Les bières locales existent en nombre sur La Côte! Enfin… les bières brassées dans la région. Parce que pour ce qui est de l’orge brassicole, du houblon et de l’opération de maltage, rares sont les bières artisanales dont les matières premières sont cultivées et transformées entièrement sur sol suisse, encore moins dans les districts de Nyon et de Morges.

Record mondial, pas si local

Avec ses 1112 entreprises brassicoles, dont 118 dans le canton de Vaud, la Suisse détient le record mondial du plus grand nombre de brasseries par habitant – 131 pour chaque million de personnes en 2020. Malgré cela, l’importation reste le principal moyen d’obtenir les céréales dont les brasseurs ont besoin pour fabriquer la fameuse potion. Selon l’Association suisse des brasseries seulement 1% du malt et 10% du houblon sont produits en Suisse.

La flambée de la consommation de bières artisanales ces dix dernières années dans la région n’a pas encore entraîné de vraie augmentation de la production de matières premières, même si la totalité de l’eau et des levures utilisées en Suisse sont indigènes. «La demande est devenue gigantesque très rapidement et il faudra du temps pour que la quantité d’orge et de houblon suive, explique Angel Merino, propriétaire de La Capsule, magasin glandois spécialisé dans le domaine. Les bières que je vends le mieux, et de loin, sont celles produites entre Morges et Nyon. Les gens ont vraiment la notion du local, mais ne demandent pas encore d’où viennent les matières premières.»

Le premier frein est financier

Pour les brasseurs, le rapport à l’approvisionnement local varie en fonction du volume de la production et des prix auxquels ils jugent bon de vendre leurs bières. A mi-chemin entre l’artisanal et l’industriel, Cap’taine Mousse met plutôt en avant l’accessibilité de ses bières. «Puisque notre politique de prix est compétitive, on arrive petit à petit à prendre des parts de marché aux grands groupes comme Feldschlösschen, détaille Jérôme Bachelard, l’un des deux associés de la firme nyonnaise. Mais un petit brasseur qui se fournirait uniquement en local aurait énormément de peine à y arriver.»

Le prix est le principal facteur de cette observation. Il faut de la place pour produire les importantes quantités d’orge brassicole nécessaire, et celui-ci diffère de l’orge commun par bien des aspects et nécessite un traitement particulier. Les machines et la main-d’œuvre spécifiques au houblon, qui se présente comme de hautes vignes dotées de lianes, coûtent également.

Avec tous ces paramètres, la concurrence des productions d’orge et de houblon européennes – en particulier allemandes et françaises – devient imbattable. Le coût des matières premières suisses est multiplié par vingt ou trente par rapport à nos voisins et se répercute forcément sur le prix de vente. Un risque que certains prennent en comptant sur la compréhension du consommateur. Mais le choix est difficile à assumer financièrement.

Des malteries à développer

De plus, les matières premières produites en Suisse sont incompatibles avec les désirs d’expérimentation gustative des brasseurs. C’est ce que révèle Jon Klassen, cofondateur de la petite brasserie Dive Bär à Gland: «Les variétés de houblon manquent en Suisse. Et les malteries locales ne produisent pas toutes les variétés avec lesquelles on aurait envie de travailler. A ce stade, le choix de bières suisses est donc limité. Mais cela va continuer à s’accroître à mesure que le marché de la bière artisanale se développe.»

Delphine Piccot et Pablo Bovy brassent une bière 100% du coin. Crédit photo: Sigfredo Haro

Pour ce qui est du houblon, les spécificités des variétés importées, souvent du Japon ou des Etats-Unis, sont appréciées des amateurs. Pour ce qui est de l’orge, malgré la présence de trois établissements de transformation de ce genre en Suisse romande, à Bavois, Satigny et Delémont, les malts proposés ne satisfont pas pleinement les brasseurs. «Les malts spécifiques, qu’ils soient de blé, caramels ou alors très foncés, donnent des goûts particuliers à la bière mais ne se trouvent pas encore en Suisse, ou alors seulement en trop petites quantités», détaille Pablo Bovy de la brasserie Optimiste à Longirod. Avec Delphine Piccot, ils ont pu produire une petite quantité de bières 100% locales dans le cadre de la ferme Pré-Martin (lire ci-dessous).

Mais ces maltages limités à des bières blondes n’intéressent pas toutes les brasseries artisanales de la région, aux exigences diverses. L’autre grande préoccupation est la question de la stabilité. Là où les malteries allemandes sont l’assurance d’un malt invariable, les malteries suisses peuvent se montrer faillibles. «C’est extrêmement important d’avoir de la régularité sur le houblon et le malt pour que le goût de nos bières soit stable, indique Jérôme Bachelard de Cap’taine Mousse. On perdrait des revendeurs et des clients si nos bières changeaient à chaque ouverture.»

Des amateurs à éduquer

Mais alors, quelle est la solution pour brasser localement dans la région? Ouvrir une malterie, pourquoi pas. Du moins, faudrait-il développer celles qui existent actuellement. Abandonner l’idée que les bières sont un produit standardisé? Certains en ont fait leur marque de fabrique.

Le plus important reste de favoriser les conditions d’une production locale d’orge et de houblon, par exemple en facilitant les collaborations entre les brasseurs et les agriculteurs. Mais aussi en éduquant les consommateurs, en les sensibilisant aux matières premières et à leur coût. «On est d’accord de payer le prix fort pour du vin, par contre on nous a appris que la bière coûtait trois francs, réfléchit Delphine Piccot. On doit réapprendre que la bière, ce n’est pas que l’Heineken industrielle, et que derrière il y a du travail, des matières premières et du terroir.»

A Gland, Dive Bär ouvrira sa brasserie-café éphémère fin août

Le duo de brasseurs glandois va enfin réaliser son rêve: ouvrir un établissement dédié à la bière, mais pas seulement. Le rendez-vous est pris fin août, au sud de la gare de Gland.