Ghislaine Heger le reconnaît: il y a quelque chose de paradoxal dans sa démarche. «Ce projet, j’ai envie de dire que c’est un non-sujet. Dans l’absolu, on ne devrait pas parler de la couleur naturelle des femmes.» C’est pourtant ce que cette photographe a choisi de faire en mettant en lumière 21 Vaudoises fières de leurs cheveux gris avec son exposition «Silver Power», portée par l’association Tokyo Moon, à découvrir jusqu’au 24 juin à l’Espace 81 à Morges.

A l’origine, il y a un constat personnel. «Je viens d’une famille où on est très codifiés au niveau des genres. Je me disais: ''le jour où j’ai un cheveu gris, je suis finie.'' Les réflexions de base qu’on a tous, c’est que ça fait vieille et négligée. C’est avec ça que j’ai grandi et ce n’est pas du tout fondé. J’ai envie de montrer des femmes qui s’assument et qui sont inspirantes.»

Quoi qu’on en dise, «ça ne laisse à peu près personne indifférent, tout le monde a un avis là-dessus, poursuit Ghislaine Heger. Les participantes me disent qu’elles reçoivent beaucoup de remarques, on les voit. Ce qui m’étonne, c’est qu’on se permet de faire des remarques sur l’aspect physique des femmes. Même quand c’est positif, on ne peut pas s’empêcher d’en faire.»

J’ai envie de montrer des femmes qui s’assument et qui sont inspirantes.

Ghislaine Heger, photographe

A travers cette exposition, elle défend une liberté de choix. L’idée, aussi, que cette histoire de chevelure argentée, ce n’est pas seulement une question d’esthétisme: «C’est également lié à ce que ces femmes dégagent.»

Nuria Gorrite, Préverenges

Photo: Ghislaine Heger

Sa transition vers sa couleur naturelle, en 2019, était avant tout liée à des préoccupations environnementales. Ce que Nuria Gorrite n’imaginait pas, c’étaient les réactions que cela allait générer. Dans la rue, les femmes se sont mises à l’interpeller. Pour la complimenter, la féliciter, lui demander conseil, et même lui toucher les cheveux. Mais aussi pour lui faire part de leurs craintes de franchir le pas, ou lui confier que leur mari s’y refusait.

Sans qu’elle ne l’ait voulu, ni anticipé, sa chevelure est devenue un acte militant. «J’ai pris conscience de l’assignation qui est faite aux femmes d’être dans un jeunisme permanent», relève la conseillère d’Etat. En arborant des nuances de gris, c’est comme si la société les invisibilisait, voire les déclassait. «Je pense que cela a à voir avec la fertilité. Il doit y avoir, dans cette question, une association avec la ménopause. Dès lors qu’il y a l’idée sous-jacente que la femme est devenue un ventre inutile, elle perd un peu de sa valeur.»

Une femme publique qui assume cette transition, c’est très fort et ça les décomplexe.

Nuria Gorrite, conseillère d’Etat

Une difficulté avec laquelle les hommes n’ont pas à composer: «Eux ont des cheveux poivre et sel, nous gris. Ils ont des pattes d’oie, nous des rides. Les mots ont un sens. Cela montre qu’il y a encore des territoires à normaliser pour les femmes.»

En renouant avec le naturel, Nuria Gorrite en a convaincu plus d’une de renoncer aux teintures: «Une femme publique qui assume cette transition, c’est très fort et ça les décomplexe», souligne-t-elle.

Et au fait, que pensent ces messieurs de son choix capillaire? «Ceux qui m’en parlent trouvent cela très beau, c’est ça qui est fou! En matière de séduction, ça ne change rien.»

Anne-Claire Gallay, Morges

Photo: Ghislaine Heger

Il y a vingt ans, lorsqu’elle a renoncé aux colorations, elle n’a pas réussi à convaincre sa coiffeuse. «Elle me disait que ça me vieillirait», raconte Anne-Claire Gallay. Tant et si bien qu’elle a dû changer de salon. Finalement, c’est un homme qui l’a aidée à faire sa transition. Mais à une condition: «Si tu as des cheveux blancs, il faut que tu aies une super coupe, que ce soit stylé.»

Depuis qu’il est parti à l’étranger, cette Morgienne a décidé de se passer des services d’un coiffeur. «Je suis sortie du truc sophistiqué», note-t-elle. Certains clichés l’ont alors amusée, tels que «les cheveux blancs et longs, ça fait sorcière, chamane ou dame blanche».

Je me réjouis du temps où les médias diront qu’on peut être beau ou belle en veillissant.

Anne-Claire Gallay, Morgienne

Les retours des femmes, dans la rue, sont pourtant enthousiastes. Elles lui confient que c’est beau et naturel. A l’exception de ses proches, «totalement acquis à la cause», les hommes n’abordent généralement pas le sujet. «Je ne sais pas ce que ce silence veut dire. J’ai la sensation que je n’existe plus. C’est encore très ancré dans la tête des gens que lorsqu’on a les cheveux blancs, on est vieux.»

Cette exposition, «c’est pour montrer qu’on est là, que c’est possible et que ça peut être joli», note Anne-Claire Gallay. Une façon, aussi, de s’inscrire dans un processus biologique normalisé: «Je me réjouis du temps où les médias diront qu’on peut être beau ou belle en veillissant.»

Selon elle, on est toutes et tous concernés: «On voit de moins en moins d’acteurs avec une calvitie. Je pense que, pour les hommes, c’est compliqué. Le poids du jeunisme, il est pour tout le monde.»

Françoise Idzerda, Eysins

Photo: Ghislaine Heger

C’est elle qui s’est approchée de Ghislaine Heger pour participer à cette exposition, lorsqu’elle en a entendu parler. Pourtant, Françoise Idzerda aime tout sauf être mise en avant. «Quand quelqu’un sort un appareil photo, j’ai tendance à me planquer», confie cette habitante d’Eysins.

Si elle a choisi de sortir de sa zone de confort, c’est que le projet lui a immédiatement parlé. Parce qu’il abordait des questions qu’elle se posait déjà: «Je n’ai jamais compris cette pression qu’il y a sur les femmes de paraître plus jeunes qu’elles ne le sont.»

J’ai entendu des gens parler d’autres personnes en disant que ça les vieillissait. C’est aberrant, ça fait juste notre âge!

Françoise Idzerda,musicienne

Les colorations, elle a connu. Avec un seul but: mettre de la vie dans une chevelure qu’elle trouvait fade au naturel. Le jour où ses premiers cheveux blancs sont apparus, elle n’a surtout pas voulu les cacher. Car ils venaient mettre de la lumière là où elle cherchait à en rajouter artificiellement: «J’ai voulu qu’on les voie car je trouvais ça joli!»

Aujourd’hui, elle ne renoncerait pour rien au monde à ses nuances de gris. Mais elle n’en fait pas un leitmotiv: «Je ne cherche pas à convaincre les femmes de mettre une croix sur les teintures, mais je trouve dommage que ce soit juste par peur de paraître leur âge. A 60 ans, on peut être magnifique. Pourquoi devrait-on en paraître 35?»

Des remarques négatives, elle n’en a jamais eu. «En revanche, j’ai entendu des gens parler d’autres personnes en disant que ça les vieillissait. C’est aberrant, ça fait juste notre âge! Malheureusement, le concept de beauté est essentiellement basé sur la jeunesse. En vieillissant, je me sens beaucoup plus belle que lorsque j’avais 30 ans. Peut-être parce que je suis véritablement moi.»

Hommage à toutes les femmes de 60 ans et plus
Le samedi 10 juin et le mercredi 14 juin, de 14h à 17h30, deux sessions photos sont organisées pour rendre hommage aux femmes de 60 ans et plus, sur la place de l’Hôtel-de-Ville à Morges. Les participantes peuvent venir seules ou accompagnées de leurs proches. Les images leur seront envoyées par e-mail, puis exposées à l’Espace 81 du 17 au 24 juin. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 9 juin à 15h pour l’évènement du 10 juin, et jusqu’au 13 juin à 15h pour celui du 14 juin sur www.morges.ch/wall-of-fame

Un carnet de bons pour doper le commerce local morgien

La Ville et l’association des commerçants viennent de lancer le passeport morgien. Envoyé à tous les ménages de la commune, il se décline sous la forme de bons, valables dans plus de 70 enseignes, destinés à soutenir le tissu économique local.