La ministre de la Justice Karin Keller-Sutter répète plusieurs fois: «Pour ces gens, c’est la guerre!» Moins de trois mois après les premières frappes russes, la Suisse accorde sa protection à plus de 50 000 réfugiés ukrainiens. Pour la conseillère fédérale, «si nous avons pu accueillir autant de gens en si peu de temps, c’est grâce au statut S».

Si nous avons pu accueillir autant de gens en si peu de temps, c’est grâce au statut S.

Karin Keller-Sutter, conseillère fédérale en charge de la Justice

Elaboré en 1999 au moment de la guerre du Kosovo, ce statut n’avait encore jamais été utilisé. Pour Karin Keller-Sutter, «il a permis d’éviter la congestion des centres fédéraux» où les requérants peuvent déposer leur demande d’asile. Elle insiste: «Cette situation est entièrement nouvelle pour tout le monde».

Situation «sous contrôle»

Occupée à dresser un bilan plutôt positif des trois premiers mois de l’accueil des réfugiés qui fuient la guerre en Ukraine, la Saint-Galloise estime que «la situation est sous contrôle». Mais elle rappelle qu’une centaine de fonctionnaires de l’Administration fédérale assistent les employés du Secrétariat d’Etat aux migrations.

Ce dispositif reste provisoire: «A terme, il nous faudra du personnel et des ressources. Nous entrons dans une nouvelle phase de la guerre et personne ne peut dire combien de temps elle va durer».

Prudente, elle refuse de promettre une réforme du système: «Jusqu’ici, tous les projets ont échoué parce que la gauche veut plus de générosité et la droite plus de fermeté».

L’unité suisse se fissure

Sur le sujet, l’unité suisse se fissure. A partir du mois de juin, les réfugiés ukrainiens ne pourront plus voyager gratuitement dans tout le pays. Depuis quelques jours, des élus cantonaux s’inquiètent des coûts de l’accueil des Ukrainiens, estimés à des montants qui varient entre 1,2 et 2 milliards de francs pour 2022.

[Il faudra] réfléchir à limiter le statut de protection S au niveau régional» et «ne l’accorder qu’aux réfugiés originaires de l’est [de l'Ukraine].

Martina Bircher, conseillère nationale (UDC, AG)

La conseillère nationale Martina Bircher (UDC, AG) soutient qu’il faudra «réfléchir à limiter le statut de protection S au niveau régional» et «ne l’accorder qu’aux réfugiés originaires de l’est» de l’Ukraine. Vice-président du PLR, Andrea Caroni partage cette position contre l’avis de son parti. Selon lui, ce statut devrait être dynamique: «Il faudrait vérifier périodiquement quelles sont les personnes qui y ont droit.»

Pour Karin Keller-Sutter, «réserver le statut S aux gens de l’est de l’Ukraine n’est pas une option». Elle soupire: «Je vois où tombent les bombes et ce n’est pas seulement dans l’est, même si c’est là où ont lieu les combats les plus intenses en ce moment. Selon notre Service de renseignement, il n’y a pas de zones sûres en Ukraine, et les autres pays disent la même chose.»

A l’argument de la sécurité, elle ajoute celui du droit: «Les Ukrainiens peuvent voyager librement dans l’espace Schengen sans visa. Il n’est pas imaginable de les refouler après 90 jours». Pour elle, les Ukrainiens doivent pouvoir retourner dans leur pays pour mesurer la situation et voir leur famille, «mais s’ils restent trop longtemps, le statut leur sera retiré». La ministre de la Justice a formé un groupe d’experts qui sera chargé d’évaluer l’application du statut spécial, et les problèmes qu’il pose.

Difficultés des cantons

La moitié des réfugiés ukrainiens sont hébergés chez des particuliers, soit 25 000 personnes. Pour Nathalie Barthoulot, présidente de la Conférence des directeurs cantonaux des Affaires sociales, «cet élan de solidarité nous a beaucoup aidés, mais il pose des difficultés d’organisation que nous avions sous-estimées». La Jurassienne admet des problèmes de communication et de coordination: «Tout ne s’est pas toujours parfaitement déroulé et des cantons ont été mis sous pression parce que nous n’avons pas pu respecter les clés de répartition.»

Tout ne s’est pas toujours parfaitement déroulé et des cantons ont été mis sous pression parce que nous n’avons pas pu respecter les clés de répartition.

Nathalie Barthoulot, présidente de la Conférence des directeurs cantonaux des Affaires sociales

Selon la socialiste, le prochain défi consistera à proposer des perspectives d’avenir aux Ukrainiens: «Pour qu’ils s’intègrent à notre société, les adultes doivent accéder rapidement au marché du travail, et les plus jeunes doivent apprendre la langue et acquérir des compétences professionnelles.»

Jusqu’ici, 12 000 enfants ukrainiens doivent être scolarisés. Pour encourager l’apprentissage linguistique, la Confédération attribue 3000 francs aux cantons pour chaque réfugié bénéficiant du statut S. Cet été, ce sont 10 000 Ukrainiens et plus de 1500 requérants d’autres nationalités qui devraient demander asile à la Suisse chaque mois.

Nathalie Barthoulot rappelle que l’aide sociale diffère selon les cantons. Pour la socialiste, il sera compliqué de proposer à tous ces gens, «parfois traumatisés», un encadrement à la fois adapté et égalitaire: «Il y a des questions que nous ne nous étions encore jamais posées pour les autres populations de réfugiés et cette crise doit nous interroger sur notre système d’asile.»

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