Il aura fallu près d’un mois d’enquête pour faire le tour et comprendre ce qui a tant agité Les Ateliers de La Côte depuis le mois de mai. Un travail journalistique en trois parties qui questionne et donne la parole aux premiers concernés.

Remettre en cause l’existence du Covid ou douter de l’efficacité des vaccins, rappelons-le, n’a rien d’illégal. Chacun est en effet libre d’exprimer son opinion, tant que celle-ci ne contrevient pas à la loi.

Pour autant, on l’a vu, le discours porté par certains conférenciers annoncés aux Ateliers de la Côte met mal à l’aise plusieurs locataires du complexe. Un sentiment qui n’étonne guère Pascal Wagner-Egger, chercheur en psychologie sociale et auteur de l’ouvrage «Psychologie des croyances aux théories du complot: le bruit de la conspiration».

Les complotistes projettent une vision du monde assez négative.

Pascal Wagner-Egger, chercheur en psychologie sociale

Les études montrent que les complotistes «projettent une vision du monde assez négative. Ils pensent qu’on doit se méfier de tout le monde, que personne n’est digne de confiance et que la plupart des gouvernements, des scientifiques et des journalistes mentent», explique-t-il.

Ce qui l’intéresse, en particulier, c’est la mécanique qui conduit à tenir de tels propos. Alors que certains de ses collègues, partisans d’une définition neutre, parlent d’«explication par le complot», Pascal Wagner-Egger se montre bien plus sceptique.

Manque de preuves pour étayer leurs dires

«La théorie du complot, c’est une accusation de complot sans preuves suffisantes, résume-t-il. Cela peut être véridique, comme toute croyance, mais il n’y a aucun critère pour savoir si c’est vrai ou faux. A partir de là, on peut croire à tout et n’importe quoi. On peut ainsi opposer les théories du complot comme croyances aux enquêtes professionnelles, qui elles seules peuvent amener d’éventuelles preuves devant un tribunal.»

Pour ceux qui y ajoutent foi, il y a un côté rassurant. «Psychologiquement, cela apporte des réponses clé en main. On a une explication, un bouc émissaire, des coupables, et cela donne le sentiment d’appartenir à un groupe. Il y a également ce qu’on appelle la preuve sociale. Plus il y a de gens qui pensent la même chose que nous, plus on est convaincus que c’est la vérité et que l’on ne peut pas se tromper.»

Possibles dangers à la clé

Dans certains cas, cela ne porte pas à conséquence. Dans d’autres, c’est plus problématique. Certaines croyances, en effet, peuvent avoir de fâcheuses répercussions, souligne le psychologue.

Il cite, à ce titre, l’exemple du Mouvement des gilets jaunes, en France, ou les coronasceptiques. «Ils ne croient plus en la politique traditionnelle et pensent qu’il n’y a plus rien d’autre à faire que de mener des actions de révolution contre la dictature des riches et de l’argent qui se cacherait sous une apparente démocratie. Cela crée un certain danger. Si une majorité de gens en sont convaincus, c’est la porte ouverte vers le populisme.»

Le risque existe également de verser dans le racisme et l’antisémitisme. «Le complotisme flirte parfois avec la liberté d’expression», avertit Pascal Wagner-Egger.

Et c’est bien pour cela que la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad) reste vigilante. «Le complotisme et l’antisémitisme vont souvent de pair, relève Johanne Gurfinkiel. Les premiers complots de l’histoire se rattachent à l’idée qu’il y aurait un complot juif.»

Si Salim Laïbi voulait venir à Etoy, ce n’est pas par hasard. C’est bien la preuve, si besoin en était, qu’il a un public dans nos régions…

Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad

Salim Laïbi, qui se défend pourtant de tout antisémitisme, n’est pas le seul conférencier annoncé aux Ateliers de la Côte qui a intéressé la Cicad. «Nous restons une association engagée et mobilisée pour dénoncer ces activistes alors que nos autorités restent trop souvent bien silencieuses pour réagir même lorsqu’il s’agit d’accroître les initiatives pédagogiques et de sensibilisation», note Johanne Gurfinkiel.

Il ajoute: «Les propos complotistes, racistes et antisémites; des attitudes ou actes de violence, n’ont eu de cesse de se multiplier aussi dans les écoles mais nous peinons souvent à convaincre de la nécessité impérieuse de mettre en place des programmes qui permettraient de mieux sensibiliser les jeunes notamment. Si Salim Laïbi voulait venir à Etoy, ce n’est pas par hasard. C’est bien la preuve, si besoin en était, qu’il a un public dans nos régions…»

Le complotisme, c’est qui, c’est quoi?

Des spécialistes expliquent en quoi consistent les théories du complot, et sur quelles bases elles reposent.