Les dates jaillissent avec une précision déconcertante. Souvent, Adrienne Cuendet se souvient même du jour de la semaine. «C’est vrai que j’ai une très bonne mémoire», concède-t-elle. Le 29 février 1956, c’était un mercredi. Ce jour-là, elle et Lucien se sont installés dans la maison qu’ils venaient de faire construire, à Echandens. A deux pas de leur salon, le couple de buralistes avait réservé un local pour l’office de poste du village, qu’ils ont tenu jusqu’en 1982.

Aujourd’hui, Adrienne Cuendet y réside toujours. L’espace qui accueillait jadis l’antenne des PTT a été reconverti en «chambre de ménage». Il faut dire que la Chandelière, qui célèbre ses 100 ans ce 14 juin, est une fée du logis. Les nettoyages, les repas, la lessive, le repassage: elle fait tout elle-même, «sauf les vitres».

Elle a beau dire qu’elle met «beaucoup de temps pour faire son travail», Adrienne Cuendet est stupéfiante. Et elle a l’art de raconter une vie d’amour et de partage avec son beau Lucien qui ne sortait jamais sans sa cravate, «sauf si on allait skier ou marcher à la montagne».

J’ai fait des années au guichet de la poste. A l’époque, c’était intéressant comme tout, maintenant ce n’est plus du tout pareil.

Adrienne Cuendet, centenaire

Le jour où leurs regards se croisent, la Seconde Guerre mondiale fait rage. Lui est mobilisé à la frontière, tandis qu’elle s’occupe des enfants dans une famille de Sainte-Croix. En se penchant par la fenêtre pour secouer son chiffon à poussière, Adrienne aperçoit ce fringant soldat. Le 18 octobre 1944, ils s’unissent lors d’une cérémonie «toute simple».

Neuf ans plus tard, ils reprennent l’office de poste d’Echandens. «J’ai adoré mon travail, s’enthousiasme Adrienne. J’ai fait des années au guichet. A l’époque, c’était intéressant comme tout, maintenant ce n’est plus du tout pareil.»

Centenaire le jour de la Grève féministe
Cela ne lui a pas échappé: le 14 juin, c’est la date de la Grève féministe. Qu’en pense-t-elle? «Je trouve qu’il y a un peu d’exagération maintenant, ça devient un peu bastringue. Mais la base est importante.» Jadis, lorsqu’elle s’absentait de la poste, la personne qui la remplaçait pour les nettoyages touchait un salaire bien supérieur au sien: «Sous prétexte que j’étais à la maison, on estimait que c’était normal. Beaucoup de choses laissaient à désirer. Pas seulement pour moi, mais aussi pour les autres femmes.» Adrienne a également fait partie d’un groupe de femmes qui s’est battu pour obtenir le droit de vote: «On avait quand même le droit de dire quelque chose!»

Le 2 août 1982, les PTT déménagent dans un nouveau bâtiment d’Echandens. «C’est nous qui l’avons inauguré», précise-t-elle. En décembre, Lucien subit un grave accident en soulevant un chariot.

Cet épisode sonne la fin de leur carrière, mais il marque le début d’une nouvelle vie. Ensemble, les amoureux font le tour du monde. «On a bien profité car on s’entendait bien et on avait les mêmes goûts», confie Adrienne avec tendresse.

Sur un air d’opéra

Leur passion pour l’opéra les emmène notamment à Vérone, mais aussi à Varsovie, Vienne ou Salzbourg. La première fois où ils se rendent dans la ville natale de Mozart, ils font halte dans un camping: «La journée, on mettait nos grosses chaussures pour aller marcher et le soir, on partait à l’opéra, moi en grande robe et lui en smoking!»

Le 16 juin 2009, Adrienne perd son cher Lucien. «Je me suis retrouvée toute seule et j’ai continué mon petit bonhomme de chemin», souffle-t-elle.

Au volant jusqu’à 95 ans

Bien occupée par l’entretien de sa demeure, elle peut désormais compter sur le soutien d’Eric Golaz, un ancien employé communal d’Echandens, qui l’aide à entretenir le jardin et qui passe la voir tous les matins. Depuis que des soucis de dos l’empêchent d’aller faire ses courses, son ange gardien s’en charge: «Mais j’espère que je pourrai y retourner avec lui!»

Il faut dire qu’il y a encore cinq ans, elle conduisait toujours et adorait ça! «C’est moi qui ai décidé d’arrêter. Un jour, je suis arrivée à un passage piéton et ma jambe n’a pas réagi comme je le voulais, mais j’ai pu m’arrêter, explique-t-elle. J’ai posé mes plaques mais j’en ai eu gros, ma liberté était fichue.»

Echandens: ses 100 ans sont passés comme une lettre à la poste

Adrienne Cuendet, qui a tenu le guichet des PTT durant trente ans avec son époux, souffle sa centième bougie en ce mercredi 14 juin.