Pour le réalisateur Lionel Baier, la disparition de Jean-Luc Godard laisse un vide qu’il sera difficile de combler. Pour l’enfant d’Aubonne, le réalisateur compte parmi les cinq noms les plus importants de l’histoire du cinéma.

Lionel Baier, quelle est votre réaction à l’annonce du décès de Jean-Luc Godard?

De la tristesse, une vraie tristesse. Pour beaucoup de cinéastes, il était une sorte de veilleur. Nous avons eu la chance d’être contemporain de Jean-Luc Godard, de travailler alors qu’il était toujours en activité. C’est comme être un compositeur qui a vécu à la même époque que Mozart. Avec le départ de Jean-Luc Godard, nous avons perdu une protection, nous voilà désorientés.

Comment mesurez-vous son influence sur le cinéma? Est-elle toujours perceptible aujourd’hui?

Tous les cinéastes en activité de par le monde sont influencés par Jean-Luc Godard. Je suis persuadé qu’en ce moment même, des réalisateurs analysent, commentent et revoient ses films. De Quentin Tarantino aux cinéastes asiatiques: sa marque est partout.

Et à titre personnel? Comment votre travail a-t-il été influencé par le sien?

C’est comme si vous me demandiez que devez-vous à la personne qui vous a appris à écrire. Il faut réaliser que dans l’histoire du cinéma, les personnes qui ont eu l’impact de Jean-Luc Godard se comptent sur les doigts d’une main.

C’est comme si vous me demandiez que devez-vous à la personne qui vous a appris à écrire.

Lionel Baier

Et qu’il n’y aura sans doute plus de figure de cet acabit, le cinéma n’ayant plus tout à fait, aujourd’hui, ce rôle d’avant-garde artistique.

Parmi tout ce qu’il a apporté au média, quelle est la chose que vous retenez?

Il y en a tellement. Mais je retiendrai le fait qu’il ait imaginé la continuité narrative comme un leurre. Le cinéma de Jean-Luc Godard est celui de la discontinuité. Raconter une histoire ne se résume pas forcément à aller d’un point A à un point B. Dans la narration, la discontinuité peut avoir un impact bien plus fort.

En avril 2020, c'est Lionel Baier qui converse en live avec Jean-Luc Godard, ici sur l'écran, dans le cadre d'une discussion sur «les images en temps de Coronavirus» organisée par l'ECAL.
Photo KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

Aujourd’hui, l’œuvre de Jean-Luc Godard peut être intimidante, certains se l’imaginent très cérébrale. Est-ce une fausse idée?

Godard était un conteur avant tout et en cela il est accessible. Mais concernant la forme, il faut se laisser bercer, ne pas se mettre la pression, accepter de parfois lâcher prise. Le travail de Jean-Luc Godard s’inscrit en contrepoint du cinéma d’aujourd’hui qui réduit tout à la narration. Lui se définissait souvent comme un chercheur ou un scientifique en quête d’une forme de simplicité, paradoxalement.

Vous l’avez rencontré à plusieurs reprises, comment était-il?

C’était quelqu’un de timide et d’un peu mal à l’aise de prime abord, mais il pouvait aussi se montrer cordial. Il suivait ce qui se passait chez lui à Rolle où on pouvait souvent l’y croiser, il était loin de l’image d’ermite qu’on lui accolait parfois.

Quels films recommanderiez-vous à celles et ceux désirant découvrir ou redécouvrir son œuvre?

Vos lecteurs auront sans doute plaisir de voir leur région sous l’œil de sa caméra. Dans «Hélas pour moi», Gérard Depardieu passe par Nyon, il y a également «Nouvelle vague» avec Alain Delon qui a été tournée en partie dans la région, du côté de Buchillon, notamment.

Lionel Baier: «Avec le départ de Jean-Luc Godard, nous avons perdu une protection»

Le réalisateur vaudois Lionel Baier évoque l’impact qu’a eu Jean-Luc Godard sur son cinéma, mais aussi sur l’ensemble du septième art.