La qualité et la proximité. Ce sont les mots d’ordre des chefs des plus grands restaurants gastronomiques de la région. Du Beau Rivage Palace à Lausanne, à l’Atelier Robuchon à Genève en passant par l’Hôtel de Ville de Crissier, les chefs de ces établissements de renom cuisinent des produits du terroir issus de La Côte.

Mais pourquoi ces trois chefs choisissent-ils des produits de notre région? «Ce qui fait un restaurant, ce sont les ingrédients et l’humain. En tant que cuisiniers, nous nous situons entre les deux», déclare Anne-Sophie Pic. La cheffe du restaurant Anne-Sophie Pic au Beau Rivage Palace et star mondiale de la gastronomie a effectué un exercice de recherche sur les produits du terroir lorsqu’elle est arrivée en Suisse. «Je vais à la rencontre de l’ingrédient, souvent celui qui est peu connu ou méconnu. J’ai besoin de le comprendre, de savoir d’où il vient. Il s’agit d’un processus créatif à part entière», relève la cheffe étoilée.

Pour le chef Franck Giovannini, il est question d’œuvrer avec la culture et le savoir-faire local. Il met d’ailleurs un point d’honneur à citer l’origine des produits directement dans sa carte. «Selon moi, c’est un devoir de mettre en avant nos producteurs et leur travail», affirme le chef de l’Hôtel de Ville de Crissier.

Les produits influencent la cuisine

Que cela soit les légumes, les agrumes, le vin ou encore les fleurs comestibles, ce sont les produits locaux qui façonnent les nouvelles recettes des trois chefs. Leur inspiration part toujours de l’ingrédient. Franck Giovannini réalise chaque année un plat autour des haricots cultivés par Biscotte, à Vinzel.

«Cette entrée que je décline chaque fois différemment m’est venue en raison de la qualité des haricots. C’est un plaisir et une redécouverte perpétuelle de cuisiner ce légume», explique le chef. Cet été, l’Hôtel de Ville proposera un bricelet garni de haricots et assaisonné de caviar.

null

La crêpe de haricots verts de Vinzel avec un jus végétal rehaussé au caviar osciètre proposé par l’Hôtel de Ville de Crissier. Photo: DR.

Il faut mettre en exergue le terroir, mais sans l’épuiser.

Anne-Sophie Pic, cheffe au Beau Rivage Palace

Anne-Sophie Pic est, elle, partie des bourgeons de sapin, cueillis dans le canton, qu’elle marie avec de l’agneau arrosé de fleur d’oranger. Elle pointe toutefois les limites de l’exercice. «Il faut mettre en exergue le terroir, mais sans l’épuiser. Les produits locaux sont une véritable richesse qui ne s’avère pas infinie. En tant que cuisiniers, nous devons respecter le travail des producteurs et le sublimer de notre mieux», rapporte la cheffe de Valence. Cette dernière reconnaît «vivre sa meilleure vie» en matière de choix d’ingrédients à sa disposition.

Une relation d’amitié aussi

Dénicher les légumes de saison, les vins qui s’y marient le mieux, ou encore l’agrume qui apportera la juste touche d’acidité demande de l’investissement et de la recherche. Certains chefs passent par leurs grossistes et n’ont que peu de contact direct avec les producteurs, souvent par manque de disponibilité.

C’est primordial de les rencontrer et de discuter avec les producteurs.

Olivier Jean, chef exécutif de The Woodward, à la tête des restaurants Le Jardinier et l’Atelier Robuchon

D’autres consacrent beaucoup de temps avec les producteurs locaux afin de trouver leurs perles rares. «C’est primordial de les rencontrer et de discuter avec eux. J’essaye toujours de comprendre les produits qu’ils proposent. La relation est importante», relève Olivier Jean, chef exécutif de The Woodward, à la tête des restaurants Le Jardinier et l’Atelier Robuchon, à Genève.

Et au fil des échanges réguliers, certains ont tissé de vraies amitiés. C’est notamment le cas d’Anne-Sophie Pic et des membres de la famille Paccot, vignerons au Domaine de la Colombe, à Féchy. «J’ai tout de suite été touchée par leur histoire, où les filles reprennent les rênes du domaine. Cela a évidemment fait écho à mon parcours personnel. Sans parler de leur sympathie et de leur vin extraordinaire», narre la cheffe.

La cheffe Anne-Sophie Pic présente son thé froid lors d’un marché où elle invite les productrices et producteurs locaux avec lesquelles elle travaille. Photo: November Studio

Niels Rodin, agrumiculteur à Borex, a également tissé des amitiés avec les chefs. «Ils viennent nous trouver avec leurs idées et leurs envies. Au fur et à mesure des échanges, une relation amicale s’instaure», raconte-t-il.

Des chefs aux exigences particulières

La rencontre et les discussions entre les restaurateurs et les producteurs donnent souvent naissance à la création de produits uniques et sur mesure. Depuis quarante ans, la famille Paccot réalise une cuvée spéciale pour l’Hôtel de Ville de Crissier. «Nous proposons une base de chasselas et le chef choisit ensuite les autres cépages pour concevoir un assemblage à son goût», explique la vigneronne Laura Paccot. Le Domaine de la Colombe fournit chaque année une édition limitée d’un millier de bouteilles au restaurant.

Les frères Cuendet, qui cultivent des légumes à Bremblens, vont eux-mêmes récolter des racines de pissenlits dans la nature pour Anne-Sophie Pic. «C’est la seule à vouloir ce genre de produit. On le fait uniquement pour elle, en plus des fleurs comestibles et des légumes qu’elle nous achète», raconte Mathieu Cuendet.

La lotte imprégnée à la feuille de cédrat et au poivre d’absinthe, racines de pissenlits sauvages et lard sec du Valais, coulis d’ail des ours et mayonnaise chaude à la livèche d’Anne-Sophie Pic. © Lucas Muller

Des fleurs dans l’assiette
La cheffe Anne-Sophie Pic ne met plus de fleurs sur les tables, mais dans l’assiette. Les frères Cuendet ont planté spécialement pour elles des fleurs et des herbes aromatiques comme des tagètes passion et du baume de Galaad, en plus de la pimprenelle, du lierre terrestre et de l’achillée qu’elle utilise régulièrement.

Bremblens, mardi 23 mai 2023
Terroir, portrait de Mathieu Cuendet, producteur de fleurs comestibles à Bremblens

© Sigfredo Haro © Sigfredo Haro

Mathieu Cuendet, produit des fleurs comestibles à Bremblens. Photo: Sigfredo Haro

«Nous distribuons beaucoup de fleurs comestibles aux restaurateurs. Avec Anne-Sophie Pic, nous savons exactement ce qu’elle aime le plus», explique Mathieu Cuendet. La collaboration du champ à l’assiette dure depuis plus de trente ans entre le Beau Rivage Palace et les frères Cuendet.

Olivier Jean a, quant à lui, eu un véritable coup de cœur pour les misos confectionnés à Nyon. Après en avoir goûté plusieurs, le chef a demandé à Azusa Kozma, directrice de Japanesefoodforgood qui prépare les misos, de lui concevoir un miso saikyo. «Je voulais un miso blanc, ni trop sucré, ni trop salé», précise le chef de l’Atelier Robuchon.

«Il s’agit d’un miso fabriqué uniquement à Kyoto au Japon. La confection est compliquée et prend du temps, car il faut, entre autres, enlever toutes les peaux de soja à la main», explique Azusa Kozma.

Au vu de la complexité de cette conception, Azusa Kozma a cessé d’en produire, mais Olivier Jean apprécie tellement les autres misos de Nyon qu’il les cuisine dans plusieurs de ses plats. «Si je pouvais, j’en mettrais partout», reconnaît celui qui a travaillé pendant sept ans en Asie.

À la recherche de l’excellence…

Tous les producteurs l’admettent. Les chefs de ces grands restaurants sont de bons clients, mais ils n’achètent que des produits spécifiques en petites quantités. «Par exemple, sur cent kilos de carottes, que 5% vont à l’Hôtel de Ville de Crissier, déclare Gabriel Bensimon, directeur commercial chez Biscotte, producteur de légumes à Vinzel. Travailler pour les grandes tables est rentable pour autant que l’on se spécialise dans leurs besoins. Ces chefs nous poussent à l’excellence et à réaliser des produits de haute qualité.»

Ces chefs nous poussent à l’excellence et à réaliser des produits de haute qualité.

Gabriel Bensimon, directeur commercial chez Biscotte

Un fait que vient confirmer Niels Rodin. «Nous effectuons notre chiffre d’affaires avec les autres restaurateurs, mais les chefs de la haute gastronomie contribuent à asseoir notre notoriété, nous mettent en avant et nous offrent une belle visibilité», précise l’agrumiculteur.

…et de la nouveauté

Les chefs qui travaillent avec les producteurs locaux demeurent également à la recherche de nouveautés. «Ils veulent ce qui n’existe pas encore», soulève l’agrumiculteur de Borex. Ce dernier consacre une partie de ses serres à l’exploration et aux tests. Selon lui, les prochaines modes et tendances culinaires viendront d’Amérique latine, à l’instar des fruits exotiques qui ne se cultivent qu’au Brésil.

Borex, le 17 octobre 2019

Nils Rodin, cultive plus de 150 variées de Citron dans ses serres.

Sacha Bittel/Le Nouvelliste © Le Nouvelliste SA / Sacha Bittel

Niels Rodin dans une de ces serres d’agrumes à Borex. Photo: Sacha Bittel

Car la démocratisation d’un produit se fait en premier lieu par un passage dans la haute gastronomie, à l’instar du yuzu qui a d’abord été cuisiné par de grands chefs avant d’être distribué bien plus largement.

Ces produits d’ici qui ravissent les papilles dans les restaurants étoilés

Haricots de Vinzel, agrumes de Borex, vins de Féchy ou encore fleurs comestibles de Bremblens, les produits du terroir appréciés par les plus grands chefs pour leur qualité se retrouvent sur les tables de la haute gastronomie.