Que les clients assidus de la Librairie du Château se rassurent. Le livre ne se referme pas définitivement, c’est juste une page qui se tourne en attendant le prochain chapitre. François Gétaz a décidé de passer la main. A 62 ans, le Rollois remet la librairie qu’il avait créée il y a 35 ans à deux jeunes trentenaires (lire encadré).

L’enseigne ferme ses portes le 28 mai et rouvrira le 9 août. L’histoire du commerce de livres indépendant et de la mise en valeur de petites maisons d’édition continue donc de s’écrire à Rolle.

Clientèle fidèle

François Gétaz, fort de 42 ans de métier, est un témoin privilégié de l’évolution de son domaine de prédilection. Il ne cache pas combien il est devenu difficile de survivre dans un monde de plus en plus concurrentiel, dominé par les grandes enseignes et les achats en ligne. En plus, en 2014, Fabienne Cauderay ouvrait dans la Grande Rue «A travers les mots», une seconde librairie à Rolle.

«C’était plus facile il y a 35 ans, on avait moins de concurrence, souligne le libraire indépendant. J’estime la baisse de fréquentation de l’ordre de 30 à 40%. On a une clientèle très fidèle mais elle vieillit. Ce qui nous a sauvés, c’est le soutien de diverses institutions qui commandent leurs livres chez nous, à l’image de la Bibliothèque cantonale universitaire de Lausanne, celle du Gymnase de Nyon, la Fondation Michalski à Montricher et longtemps, également, le Rosey, à Rolle.»

Dans ce climat, l’industrialisation du livre, générée par la pléthore de l’offre, n’aide pas. «Il y a quelque temps, la durée d’un livre était de six mois à un an, maintenant elle est de deux mois. Les bons livres ont tendance à disparaître dans la masse», regrette-t-il.

Un rôle indispensable

D’où l’importance de professionnels tels que le libraire, apte à conseiller les lecteurs. «Bien sûr! Et, à ce titre, le contact avec la clientèle est primordial. Quand on conseille judicieusement un livre à une personne et qu’elle nous fait un retour en nous disant que c’était parfait, c’est très valorisant», relève-t-il.

A un peu moins d’un mois de tourner définitivement la page de son commerce, François Gétaz ne cache pas qu’il se sent quelque peu «déstabilisé»: «Cela me fait un choc de penser que je vais mettre définitivement la clé sous la porte.» Pour l’amortir – un peu – il convie tous ses fidèles lecteurs à une grande fête le samedi 21 mai.

Cela me fait un choc de penser que je vais mettre définitivement la clé sous la porte.

François Gétaz, libraire

«Quand j’étais petit, je voulais être journaliste, se souvient-il. Jamais je n’aurais pensé devenir libraire. C’est un orienteur professionnel qui me l’avait suggéré. Il m’avait dit: essayez le social ou la librairie! J’ai choisi cette profession et cela m’a tout de suite plu.» Si ce métier n’était pas une vocation d’origine, elle l’est devenue au fil du temps. «Cet orienteur m’a ouvert les portes de cet immense domaine qu’est la littérature et de cette connaissance universelle où l’on a l’impression d’avoir tout à portée de main.»

Après son apprentissage chez Georg à Genève et Payot à Lausanne, après avoir roulé sa bosse dans différentes petites librairies, l’Aubonnois, alors âgé de 27 ans, se met à son compte. Le 27 février 1987, il ouvre ainsi – en compagnie de sa belle-sœur Isabelle Gétaz – la Librairie du château à Rolle, là où il n’y en avait pas encore. «C’est un rêve qui s’est réalisé. Je n’y croyais pas trop», relève le libraire aujourd’hui Rollois.

Tinguely et son billet de mille

En 35 ans, le Rollois en a vu des lecteurs, même des très connus. Respectueux de leur intimité, François Gétaz s’est toujours fait discret. Le matin même, Jean-Luc Godard entrait dans la librairie. Dans les années 1990, c’est une tout autre célébrité qui avait poussé la porte. «Jean Tinguely était venu avec son attaché de presse. Il avait acheté pas mal de livres et avait payé avec un billet de mille! Quand je lui ai rendu la monnaie, je lui ai tout donné, je n’avais plus rien dans la caisse! C’était un beau moment», se souvient le libraire.

Tombé tout jeune dans la marmite du savoir, François Gétaz n’est pas près d’en ressortir. Il compte aller s’établir à Paris et suivre des cours de littérature, de cinéma et de philosophie à la Sorbonne. «Juste pour le plaisir».

Informations pratiques

Rolle, la Librairie du château en fête le 21 mai, de 12h à 18h, à l’occasion de la remise de l’enseigne. En mai, 20% sur tout le stock.

«C’est un rêve qui se réalise»
«J’ai envie d’être libraire depuis que j’ai dix ans. Reprendre la librairie où, petite, je suis venue acheter mes premiers contes écrits par la comtesse de Ségur, c’est un rêve qui se réalise!», s’enthousiasme Laure Paccaud, enfant de Rolle, aujourd’hui Perrolane. La trentenaire a embarqué dans l’aventure sa belle-sœur rolloise Céline Jotterand. Cette dernière est en train de faire son CFC de libraire. Quant à Laure Paccaud, relectrice, correctrice, traductrice et enseignante, elle se forme à la Librairie du Château depuis le début de cette année: «Nous souhaitons faire de cet endroit un lieu de vie et de partage.»

Rolle: la Librairie du Château ouvre un nouveau chapitre

François Gétaz remet la librairie qu’il avait créée il y a 35 ans à deux jeunes Rolloises. L’histoire du premier commerce de livres à Rolle continue de s’écrire.