L’année 2021 a débuté par un sérieux serrage de ceinture collectif. Puis la bride s’est doucement relâchée le 1er mars, avec la réouverture des commerces non-essentiels, des musées ou encore des zoos. Les restaurants quant à eux, devront attendre au moins jusqu’au 22 mars pour espérer une ouverture. Une date qui ne concerne que les terrasses et encore, rien n’est sûr. Tout va dépendre de la situation épidémiologique et des annonces du Conseil fédéral, comme celles prévues ce vendredi et très attendues.

Résultat de ce lot d’incertitudes qui règne depuis une année: «Un quart des restaurants estime ne pas être viable sans ouverture prochaine», annonce Gilles Meystre, président de GastroVaud. Derrière ce sombre ratio, des restaurateurs encore passionnés, fatigués mais prêts à croire jusqu’au bout en l’avenir de leur métier. Reste que, dans la région, les annonces de fermeture ou de remise de bail se font toujours plus nombreuses. Ainsi, les auberges communales de Villars-sous-Yens et Etoy changeront de patron dans les prochaines semaines et sans doute d’autres encore, la liste n’étant malheureusement pas exhaustive.

«Moi, je rends les armes»

Le président de GastroVaud poursuit avec ses chiffres alarmants: «Certains restaurateurs sont à bout, tout bonnement; 55% se disent en très mauvais état psychologique.» Une déclaration qui se vérifie rapidement sur le terrain. «En mars 2020, le monde nous tombe sur la tête, on n’est pas préparé, c’est la première fois qu’on voit notre maison fermer du jour au lendemain», déclare Yann Marty qui va prochainement remettre son auberge Chez Yann, à Etoy.

Patron de l’auberge communale de Villars-sous-Yens, Patrick Strauss connaît, lui aussi, très bien cette anxiété quotidienne qui a marqué l’année 2020: «Ce qui est le plus pesant, c’est de ne pas savoir quand on pourra ouvrir ni quand on sera fermé.» Pour éviter tout risque sanitaire, le restaurateur s’est résolu à ne pas proposer de service à l’emporter lors de la première vague. Il a entièrement fermé et a trouvé un autre travail.

Le 11 mai 2020 les restaurants peuvent ouvrir à nouveau et l’engouement de la clientèle insuffle une forte dose d’espoir à nos deux restaurateurs. Mais l’optimisme laisse rapidement place à l’incertitude, encore une fois. «C’est une spirale qui commence et pour finir, ne se termine jamais», poursuit Yann Marty. L’instabilité qui secoue la santé mentale commence à se faire ressentir sur les corps. Fin octobre, les restaurants doivent de nouveau fermer, c’en est trop. «J’avais une passion mais à un moment donné, il faut être réaliste. Moi, je rends les armes.» La crise du coronavirus et la fin de son bail sont un signe pour jeter l’éponge, malgré les cinq années de travail acharné, dans la passion et le bonheur. «La vie a décidé qu’il ne fallait pas abuser des bonnes choses. On court après ce travail mais il va nous tuer…»

On se retrouve avec une entreprise qui nous coûte au lieu de nous rapporter de l’argent.

Patrick Strauss restaurateur à Villars-sous-Yens

Pour Patrick Strauss, du côté de Villars-sous-Yens, les annonces pour 2021 ont le mérite d’être plus claires. Les restaurants seront fermés pour ce début d’année. Malgré le service de vente à l’emporter qui permet de délivrer le salaire des employés, le restaurateur peine à joindre les deux bouts et a l’impression de creuser son propre trou. «On se retrouve avec une entreprise qui nous coûte au lieu de nous rapporter de l’argent.» Plusieurs années seront nécessaires pour rattraper les dégâts. Patrick Strauss s’est donc résolu à céder son auberge. C’est «un crève-cœur» mais aussi de «la survie» pour connaître la stabilité financière.

Il se considère d’ailleurs particulièrement chanceux d’avoir trouvé preneur alors que d’autres doivent se résigner à vendre leur établissement à moitié prix. «Je suis dans une période de soulagement», dit-il.

Yann Marty a retrouvé un successeur. (Photo: Cédric Sandoz)

Du côté de Chez Yann, la transition avec le futur restaurateur ne présage aussi que du positif. C’est une continuité de ce qui avait déjà été entrepris. Le concept, la carte, le personnel, les producteurs, il y aura peu de changements. Et Yann Marty a déjà hâte de venir manger la traditionnelle terrine de l’établissement, repris par Paulo Alves, et de profiter davantage de sa famille.

«Si on attend sur l’Etat on est mort»

Sans le soutien financier de l’Etat, Yann Marty et Patrick Strauss n’auraient pas tenu jusque-là. Ils s’estiment chanceux d’avoir pu être également aidé financièrement par leur commune, en plus du soutien de leur clientèle. Mais selon le président de GastroVaud, ces aides des autorités n’ont de loin pas été suffisantes: «70% des restaurateurs ont des retards de payements car ils n’ont plus de trésorerie, épuisée durant 2020 et parce que les indemnités mettent du temps à tomber», déclare Gilles Meystre.

Concernant les fameuses indemnités, Julien Brocard, propriétaire de l’Union à Crans et qui gère les auberges communales de Prangins et de Tannay, n’a carrément pas reçu de nouvelles pour deux de ces trois établissements. La lenteur des démarches pousse les restaurateurs à bout. Quant à Paulo Alves, le futur patron de l’auberge d’Etoy avance: «J’ai d’autres établissements à Lausanne. Je souffre parce que les indemnités sont toujours au point mort. Cela fait un an qu’on lutte pour ça! Je connais beaucoup de restaurateurs qui n’ont encore rien touché et d’autres, qu’une petite partie mais pas les milliards qu’ils annoncent chaque jour.»

On a affaire à un Conseil fédéral qui reste rivé sur une seule courbe, celle du Covid. Moi, j’essaye de regarder un peu plus largement avec la courbe des faillites, la courbe du désespoir.

Gilles Meystre président de GastroVaud

Le restaurateur n’est pas le seul à se considérer discriminé vis-à-vis des autres secteurs «J’imagine que d’être dans un endroit fermé sans masque, ça reste dangereux. Mais je pense que s’ils avaient tout fermé pendant deux ou trois mois on aurait peut-être limité la casse. Après c’est facile à dire; à faire, c’est autre chose», déclarent Gerald Dieudonne et Philippe Ferreira qui s’apprêtent à se lancer avec le bistrot chic Millesens10, à Morges.

«On a affaire à un Conseil fédéral qui reste rivé sur une seule courbe qui est celle du Covid et moi j’essaye de regarder un peu plus largement avec la courbe des faillites, la courbe du désespoir. Je pense qu’on doit aujourd’hui ouvrir pour éviter d’enterrer définitivement un nombre considérable d’établissements», résume le président de GastroVaud.

Concernant la possible ouverture des terrasses, tous les restaurateurs interrogés se disent inquiets. En cause: le mauvais temps, la perte de marchandise, les aides qui seront moins conséquentes. Réponse aujourd’hui avec les annonces du Conseil fédéral.

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