Thierry Häusermann ne décolère pas depuis que l’exécutif de Morges a résilié son droit d’amarrage dans le port du Petit-Bois pour le 31 décembre 2022. Pour l’heure, son bateau n’a pas bougé. Le Morgien a décidé de faire recours à la Cour de droit administratif et public (CDAP) du Tribunal cantonal contre cette décision qu’il juge «abusive», une procédure qui entraîne automatiquement un effet suspensif. Comme lui, d’autres plaisanciers sommés de quitter les lieux ont décidé de réagir.

Thierry Häusermann a d’ailleurs lancé un appel sur les réseaux sociaux pour fédérer celles et ceux qui ont perdu leur point d’ancrage sur les rives de La Coquette. Ce graphiste indépendant songe même à créer une association après que plusieurs personnes l’ont contacté.

Mais comment en sont-elles arrivées là? Dans le cas de Thierry Häusermann, la situation est liée à un retard de paiement. Confronté à des difficultés financières à la suite du Covid, il n’a pas pu régler dans les temps la facture de sa place d’un montant de 709.15 francs.

Fin septembre, après avoir reçu un second rappel qui lui laissait un ultime délai fixé au 23 septembre, il a téléphoné aux services communaux pour les informer que son virement était imminent. «En 2016, j’avais eu le même souci et l’affaire avait pu être réglée facilement. Là, on m’a dit que tout était en ordre et, trois jours plus tard, je recevais un courrier m’informant que ma location était résiliée», peste-t-il.

Un oubli qui leur coûte cher

Le problème, explique la Ville, c’est que le Service des finances, avec lequel il s’est entretenu, ne savait pas que le recommandé concernant la résiliation venait tout juste de partir. Des arrangements sont toujours possibles en amont mais là, il n’y avait plus rien à faire, indique Anne Annen, assistante administrative à la Régie des ports. Si ce n’est adresser un recours à la CDAP.

Nous avons interrogé quatre autres navigateurs priés de s’en aller en raison d’un oubli administratif. A Morges, le règlement des ports prévoit qu’ils doivent confirmer leur inscription pour l’année suivante, sans quoi ils perdent leur droit d’amarrage. Or tous affirment que le courriel qui les enjoignait à faire cette démarche via une plateforme de cyberadministration, tout comme le rappel également envoyé par mail, leur ont complètement échappé ou ont fini dans leurs spams.

«Si j’avais reçu une lettre, j’aurais réagi immédiatement. J’ai l’impression qu’ils nous ont piégés avec ce courriel, s’emporte Philippe Rochat. Je ne comprends pas ce manque d’humanité et la brutalité de cette mesure. Je me retrouve avec un bateau de 9,50 mètres et de 6,5 tonnes dont je ne sais que faire…»

Pour moi, c’est la fin de la navigation. Je vais me remettre sur liste d’attente et peut-être que, dans dix ans, j’aurai à nouveau une place.

Gaëtan Buser, navigateur qui a perdu sa place d’amarrage à Morges

«Cette procédure par mail ne joue pas», abonde un autre plaisancier, qui tient à l’anonymat. Comme Philippe Rochat et Thierry Häusermann, il s’en remet désormais à l’appréciation de la CDAP et se dit prêt à plaider sa cause devant le Tribunal fédéral s’il le faut: «Je suis dans mon bon droit, j’irai jusqu’au bout!»

Un «grand nettoyage»?

Gaëtan Buser, lui, a décidé de lâcher l’affaire. Il reconnaît avoir fauté, quand bien même il explique avoir subi des soucis de santé qui l’ont empêché d’avoir un suivi régulier de ses affaires l’automne dernier. «Pour moi, c’est la fin de la navigation, lâche-t-il. Je vais me remettre sur liste d’attente et peut-être que, dans dix ans, j’aurai à nouveau une place.»

Il n’empêche, ce qui se passe dans les ports de Morges l’interpelle: «Selon moi, c’est politique. Cette année, il y a un grand nettoyage dont j’ignore la raison.»

On admet qu’une personne puisse louper le coche une fois et elle est repêchée.

Jean-Jacques Aubert, municipal responsable des Infrastructures et de la gestion urbaine

Notre quatrième interlocuteur, qui ne souhaite pas révéler son identité, a pu échapper à la résiliation après avoir écrit à la commune: «Je pense que le fait que mon catamaran soit rutilant et que je sois un navigateur actif avec un palmarès a joué en ma faveur.»

Or l’explication est tout autre selon Jean-Jacques Aubert, municipal responsable des Infrastructures et de la gestion urbaine. «On admet qu’une personne puisse louper le coche une fois et elle est repêchée», précise-t-il. Dans le dernier cas évoqué, il s’agissait donc d’un premier oubli.

En 2022, la Municipalité a passé l’éponge pour vingt locataires en infraction avec le règlement des ports, qui s’applique à environ 1000 places, mais elle s’est montrée inflexible dans huit cas. Selon l’élu, «ce sont toutes des personnes en récidive» en raison d’un défaut de paiement, d’entretien, ou de confirmation de leur inscription.

Un bateau qui pourrait finir à la casse

Et que répond la Ville à celles et ceux qui lui reprochent d’envoyer des messages importants par mail? «Les gens savent que le renouvellement doit être fait chaque année, avance Anne Annen. Ce qu’on envoie, c’est un rappel mais c’est à eux de noter qu’il faut le faire. Et même quand on procédait par courrier postal, on avait déjà ce problème, des gens nous disaient qu’ils n’avaient pas reçu la lettre…» Une trentaine de plaisanciers, d’ailleurs, sont encore informés sur papier, après en avoir fait la requête. Il est également possible de s’adresser directement à la Régie des ports pour qu’elle procède au renouvellement.

Reste que la pilule est dure à avaler pour ceux qui doivent partir. «Je n’ai pas d’autre solution que de mettre mon bateau à la casse, soupire Thierry Häusermann. Il est conforme mais personne ne me l’achètera sans place d’amarrage. C’était celui de mon père et j’ai des souvenirs incroyables dessus…»

Expulsés du port, des navigateurs font des remous à Morges

Des plaisanciers ont perdu leur droit d’amarrage dans le port. En cause, une facture oubliée, un courriel de rappel raté. De son côté, la Ville assure que les règles sont les mêmes pour tout le monde.