Alors que le peuple doit se prononcer le 18 juin prochain sur la loi climat et l’innovation, les conseillers nationaux Jacqueline de Quattro (PLR/VD) et Michael Graber (UDC/VS), également président du comité référendaire, croisent le fer. Elle plaide pour le «oui», lui se bat pour un «non».

Michael Graber, deux ans après la loi CO2, l’UDC est à nouveau seul contre tous. Ne tenez-vous vraiment pas à préserver l’environnement?

Michael Graber (MG): Nous ne sommes pas les seuls à nous opposer à cette loi. Il y a aussi des élus PLR, plusieurs unions cantonales des arts et métiers, l’association suisse des propriétaires fonciers, des PME ou encore GastroSuisse.

Cela dit, il ne faut pas réduire l’environnement au climat. Je m’engage pour un environnement sain, une eau, un air et des terres propres. Mais il faut arrêter de croire que nous pourrons influencer le changement climatique uniquement grâce à des objectifs inscrits dans une loi. Celle-ci servirait juste à nous donner bonne conscience, rien de plus.

Cette loi serait donc inutile, Jacqueline de Quattro?

Jacqueline de Quattro (JdQ): Non, agir est clairement dans notre propre intérêt. Notre pays alpin est deux fois plus touché par la hausse des températures. Nos glaciers reculent, l’eau et la neige se font plus rares. L’agriculture, le tourisme en souffrent.

Les dégâts des catastrophes naturelles coûtent des milliards par année et les mesures de protection plusieurs centaines de millions. Regardez le village grison de Brienz qui vient d’être évacué!

Cette loi est également l’un des piliers indispensables pour que la Suisse respecte l’engagement international qu’elle a pris en signant l’accord de Paris.

Nous avons une responsabilité envers les générations futures.

Jacqueline de Quattro, conseillère nationale (PLR/VD)

MG: Nous avons effectivement signé l’Accord de Paris en 2015, mais je vous rappelle que le peuple suisse n’a jamais eu son mot à dire. Et la plupart des signataires n’ont presque rien fait depuis.

Regardons les chiffres: la Suisse n’est aujourd’hui responsable que de 0,1% des émissions mondiales de CO2 et a participé à la hausse des températures mondiale à hauteur de 0,002 degré depuis 1850 (réd: si les émissions de la Suisse, contribuent à moins de 0,1% du total mondial, la prise en compte de l’influence directe ou indirecte de son économie mondialisée fait monter ce chiffre à 2 ou 3%, selon une étude parue en 2022).

Croyez-vous donc vraiment que nous aurons une quelconque influence sur des événements climatiques graves à venir? Pas moi…

JdQ: Je crois, moi, que nous avons une responsabilité envers les générations futures.

Avec la nouvelle loi, nous produirons davantage d’énergie nous-mêmes, gaspillerons moins, et renforcerons notre sécurité énergétique en diminuant notre dépendance de l’étranger.

Le tout sans taxes, sans interdictions et en laissant de l’espace à l’initiative individuelle.

MG: Il est perfide de dire que la loi ne contient pas d’interdictions. Il est tout simplement impossible d’atteindre les objectifs fixés sans interdire. Pour le secteur des transports par exemple, nous devons avoir réduit nos émissions de 100% en 2050.

Autrement dit, les véhicules à essence ou diesel ne seront plus admis après cette date, et donc interdits des années plus tôt.

Jacqueline de Quattro, Nationalraetin FDP-VD, links, und Michael Graber, Nationalrat SVP-VS, waehrend einem Streitgespraech fuer das Medienhaus ESH Medias, am Mittwoch, 17. Mai 2023 in Bern. (KEYSTONE/Peter Klaunzer) © © KEYSTONE / PETER KLAUNZER Photo: KEYSTONE/Peter Klaunzer

Jacqueline de Quattro, comment rassurer ceux qui craignent des interdictions?

La loi CO2 a été refusée en 2021 car elle prévoyait des taxes et des interdictions. Ici, c’est une tout autre approche: au lieu de punir la population, nous la soutenons. Nous respectons ainsi la volonté populaire:

Nous accompagnons le changement en récompensant ceux, entreprises y compris, qui participent à la transition. La loi accorde des subventions de 3,2 milliards de francs, réparties sur dix ans, pour remplacer les chauffages, assainir les bâtiments et encourager les nouvelles technologies qui nous permettront de mieux produire, utiliser et stocker l’énergie.

Il est irresponsable d’acter la sortie des énergies fossiles sans savoir clairement comment y parvenir: cette loi conduira simplement à des pénuries d’énergie.

Michael Graber, conseiller national (UDC/VS)

MG: Moi aussi je pense aux générations futures. Et il serait simplement irresponsable de voter «oui», avec l’impact négatif énorme que cette loi aura sur le pouvoir d’achat et sur les finances du pays, et sans pourtant avoir aucune influence sur le changement climatique.

Nous nous retrouverions dans des conditions de vie similaires à ce que nous connaissions avant l’industrialisation. Une étude de l’Association suisse des banquiers estime que si la Suisse veut atteindre avec l’objectif «net zéro» d’ici 2050, elle doit procéder à des investissements de près de 400 milliards de francs.

JdQ: Comme vous le dites, ce sont des investissements et non des coûts…

MG: Oui, mais nous ne ferions que remplacer ce qui existe et fonctionne déjà, sans créer de valeur ajoutée. Et il faudra bien trouver cet argent quelque part. Qui sont ceux qui devront mettre la main à la poche? Les citoyens.

Michael Graber, la Suisse fait historiquement partie des plus gros émetteurs de CO2 de la planète, n’a-t-elle pas une responsabilité morale à agir à la hauteur de l’enjeu?

MG: C’est ridicule. Nous ne sommes pas responsables des émissions produites pour confectionner les biens que nous achetons dans d’autres pays. Le camp rose-vert veut non seulement redistribuer l’argent, mais aussi les émissions…

Cela dit, l’UDC est tout à fait favorable à la décarbonation, à l’éolien et au photovoltaïque, où cela fait sens. Mais il est irresponsable d’acter la sortie des énergies fossiles sans savoir clairement comment y parvenir: cette loi conduira simplement à des pénuries d’énergie.

Avant d’agir, assurons-nous d’abord d’avoir suffisamment d’électricité. C’est seulement après que nous pourrons sortir du fossile. Comment? En revenant au nucléaire, seul véritable moyen d’être indépendant possible. Aujourd’hui, on subit de plein fouet l’échec de la stratégie énergétique 2050.

Dire qu’il s’agit de la crise la plus menaçante que l’humanité n’ait jamais connue me gêne.

Michael Graber, conseiller national (UDC/VS)

JdQ: Il y a un problème de timing avec le nucléaire. On ne pourra pas construire une centrale d’ici à l’hiver prochain…

MG: Il faut réviser la loi sur le nucléaire sans attendre afin de pouvoir rapidement relancer des projets.

JdQ: Ce n’est simplement pas réaliste d’ici à 2050…

MG: Pensez-vous que le monde sera mort en 2050?

JdQ: Non, mais nous aurons de très sérieux problèmes.

Jacqueline de Quattro, Nationalraetin FDP-VD, vorne, und Michael Graber, Nationalrat SVP-VS, waehrend einem Streitgespraech fuer das Medienhaus ESH Medias, am Mittwoch, 17. Mai 2023 in Bern. (KEYSTONE/Peter Klaunzer) © © KEYSTONE / PETER KLAUNZER Photo: KEYSTONE/Peter Klaunzer

MG: Je ne crois tout simplement pas à cette rhétorique apocalyptique. Dire qu’il s’agit de la crise la plus menaçante que l’humanité ait jamais connue me gêne.

JdQ: Je n’aime pas non plus la rhétorique apocalyptique, ni ceux qui se collent les mains sur les routes. Mais il est impensable d’attendre 2050 pour agir.

MG: Le progrès technologique viendra de lui-même, sans qu’une loi soit nécessaire.

Voyez-vous, il arrive que la science se trompe. Les prévisions des météorologues, par exemple, ne sont pas toujours correctes. Souvenez-vous aussi des épidémiologistes qui se sont parfois complètement fourvoyés durant la pandémie de Covid-19.

Pour les climatologues, c’est la même chose, mais avec des pronostics qui s’étirent sur plusieurs décennies… Je ne suis pas prêt à sacrifier la prospérité de notre pays en me basant sur des pronostics dont on ne sait pas s’ils finiront par se vérifier.

JdQ: Sacrifier la prospérité de notre pays… Quelle belle rhétorique!

En réalité, c’est tout le contraire qui se produira, la loi est rentable. Les prix baisseront si nous parvenons à créer davantage d’énergie nous-mêmes.

Nous serons alors moins dépendants de l’étranger et des fluctuations des prix du gaz – influant directement sur ceux de l’électricité, qui nous ont frappés ces derniers mois à cause de la guerre en Ukraine.

Avec, en plus, une meilleure isolation des bâtiments – qui correspond à 46% des dépenses énergétiques en Suisse –, les prix baisseront automatiquement pour les propriétaires et les locataires.

La Haute Ecole des sciences appliquées de Zurich a calculé que la production d’énergies renouvelables et les économies d’énergie apporteront une valeur ajoutée de 77 milliards et que 50 000 nouveaux emplois pourront être créés.

Les prix baisseront si nous parvenons à créer davantage d’énergie nous-mêmes.

Jacqueline de Quattro, conseillère nationale (PLR/VD)

MG: Je n’y crois pas. La situation va s’aggraver, pour les entreprises et pour les particuliers.

Une étude de l’EPFL le dit clairement: dans le pire des scénarios, les coûts de l’énergie vont exploser et passer de 3000 à 9600 francs par an et par personne. Comment pouvez-vous dire que l’électricité coûtera moins cher? Vous niez la science? Si je disais que le climat allait devenir plus froid, vous me rétorqueriez que la science dit le contraire!

JdQ: Les auteurs de cette étude ont protesté avec véhémence contre l’utilisation que vous en faites. Selon eux, les chiffres que vous avancez sont complètement sortis de leur contexte…

Actuellement, la Suisse dépense près de 8 milliards de francs par an pour se fournir en gaz, en mazout et en essence auprès de pays aux régimes discutables.

Utilisons plutôt cet argent pour remplacer nos vieux chauffages énergivores et développer les énergies renouvelables. En investissant dans l’innovation, nous créons de la valeur ajoutée en Suisse et ouvrons la possibilité de conquérir des nouveaux marchés.

Je vous donne un cas concret: quand j’étais ministre vaudoise de l’environnement et de l’énergie, nous avons édicté des lois accompagnées de subventions à hauteur de 100 millions de francs pour la promotion des énergies renouvelables, le soutien aux entreprises qui participent à l’effort et le cofinancement de recherches sur le stockage.

A l’heure du décompte, nous avons pu démontrer qu’un franc public a permis un retour sur investissement de 5 à 6 francs. Nous avons généré plus d’un demi-milliard de retombées pour l’économie. C’est la démonstration qu’allier économie et écologie est possible et même bon pour le pays.

Michael Graber, si les faîtières de l’économie soutiennent la loi, c’est qu’elles y voient un intérêt, non?

MG: Oui, mais il y aura surtout des profiteurs, comme le domaine de la construction. En réalité, les prix de l’énergie augmenteront et l’économie suisse perdra en compétitivité. Je ne crois pas en cette histoire de miracle vert de l’économie.

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