses bocages. La seule opposition vient de l’ancien politicien genevois, qui cumule les griefs à l’encontre du président.