«Il y a comme une impossibilité de parler entre le monde agricole et le monde urbain.» C’est à travers l’écriture que Blaise Hofmann tente de combler ce fossé qui sépare les paysans et les citadins. Dans son nouvel ouvrage «Faire paysan», qui est paru le 3 mars aux éditions Zoé, l’écrivain-vigneron part à la rencontre de paysans pour recueillir leurs témoignages et porter leurs voix.

Auteur d’une dizaine de romans et de récits de voyage, Blaise Hofmann grandit dans une famille paysanne. Il naît à Villars-sous-Yens, un village qui à l’époque ne comptait qu’une quarantaine d’habitants. Lorsqu’il quitte la campagne pour la ville, aux yeux de son entourage, c’est une trahison.

Il n’est plus des leurs, il est «de l’autre camp». «Rien à voir avec mes opinions. La différence se mesure à ma manière de parler, de serrer la main, de marcher, de m’asseoir, de tenir mon verre», écrit-il. Il vivra quinze ans en ville, à Lausanne.

A jamais entre deux mondes, les fesses entre une chaise et un botte-cul.

Blaise Hofmann, écrivain

Tiraillé, il est condamné à rester «à jamais entre deux mondes, les fesses entre une chaise et un botte-cul». Ce sentiment lui fait «se sentir étranger dans les deux mondes». Mais il relativise: «C’est sûrement grâce à ce statut que l’on peut devenir passeur». Tout naturellement, il retrouve sa campagne et s’installe à quelques kilomètres de son village natal avec sa conjointe pour donner naissance à leur première fille, il y a six ans.

Paysan et fier

Quand on lui demande pourquoi avoir choisi ce titre, il répond: «Rien que le terme paysan, il est déjà très fort. Maintenant, on l’a remplacé par de nouvelles formules, des euphémismes, on parle d’exploitant agricole. Se dire paysan et en être fier, c’est aussi donner envie de faire paysan.» Il espère que la nouvelle génération de paysans soit fière de l’être.

Il est chagriné de constater qu’un grand nombre d’agriculteurs souffrent d’un complexe d’infériorité. «On a perdu ce regard sur le paysan comme étant une profession noble et des plus essentielles. C’est quand même eux qui nous nourrissent.»

Si tu tapes «agriculture suisse» sur Google, il y a que des histoires d’empoisonnement, de maltraitance. C’est ce nouveau regard sur la paysannerie que je trouve douloureux.

Blaise Hofmann, écrivain

Selon lui, ce complexe provient en partie du regard que porte, ces dernières années, la population suisse sur la paysannerie. «Si tu tapes «agriculture suisse» sur Google, il y a que des histoires d’empoisonnement, de maltraitance. C’est ce nouveau regard sur la paysannerie que je trouve douloureux. L’image en une génération a totalement basculé.»

Malgré toute l’admiration qu’il a pour le métier, il ne cache pas son mépris pour «toutes les erreurs qui ont été commises dans l’agriculture entre les années cinquante et huitante.»

Des initiatives clivantes

Les tensions engendrées par les deux initiatives de 2021 sur l’interdiction des pesticides ont été l’élément déclencheur pour l’écriture de ce livre. «Les six mois de campagne, je les avais trouvés très troublants. Je ne savais pas comment me positionner. Ces initiatives ont été révélatrices de ce fossé qui se creuse.»

Dans son livre, il décrit le paysan comme victime du syndrome de Stockholm, capable d’aimer son propre bourreau. Lui qui n’attaque jamais directement ses fossoyeurs, les grandes entreprises de phytosanitaires. «On voit comment ils ont défendu ces pesticides. Ils préfèrent s’en prendre à ceux qui leur donnent de l’argent, la Confédération et les consommateurs, plutôt qu’à ceux qui s’enrichissent sur leur dos, ceux qui les exposent à des substances toxiques.»

On aurait tout intérêt à être à leur écoute. Il y a des messages qui pourraient nous faire du bien, nous ancrer. Échanger avec des paysans, c’est comme une mise à terre.

Blaise Hofmann, écrivain

Pour l’écrivain-vigneron, le monde agricole ne peut pas changer en une décision politique. «A la campagne, c’est très lent, ça évolue au même rythme que la terre, tout prend du temps.»

Reverolle, mardi 28 février 2023
Portrait de Blaise Hofmann, écrivain qui présente son nouveau livre “faire paysan”

© Sigfredo Haro © Sigfredo Haro

Blaise Hofmann: «C’est ce nouveau regard sur la paysannerie que je trouve douloureux. L’image en une génération a totalement basculé.» Photo: Sigfredo Haro

La disparition «d’un savoir-être et d’un savoir-faire»

En 1905, 30% de la population suisse travaillait dans l’agriculture. En 2021, ils ne sont plus que 2%. «Ce n’est pas un livre de solution, je constate un monde qui disparaît.»

Il poursuit: «Ça me touche de voir la disparition des fermes et de tout un savoir-faire et un savoir-être. On aurait tout intérêt à être à leur écoute. Il y a des messages qui pourraient nous faire du bien, nous ancrer. Échanger avec des paysans, c’est comme une mise à terre.»

L’auteur aborde notamment l’évolution du métier et sa mécanisation. Avec, selon Blaise Hofmann, l’endettement et l’isolement des agriculteurs pour conséquences. «Je crois qu’on est allé trop loin avec la technologie. Aujourd’hui, les paysans travaillent la terre seuls, dans une cabine insonorisée. Cette mécanisation leur a fait perdre de l’autonomie.»

Retrouver un dialogue perdu

«Les paysans ont un effort de communication à faire, laisser leur pudeur et leur orgueil de côté. Et de l’autre, les citadins doivent délaisser une certaine arrogance à avoir un avis sur l’agriculture.» Afin de sortir de la contestation et du débat, l’écrivain prêche pour raconter la paysannerie à travers les émotions, le ressenti.

Quant à l’avenir, l’auteur demeure un éternel optimiste et espère voir le métier de paysan à nouveau valorisé. «Le plus grand plaisir que pourrait me donner ce livre, c’est de servir de liant et réconcilier le monde agricole et le monde urbain.»

Infos pratiques

Faire paysan, Blaise Hofmann, éditions Zoé, disponible depuis le 3 mars en librairie

Reverolle: l’hymne de Blaise Hofmann pour réconcilier paysans et citadins

L’écrivain morgien publie son nouvel ouvrage «Faire paysan». Un récit intime enrichi de reportages auprès de celles et ceux qui exercent le métier ancestral.