Le loup, il connaît. Des années qu’il le suit à la trace, ici comme ailleurs. «J’aime les loups, mais j’aime aussi les bovins. Petit, je passais beaucoup de temps chez mon voisin paysan, je connais très bien ce milieu. Quand je vois des carcasses, ça fait mal au ventre», lâche le biologiste jurassien Jean-Marc Landry.

Son but, c’est précisément de faire cohabiter de manière durable et sereine le pastoralisme et les grands prédateurs. C’est pour cela qu’il a créé, en 2016, une fondation qui porte son nom, mandatée par le canton de Vaud pour assurer l’accompagnement des éleveurs et suivre l’évolution des comportements du carnassier.

Qu’on le veuille ou non, on devra prendre des dispositions pour éviter au maximum les prédations.

Jean-Marc Landry biologiste à l’origine de la fondation qui porte son nom

Alors que les attaques se multiplient dans la région, Jean-Marc Landry détaille quelles pourraient être les solutions, fruit d’années de recherches et d’observations sur le terrain avec son équipe, pour tenter de cohabiter avec le grand canidé. Mais il met en garde: certains milieux très fermés ne se prêtent pas à la protection.

«Le loup est là, on ne va pas revenir en arrière. Dans Jura vaudois, on a la particularité de pratiquer l’élevage extensif. Désormais, on ne pourra plus laisser des veaux seuls en pleine montagne. Il faut que la population prenne conscience que le monde est en train de changer. Qu’on le veuille ou non, on devra prendre des dispositions pour éviter au maximum les prédations.»

La fondation de Jean-Marc Landry est mandatée par le canton de Vaud pour assurer l’accompagnement des éleveurs et suivre l’évolution des comportements du loup. Photo: Sigfredo Haro

C’est désormais une réalité, les troupeaux vont devoir être protégés. «Mais on est au début d’une histoire, car on ne sait pas encore tout, note-t-il. On fait des tentatives avec des bergers et des éleveurs, ce sont souvent eux qui sont à l’origine de plusieurs essais. On les accompagne et on échange avec eux pour comprendre comment on peut procéder.»

1. Identifier les bêtes vulnérables

Les découvertes macabres se succèdent dans le Jura vaudois depuis la mi-juillet. Rien que dans la région de La Côte, deux bêtes ont péri au Pré de Mollens, le 16 juillet, alors qu’une carcasse a été retrouvée à La Bassine, vendredi dernier. Ce week-end encore, un bovin est mort sur l’alpage de La Foirausaz, au-dessus de Bière.

On a compris ce jour-là que les loups pouvaient s’attaquer à des gros veaux.

Jean-Marc Landry biologiste à l’origine de la fondation qui porte son nom

Au total, on dénombre au moins six animaux tués. Des veaux de plusieurs mois, à chaque fois, de 150 à plus de 200 kg. Ces assauts, Jean-Marc Landry et son équipe s’y attendaient, depuis un épisode survenu en juillet 2020 à Riondaz-Derrière, au-dessus de Marchissy.

L’attaque avait avorté, mais les spécialistes de la Fondation Landry avaient filmé un prédateur fondant sur un bovin de 200 kg. «On a compris ce jour-là que les loups pouvaient s’attaquer à des gros veaux, précise son fondateur. Jusque-là, on croyait qu’ils s’en prendraient surtout aux petits des vaches allaitantes qui venaient de vêler. On pensait que c’était ce type de bétail qui était le plus vulnérable. On s’est alors dit que les mères avaient fait leur travail de défense, mais qu’il y avait un tas de groupes de veaux qui étaient tout seuls sans la moindre présence d’adultes.»

2. Mélanger veaux et génisses

Pour mettre à l’abri les veaux, une solution pourrait être de placer quelques génisses avec eux, ou carrément de mélanger les troupeaux. Des observations tangibles ont fait émerger cette idée après que des génisses ont été filmées en train de courir après des loups. D’autres images ont montré des prédateurs traversant un groupe de génisses, sans qu’il n’y ait de problème.

Selon Jean-Marc Landry, «les veaux sont beaucoup plus trouillards et ont tendance à fuir devant quelque chose de nouveau, qu’ils ne connaissent pas. Les génisses, elles, sont curieuses et vont voir ce qu’il se passe. Souvent, quand vous vous baladez en montagne, elles viennent vers vous.» Face à ces grosses bêtes qui se déplacent en groupe, le carnassier est vraisemblablement impressionné. Pour autant, on ne peut pas exclure qu’il y ait un jour une attaque sur un bovin adulte.

Au Marchairuz, un berger fait le test. «On a pu filmer l’une des génisses chasser un loup qui s’approchait des veaux», rapporte le biologiste.

3. Mettre les bovins à l’abri

L’été dernier, certains éleveurs ont installé des parcs anti-intrusion. Photo: archives Sigfredo Haro

Des parcs de sécurité: voilà une autre mesure à expérimenter. Il peut s’agir de petits enclos situés à proximité du chalet pour accueillir les bêtes dès le crépuscule. Ou de parcs de jour clôturés afin d’éviter qu’un prédateur n’y pénètre. Reste à y attirer le bétail, ce qui n’est pas une mince affaire. Impossible, par exemple, d’utiliser des granulés pour les appâter: c’est actuellement interdit. «Tout ce qu’on met en place aujourd’hui va changer la façon d’élever les veaux et de conduire le troupeau en montagne», remarque le biologiste.

Lorsque la situation devient plus tendue, certains bergers choisissent de rentrer les bovins à la tombée du jour. Mais ce n’est pas donné à tout le monde, avertit Jean-Marc Landry. Tout comme dans les parcs de nuit, «il faut gérer le fumier et trouver de l’eau pour abreuver le bétail. On peut le faire ponctuellement à certains endroits, mais pas partout.»

Des éleveurs décident enfin de rapatrier leur bétail en plaine, comme l’ont fait Jean-Marc Baudin et Nicolas Bally après les attaques au Pré de Mollens. «Mais c’est le dernier recours, quand on n’a pas d’autre solution», glisse Jean-Marc Landry. Car l’objectif est bien de les aider à préserver le plus possible la tradition de l’élevage extensif en mettant en place des mesures de protection.

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4. Des ânes plutôt que des chiens de protection

«Les chiens de protection, c’est un peu complexe», souligne Jean-Marc Landry. Si la mesure a été testée efficacement ailleurs, notamment en Savoie, elle n’est pas toujours applicable. «Avec de l’élevage extensif, comme ici au Marchairuz, ce n’est pas possible. Il y a des bêtes partout, et il faudrait des chiens partout également.»

Ce d’autant que la cohabitation avec les randonneurs s’avère très délicate. Pour peu qu’ils soient accompagnés d’un chien qui entre en interaction avec celui qui garde le troupeau, cela peut inciter tout le groupe de bovidés à venir défendre son protecteur: «S’il n’y a pas de clôture, ça peut être très risqué.» Sans compter qu’il faut prendre soin de l’animal durant l’hiver.

Il faut que les ânes soient de grande taille, très agressifs face au prédateur et surtout qu’ils restent auprès des veaux.

Jean-Marc Landry biologiste à l’origine de la fondation qui porte son nom

Quant aux ânes, «ça peut donner des solutions intéressantes, mais il faut voir s’ils supportent nos terrains humides. Certains sont très territoriaux et foncent sur tout ce qui bouge», explique Jean-Marc Landry, précisant que leurs morsures sont puissantes. «Il faut qu’ils soient de grande taille, très agressifs face au prédateur et surtout qu’ils restent auprès des veaux.»

Cette perspective doit toutefois être appréhendée avec prudence. Les ânes pourraient en effet s’attaquer à des chiens de randonneurs. «On n’a pas beaucoup d’expérience. Cela a été fait en Namibie contre le guépard. Ici, ce sont des milieux différents, il faut tester.»

5. Les tirs de régulation

Préserver les bovins, c’est la première étape, mais il faut parfois agir sur la meute. «Si on veut qu’il y ait une cohabitation entre l’homme et le loup, à un moment donné, on est obligé d’intervenir sur ceux qui font des dommages sur les troupeaux», affirme Jean-Marc Landry. Même si cela ne l’enchante guère, il indique que les tirs de régulation sont aussi une option.

«Si vous protégez trop les loups, les éleveurs ne vont plus l’accepter et cela va amener à du braconnage et à d’autres soucis. Il faut éviter de mettre le loup sur un piédestal.»

Le carnassier étant une espèce protégée, cette mesure s’inscrit dans un cadre légal strict. La Fondation Landry est là pour amener son expertise. «On nous a demandé d’appuyer les gardes pour identifier le bon loup afin que le tir soit le plus efficace possible pour la protection des troupeaux», commente son fondateur.

Pas question d’éliminer n’importe quel individu, au risque de mettre en danger la pérennité de la meute. «Il ne faut pas déstructurer le groupe et faire très attention à ce qu’on fait, tout en évitant qu’il se spécialise sur les veaux.»

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