C’est un grand pas pour Pro-Jet: il y a quelques semaines, l’association qui œuvre pour la réinsertion professionnelle a pu emménager dans ses nouveaux locaux, agrandis et mis aux normes, dans le quartier de l’Esp’Asse à Nyon.

Mais l’organisation doit en parallèle faire face à d’importants défis. L’an passé, elle s’est vue amputer de plus d’un million de francs de subventions par le canton, ce qui l’a contrainte à fermer son Bric-à-Brac et à licencier du personnel et à renoncer à un équivalent de six postes à temps plein.

Quelques jours après l’inauguration officielle des nouveaux locaux, les deux codirectrices de l’association font le point sur la situation de Pro-Jet.

Jennifer Duperret, Susanne Sinclair, la fin d’année 2022 n’a pas été facile pour Pro-Jet. Comment va l’association?

Jennifer Duperret: Nous avions beaucoup anticipé les risques de fluctuation liés au budget de la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM). Du coup, nos programmes ne sont pas seulement destinés aux chômeurs, mais aussi à des personnes bénéficiaires de l’Assurance Invalidité (AI), depuis 4 ans. Grâce à cette diversification et à la difficile décision de licencier, nous allons bien, aujourd’hui.

Aviez-vous vu venir ces coupes budgétaires en 2022?

J.D.: On ne s’attendait pas à des montants aussi importants, même si on savait qu’il y aurait des coupes.

S.S.: La DGEM reçoit de l’argent de la Confédération. Si le taux de chômage est bas, on part du principe qu’il n’y a pas besoin de nos services d’insertion. Ce qui est compliqué, c’est que le budget de la subvention octroyée est toujours basé sur le taux de chômage de l’année précédente pour être appliqué l’année d’après. Il y a donc souvent un décalage. Quand nous sommes arrivées il y a sept ans, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un très grand risque à être dépendant financièrement d’un seul mandant. Le seul levier, ce serait de licencier du monde…

J.D.: … alors qu’il est très difficile de recruter et surtout de former. Nous voulons vraiment garder les compétences pour être prêts à accompagner ceux qui en ont besoin sur La Côte.

Quelles ont été les conséquences des coupes budgétaires pour Pro-jet?

J.D.: Nous avons pu conserver 13 ateliers sur 15. Nous avons dû supprimer le Bric-à-Brac et le secteur maintenance, baisser les taux sur trois postes et supprimer six postes.

S.S.: Ce sont des secteurs visibles. Mais ce n’est pas du tout la première coupe que nous subissons.

J.D.: Sur les subventions liées au chômage, on a eu un million de coupes en sept ans, puis un million de coupes en une année, en 2022. Vous imaginez le niveau d’inventivité qu’il faut développer, pour une petite structure comme la nôtre.

S.S.: Lorsque nous sommes arrivées, les gens avaient l’habitude d’avoir peur de se faire licencier en fin d’année. Nous avions réussi à casser cela… Si vous êtes entrepreneur privé, vous pouvez faire un plan sur 5 ans. Mais pour nous, il n’y a pas de projections possibles sur plus d’une année, alors que les besoins sociaux augmentent.

J.D.: Même si on est pro-actif, même si on a les compétences, une association comme la nôtre pourrait rapidement disparaître sur une décision du canton.

Nyon, vendredi 10 mars 2023
Portrait de Susanne Sinclair et Jennifer Duperret, directrices de l'association "Pro-Jet" à Nyon

© Sigfredo Haro © Sigfredo Haro

Capitaines du «navire» Pro-Jet, Susanne Sinclair et Jennifer Duperret poursuivent fièrement leur mission pour la réinsertion professionnelle. Photo Sigfredo Haro

Parmi ces coupes de 2022, vous avez subi une suppression de 500’000 francs dans le secteur du Semestre de Motivation (SEMO), soit un tiers du budget pour cette mesure. Quel rapport avec le chômage?

S.S.: Le SEMO est une forme de prévention du chômage pour les jeunes, c’est donc financé par le même département.

J.D.: Il y a un problème structurel: les jeunes du SEMO, dont le nombre ne change pas, dépendent du taux de chômeurs dans la Suisse entière. Nous avons donc dû baisser le taux d’encadrement, d’année en année depuis six ans. Alors que depuis la pandémie en particulier, les jeunes ont vraiment besoin d’encadrants, qui sont surchargés.

Concernant le Bric-à-brac, ne pouvait-il pas tourner avec d’autres personnes?

J.D.: Nous avions besoin de personnel logistique, qui peut par exemple conduire des véhicules. A l’été 2022, nous avions proposé de travailler avec les réfugiés ukrainiens. Récemment, le canton nous a informées d’une possible collaboration avec l’EVAM au courant 2023. Mais les encadrants ont déjà été licenciés…

S.S.: Le problème, c’est que les différents départements/mandants cantonaux ne fonctionnent pas de manière transversale. Une association comme la nôtre, avec peu de fonds propres, doit jongler.

Comptez-vous diversifier davantage vos activités?

J.D.: Nous avons beaucoup de demandes des communes et des écoles pour des jeunes en décrochage scolaire ou en rupture d’apprentissage. L’AI est demandeuse de nouvelles prestations. Nous allons aussi proposer des cours pour perfectionner des compétences métier numériques.

Avez-vous envisagé d’intégrer des partenariats public-privé à votre financement?

S.S.: Quand on est subventionné, toute aide de tiers doit être déduite de la subvention. Ce n’est donc pas vraiment une solution. Mais c’est tout de même un peu ce que nous avons avec Publibike, qui est mandaté par Région de Nyon à condition de travailler avec nous.

Vous venez d’inaugurer votre nouveau bâtiment à l’Esp’Asse. Comment s’organise-t-il?

J.D.: Nous étions avant sur une friche industrielle. Nous n’avions pas assez de bureaux, ni assez d’espaces. Aujourd’hui, on a des conditions de travail qui permettent d’avoir une place pour chaque atelier. Ce qui est super, c’est que chacun a fait son esquisse, a pu prendre part à la réflexion.

S.S.: Maintenant, on a des infrastructures neuves et fonctionnelles. C’est agréable et valorisant pour tous. Il faut relever aussi que la Fondation Esp’Asse, notre propriétaire, aurait eu d’autres choix, plus rentables. Mais ils nous ont choisis, ils sont loyaux. Il ne nous manque plus qu’une chose: on cherche un partenaire garagiste dans la région, puisque nous devons délocaliser notre garage pédagogique, qui a beaucoup de succès dans la formation d’apprentis.

Pro-Jet et la fondation Esp’Asse, une amitié qui dure
Historiquement, c’est pour aider Pro-Jet à trouver des locaux que la fondation Esp’Asse, propriétaire des locaux, s’est constituée. Elle qui héberge maintenant aussi d’autres structures sociales et des artistes reste très attachée à Pro-Jet. «Nous avons été quelque peu surpris et choqué d’apprendre ces coupes budgétaires, reconnaît Jean-Claude Bouvrot, président du Conseil de fondation. A notre sens, Pro-Jet fait bien son travail d’insertion et nous sommes bien placés pour observer que si l’économie de notre pays se porte plutôt bien, il existe une partie non négligeable de notre population qui est restée ou qui devient en marge de celle-là.»

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